Le Festival 100% La Villette présente “Europium“ de Linda Kapetanea et Jozef Fruček, une remarquable pièce inclassable – entre théâtre, danse et nouveau cirque – autour de l’Europe et du vivre-ensemble.
Linda Kapetanea est originaire de Grèce, Josef Fruček de Slovaquie et leurs chemins se sont croisés à Bruxelles, capitale politique – et plaque tournante artistique – de l’Europe. La rencontre a eu lieu au début des années 2000, tous deux étant alors membres d’Ultima Vez, la compagnie de Wim Vandekeybus – on a notamment pu les voir dans Blush (version scénique et version filmique) et dans Sonic Bloom. En 2006, ils ont créé ensemble RootlessRoot, structure dévolue à la production de leurs propres pièces ainsi qu’à la recherche et à l’enseignement. Ils développent en particulier Fighting Monkey, une pratique éducative pour danseurs, performeurs et acteurs s’appuyant sur les arts martiaux. Une Europe patraque dans une époque opaque A regarder les parcours de Kapetanea et Krucek, l’Europe, loin d’être une notion abstraite, apparaît comme une réalité tangible dont l’une et l’autre peuvent éprouver l’importance au quotidien. Comme son nom au léger parfum grisant l’insinue, Europium prend précisément pour sujet l’Europe – une Europe qui semble bien patraque en cette époque opaque où le repli identitaire, constatable actuellement dans divers points du vieux Continent, ébranle de plus en plus l’idéal communautaire. https://youtu.be/KDSJVmcRqG0 S’inscrivant dans un processus de réflexions sur le monde occidental, la pièce – créée en 2015 – dérive en premier lieu de l’histoire du radeau de la Méduse, qui inspira à Géricault son célébrissime tableau, fleuron de l’art pictural occidental. Aux yeux de Kapetanea et Fruček, cette histoire tragique revêt une grande dimension symbolique et fait en outre surgir l’image désormais (presque) banale de ces modernes radeaux qui, remplis à ras-bord de « migrants », viennent s’échouer sur les rivages de l’Europe – lorsqu’ils ne coulent pas avant d’arriver… D’intenses tableaux vivants En prise directe avec les problématiques les plus contemporaines, Europium saisit avec vigueur l’idée de l’Europe et la met en scène au fil d’intenses tableaux vivants dans lesquels se mêlent théâtre, danse et nouveau cirque. Tout du long, la pièce conjugue avec brio pulsation organique et sophistication esthétique. Traversée par une sourde inquiétude, elle rejette à toute force le spectre du désespoir et, sous la menace toujours présente de la tragédie, laisse aussi percer une stimulante ironie – en particulier dans les deux longs monologues, au début et à la fin. Construite avant tout à partir de hautes et massives poutres de bois, la scénographie, à la fois minimaliste et imposante, évoque par exemple une forêt en suspension ou une cité en (re)construction, visions sans cesse mouvantes que la musique hypnotique (Vassilli Mantzoukis) et la lumière magnétique (Sofia Alexiadou) rendent encore plus éclatantes. Agiles et vibratiles, les cinq interprètes – dont Linda Kapetanea elle-même – se partagent ou se disputent l’espace avec un engagement physique de tous les instants. Au-delà de l’Europe, c’est de la société humaine et du vivre-ensemble qu’il est fondamentalement question dans cette pièce d’une remuante densité et d’une frappante expressivité. Europium, les 10 et 11 mai à Paris, La Villette (Grande Halle).