Dominique A revisite son côté punk, Sébastien Tellier s’évade avec un tube 80’s et Bertrand Belin s’enthousiasme pour “L’Arbre d’obéissance” de Joël Baqué.
Dominique A, musicien : Road to Ruin de The Ramones
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Puisque l’heure est plus à la redécouverte qu’à la découverte, en me replongeant dans mes barres de disques laser, je suis retombé sur un coffret anthologique des Ramones, regroupant leurs six premiers enregistrements pour le label Sire, de 1976 à 1981. Les trois premiers, posant les bases d’une pop punk jouée pied au plancher et sortis à la queue leu leu, sont des décalques les uns des autres, à ce point interchangeables que, à l’aveugle, bien malin qui pourrait déterminer leur ordre d’apparition.
Ce n’est qu’à partir du quatrième, Road to Ruin, daté de 1978, que le groupe new-yorkais consent à faire montre d’un peu plus de subtilité dans les compositions et de variété dans le son, avec même, çà et là, quelques arpèges de guitare folk qui durent en leur temps causer quelque émoi au sein de leur fan-club (aujourd’hui, tout le monde s’en foutrait, mais à l’époque, on dressait des bûchers pour moins que ça).
A la réécoute, c’est probablement leur magnum opus. La ligne artistique de départ n’est que très légèrement infléchie, on n’est pas chez Radiohead, mais suffisamment pour donner aux morceaux une épaisseur inédite. Et si je vous en parle aujourd’hui, c’est que lorsque le confinement me tape sur le système, j’ai constaté que le gros son roboratif des Ramones, et particulièrement l’écoute de cet album, m’apaisait.
Même si je sais qu’en de tels moments on a tendance à surinvestir de significations les chansons, il y en a ici quand même une, la première, qui me semble assez foutrement programmatique, du moins pour ceux qui ne sont pas au feu et se morfondent en quarantaine : elle s’intitule I Just Wanna Have Something to Do, des mots que Joey Ramone chante comme à l’accoutumée, de son incroyable voix de gorge, avec toute la distance requise, ne faisant que mieux passer frustration et rage contenue. Un genre de Teenage Kicks version US, plus insidieux, et tout aussi sauvage.
Road to Ruin de The Ramones (1978). Disponible sur les plateformes d’écoute
Sébastien Tellier, musicien : Love Zone de Billy Ocean
C’est un album parfait pour le confinement, qui permet de s’évader en l’écoutant, comme si on buvait un cocktail au bord d’une piscine. Love Zone est aussi un disque très stimulant, excitant, qui donne aussitôt un regain d’énergie. Je recommande vivement son écoute pour changer la couleur de la journée et voir soudain le soleil arriver.
Musicalement parlant, c’est un album à la gloire du DX7, le synthétiseur phare des années 1980. Le DX7 y est sublimé, notamment sur l’énorme tube When the Going Gets Tough, the Tough Get Going, où l’on entend la basse synthé qui m’envoûte littéralement. Et la production est au diapason, à la fois ronde et cristalline. Les basses sont crémeuses, et les guitares funky n’ont rien à envier à Thriller. C’est le spectre sonore dans lequel je me sens bien.
Enfin, Love Zone est sans doute le disque qui possède les meilleures intros du monde. A chaque début de morceau, j’ai l’impression d’entrer dans un rêve. Bref, Love Zone, c’est comme déguster un petit bonbon italien.
Love Zone de Billy Ocean (1986). Disponible sur les plateformes d’écoute
Bertrand Belin, musicien : L’Arbre d’obéissance de Joël Baqué
Ce roman de l’écrivain Joël Baqué, paru en 2019, m’a comblé. On y découvre, déployant ses efforts dans la Syrie du IVe siècle, Théodoret, occupé à écrire la biographie de saint Syméon, dit Syméon le Stylite, inventeur du stylitisme, conduite qui consiste à prendre place au sommet d’une colonne de pierre surmontée d’une plateforme, où il sera question désormais de séjourner, dans une extrême ascèse, jusqu’au trépas, nourri et désaltéré par un groupe de fidèles à l’assiduité plus ou moins grande.
C’est cependant des atermoiements et luttes intérieures de Théodoret à sa tâche qu’il sera en définitive le plus question, faisant apparaître, par là, l’auteur du roman lui-même, son rapport au sacrifice, ses interrogations sur le bien-fondé de son entreprise d’écriture.
>> A lire aussi : Rencontre avec Bertrand Belin
La langue de Joël Baqué, en dépit des constances qui la caractérisent – une ironie voilée, le sens du burlesque, le souci de l’autre et le goût de la pente –, semble toutefois, de livre en livre, capable de toutes les réformes.
Elle se présente ici avec la rigueur et la gravité nécessaires à nous faire faire l’expérience de la soif de croire, de la patience dans l’ignorance, de la blessante clarté des paysages arides de la solitude, mais aussi, et c’est surtout ce qui me plaît dans ce roman, de ce que l’encre, bien agencée sur une page, est capable de mettre en vie, sans se rendre elle-même trop présente.
Le livre est aveuglant, prodigieux. Il n’y a pas plus de moyens dépensés là en langue qu’il n’est nécessaire aux apparitions que cette langue produit. Nous sommes, dans L’Arbre d’obéissance, pensants dans le désert, avec des génies et des idiots.
L’Arbre d’obéissance de Joël Baqué (P.O.L, 2019). Disponible en version numérique
Textes et propos recueillis par Carole Boinet, François Moreau et Franck Vergeade
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