L’actrice Jeanne Balibar se plonge dans un film fleuve, La Flor de Mariano Llinas ; le réalisateur israélien Nadav Lapid s’attache au regard déformant du Greco.
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Jeanne Balibar, comédienne : La Flor de Mariano Llinas
Chers Inrocks,
c’est définitivement le film La Flor qui m’a le plus aidée ce mois-ci. Déjà, il est très long, donc il m’a aidée pendant quatorze heures au lieu de deux. Et puis, il aurait pu être concurrencé par La Maison des bois de Maurice Pialat, ou Scénario du film Passion de Godard. Pialat avait vraiment ses chances, très long aussi, ça aide à aider. JLG aussi, “Et voici la lumière ! Et voici le cinéma ! Et voilà le travail”….
Mais c’est de loin La Flor, puisque c’est la découverte de quatre actrices, et d’un cinéma grandiose ET DE MAINTENANT !!!!!! Marre du patrimoine… Au fond de l’inconnu….. Et elles sont tellement belles, tellement géniales, tellement multiples ces actrices, et il est tellement fin, drôle et lyrique ce réalisateur….
Et qu’il y ait encore des distributeurs de films comme Michèle et Laurent Pétin qui amènent un film pareil – fleuve et mystérieux – en France, dans les salles et sur les plateformes du coup… WoWWWWWWWWW, tout ça, mais ça FAIT UN BIEN !!!!!!
La Flor de Mariano Llinás (Arg., 2018, 13 h 32). Disponible en VOD sur Canal VOD, Orange, UniversCiné
Nadav Lapid, cinéaste : La peinture du Greco
Wikipédia, qui ne se trompe jamais, écrit sur le peintre Le Greco :
“Certains historiens de l’art et médecins positivistes, tels que Maurice Barrès au début du XXe siècle, suggèrent qu’El Greco souffrait d’un problème oculaire, peut-être une malformation de la rétine qui aurait influé sur sa peinture : Un oculiste espagnol, le docteur German Béritens, a soutenu […] que c’était de l’astigmatisme […] la preuve : prenez chez un opticien les verres de lunettes que prescrivent les oculistes […], la toile de El Greco vous apparaîtra immédiatement normale, naturelle, totalement dépourvue de ces fautes de proportions déformantes.”
Que ce soit vrai ou faux, qu’y a-t-il de plus admirable qu’un artiste dont on se dit, en visionnant son œuvre, qu’elle ne peut provenir du monde “normal”, tel qu’on le connaît. Quelque chose est forcément cassé, ses yeux à lui, nos yeux à nous, la toile, l’écran. C’est seulement en déformant notre regard, en essayant de calmer notre esprit secoué, que l’on peut formater la déformation. Parfois, on essaye, mais avec Le Greco, cela ne marche pas. Elle nous hante cette déformation sans remède.
Le fameux mot d’ordre expressionniste (ne pas dessiner la voiture, mais l’émotion que la voiture suscite en moi), Le Greco l’a mis en application alors qu’il y avait à peine des chariots.
Son désespoir joyeux, festif, bouillonnant, tourmenté, sans répit, le désespoir du mouvement éternel de corps humains pourtant stables. L’immobilité au cœur du mobile. Tellement plus radical et profond que de sanctifier le mouvement du mouvant, à l’instar de la vision futuriste.
Le peintre mi-aveugle qui fête la liberté d’une réalité floue. Totalement libre des exigences banales de précision, de perfection, de certitude. Se laissant traîner par la joie des vibrations.
Textes et propos recueillis par Bruno Deruisseau et Jean-Marc Lalanne
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