Doit-on opposer pornographie et désir, tout comme l’on opposerait érotisme et porno ? C’est la question au coeur du dernier épisode des Nouvelles Vagues, l’émission de Marie Richeux sur France Culture.
La démocratisation de la pornographie, allant de pair avec celle des sextos quotidiens, en est-elle venue à tuer le désir ? Ou le porno permet-il, au contraire, d’actualiser sa forme ?
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Le désir de l’image
Depuis cinq ans, la revue numérique Le Tag Parfait s’applique à mettre à jour les discours établis sur la représentation de la sexualité à l’écran, en décortiquant régulièrement la culture pornographique (« porn culture« ). Porno, oui, mais moderne: on y parle davantage de Youporn, Pornhub et Chaturbate que de Brigitte Lahaie ou Clara Morgane. De l’éjaculation faciale au ménage à trois, trouve-t-on dans la pornographie cette essence du plaisir qu’est le désir ? Invité sur France culture par la talentueuse Marie Richeux, Stephen des Aulnois, créateur du webzine en question, ne conçoit pas la consommation de contenu pornographique sans envisager « le désir » qui en est la source.
Au fil des mots-clés parfois très fétichistes et des profils d’actrices dénudées, le « fappeur » ou la « fappeuse » (celui ou celle qui se caresse) recherche « le tag parfait », c’est à dire cette combinaison de fantasmes menant directement au nirvana. Bref, regarder du porno, c’est désirer, et rechercher, c’est déjà jouir, raconte le rédacteur en chef:
« Le désir est une notion très difficile à saisir. C’est quelque chose de tangible, qui ressort de l’image. Le désir se trouve à l’endroit de la recherche des images. C’est définir ces petites choses qui donnent envie de travailler mentalement ces images. On recherche la « bonne » actrice, donc on désire. Après la jouissance, il ne se passe plus rien. Alors, on ferme la fenêtre pop-up«
L’homme n’est qu’une érection
La place du désir au sein du porno est-il représentatif de l’inégalité entre les sexes ? Si l’on s’attarde couramment sur l’image de la femme au sein de ces contenus explicites (revendication du corps comme force féministe, façon Ovidie ou Lucie Blush, ou fantasme macho de la femme-objet, façon Rocco ?), force est de constater que ce focus ne nous dit jamais rien sur l’homme. Qu’en est-il de son désir ? Si comme le disait Jacques Lacan, « le désir de l’homme trouve son sens dans le désir de l’autre« , cette assertion est-elle applicable au porno ? Pour Stephen des Aulnois, non: quand le mâle dominant « baise », sa vulnérabilité, les émotions qu’il ressent devant la caméra, sont de l’ordre du nul:
« On sait sexualiser la femme dans un porno hétéro mais on ne se pose jamais la question pour la sexualisation de l’homme. Par sexualité j’entends « désiré ». L’homme est puissant…et c’est tout. On voit pas souvent les faiblesses d’un acteur. L’homme n’est qu’une érection. L’homme ne sert à rien : il est juste là«
Un mépris de la sensibilité masculine qui parcourt l’histoire de la pornographie. Au milieu des années 90, la série fédératrice des Buttman de John Stagliano instaurait la notion de porno gonzo. Du sexe filmé en caméra portée, au fil de plans très rapprochés et de pratiques volontiers hardcore. Une pornographie « sans scénario, sans désir, mais avec de l’intensité » tel que le définit le créateur du Tag Parfait. Avec sa frénésie de simili cartoon live, le gonzo fait du plaisir un spectacle, mais ne suggère jamais le désir.
L’avenir du désir: le porno amateur et la réalité virtuelle
Où trouver alors ce désir ? Réponse: dans le real amat porn, ou pornographie amateur. Le succès des petits films ou « sex tape » entre messieurs et mesdames-tout-le-monde démontre l’effet-miroir souhaité par le porno: spectateurs et spectatrices l’envisagent comme un reflet de leurs propres rapports intimes. Se filmant souvent en POV (Point of View : en vue subjective), effet suscitant l’identification, ces couples usent des « tags » inhérents aux grosses productions de l’industrie – de la fellation appliquée aux positions alambiquées – mais mettent l’accent sur le « teasing » précédant l’acte. L’émotion, voire la maladresse, celle de l’amour sincère et de l’authenticité du désir, passent avant tout. Porhub les appelle « Amateurs Certifiés » (verified amateurs) et en a fait un « tag » à part entière. L’une des figures emblématiques de cette catégorie a pour nom Camille Crimson. Déjà en 2006, la canadienne/féministe/hédoniste alignait les millions de vue en s’adonnant au plaisir oral en compagnie de son petit ami, au sein d’une channel régulièrement alimentée. Pour les journalistes du Tag Parfait, c’est ici que se développe un porno plus exigeant:
« A partir du moment où il y a une caméra, on est dans la production. Dans la fiction. On se projette dans ce porno amateur, ça peut nous rappeler notre vie sexuelle, notre quotidien. Les choses bougent. Il y a une uberisation du porno. La pornographie amateur avant n’était pas vraiment amateur, c’était relié aux plus grosses productions. Avec l’émergence de la webcam et la possibilité de gagner de l’argent à travers un tube, les amateurs peuvent financer leurs contenus, et sortir du circuit traditionnel, qui est très normé. Il en ressort des choses très créatives. Le porno depuis dix ans traverse une grosse crise financière et là, les choses changent, les gens arrivent à s’y trouver. Pas forcément des choses nichées dans le fétichisme mais une vision différente: entre couples, le copain filme la copine. Il y a une énergie, une envie, une liberté. Une joie. Le retour d’une joie dans la masturbation«
A cette curieuse mimesis des relations sexuelles « authentiques » répond un empire en éclosion: la réalité virtuelle. Le porno en réalité virtuelle (port du casque Oculus Rift, vision à 360°, en 3D, résolution 4K), développé par des chaînes comme Badoink, Naughty America, VRtube ou Virtual Real Porn, est depuis 2014 le champ de tous les possibles. Comme le gonzo, la réalité virtuelle garantit l’immersion, mais l’enrichit d’une émotion sensorielle. Des studios Kink (parangon des vidéos sadomasochistes, transsexuelles et fétichistes) à notre Marc Dorcel national (Dorcel VR, créé en 2015), la « VR » est pour « l’Autre Hollywood » (surnom de l’industrie des films pour adultes) une expérience bénie, qui ne fonctionne que sur le désir, c’est à dire la promesse du face à face entre masturbateur/trice et actrice/acteur. La pornographie devient alors « quelque chose de pur, et d’infini: infini dans le désir…« , s’enthousiasme Stephen des Aulnois.
Au cœur de cette fausse réalité – ce qu’est par définition le porno, du plaisir simulé – se trouve justement cette authenticité amatrice de l’affection. La réalité virtuelle remet le public au centre de la fiction pornographique, et en fait ainsi le maître de ses désirs, bel et bien intacts, entretenus par le simulacre et son emprise sur l’inconscient. Bref, la tête d’affiche d’un film pornographique, c’est le spectateur.
« L’idée du porno virtuel est celle de l’immersion totale. Ca reste de la masturbation: rien ne remplacera la réalité, pas de fantasme là-dessus. Mais dans les prochaines années, l’industrie du sex toy va s’allier avec l’industrie du porno virtuel. On sera alors à la frontière du réel. Alors, le corps et le cerveau se demanderont… »l’ai je déjà vécu ? ».
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