A la croisée des grands arrangeurs français et du psychédélisme, Biche imagine un premier album mélancolique et contemplatif qui fait mouche.
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Il y a quelques années, Etienne Daho prenait les commandes des Inrockuptibles en tant que rédacteur en chef le temps d’un numéro et demandait à Christophe Conte de dresser ce qu’il appelait alors “une photographie des acteurs de la toile musicale pop en France, avec ses ramifications, liens, zones d’affinités, interinfluences”. En résultait un arbre généalogique un peu hybride, prenant ses racines chez Boris Vian, Léo Ferré ou encore Pierre Henry et déployant ses branches jusqu’à La Femme, Daft Punk ou même Zombie Zombie.
S’il fallait prendre aujourd’hui ce document pour référence, où situerait-on dans cette constellation La Nuit des Perséides, le très réussi premier album de Biche ? Probablement quelque part dans un espace-temps où les lignes de basse de cette pop made in France bien lustrée trouvent leurs accointances dans le travail des grands arrangeurs : “C’est au lycée que je me suis pris dans la gueule Gainsbourg et Jean-Claude Vannier derrière, nous confie Alexis Fugain, fondateur du groupe. A l’époque, j’écoutais surtout des références seventies, plus américaines, plus rock, et puis je me suis rendu compte que j’avais ce côté potentiellement moins pop song et plus cinématographique.”
Une éducation musicale
Issu d’une famille où la musique est omniprésente, Alexis n’a que faire du solfège lorsque, petit, il passe des heures à perfectionner sa maîtrise du piano avec une prof assez futée pour comprendre que le garçon a surtout une oreille, et les images d’un film sans script dans la tête : “Les morceaux que je voulais travailler avaient toujours une dimension soundtrack, avec des harmonies mélancoliques et cette notion de contemplation qui te donne l’impression de voir le temps s’écouler. Forcément, quand j’ai découvert toutes ces musiques d’arrangeurs, ça m’a dévasté.”
Impossible alors de s’étonner de tomber en plein milieu de l’album sur Le Laboratoire, chanson hommage au compositeur français François de Roubaix, dont l’introduction avec ses cordes frappées évoque la démarche distraite d’un Pierre Richard débarquant dans un bar sous le regard amusé des clients. Les fesses posées sur une vieille banquette en cuir vintage, Alexis Fugain et ses copains de Biche semblent ainsi bien décidés à maintenir vivante une certaine idée du psychédélisme à la française, dont les arcanes sont déjà brillamment sillonnés par des jeunes gens talentueux comme Julien Gasc, Dorian Pimpernel ou encore Forever Pavot.
“J’ai dû trouver un cadre spatio-temporel. C’est un album qui se passe sur une nuit : de la fin de la journée précédente au début de la journée suivante” Alexis Fugain
Pourtant, si les traces de cet ADN sont décelées dès les balbutiements du groupe, le premier maxi de Biche paru en 2017, La Nébuleuse de Sienne, lorgne davantage et de façon totalement assumée du côté des errances hallucinées de Tame Impala. L’influence de Broadcast, le groupe préféré d’Alexis, se fait déjà également sentir ; tout comme celle plus récente de la bande de Vanishing Twin, dont les expérimentations pop nourrissent un mysticisme à la force d’évocation sidérante.
Songes d’une nuit d’été
Le point commun de toutes ces formations se situe là, dans cette nécessité d’exalter des thèmes et des motifs, à tel point même que l’on se demande comment la clique de Biche a réussi à résister à la tentation de sortir complètement du format chanson : “J’avais le syndrome du mec qui veut mettre toutes ses idées dans un morceau, nous confie Alexis. J’ai donc dû me restreindre, trouver un cadre spatio-temporel, un pitch ; donc un concept. C’est un album qui se passe sur une nuit : de la fin de la journée précédente au début de la journée suivante.”
Dans la foulée du maxi, Biche se met donc au travail, enregistrant une première mouture qui finira à la poubelle, avant de repartir sous de meilleurs auspices quelques mois plus tard. La base rythmique est mise en boîte live, chaque membre du groupe jouant sa partie précomposée, et Alexis s’est ensuite attelé pendant une très longue période “à réajuster des choses”, comme il dit : “J’avais composé pendant deux, trois mois de façon intensive. Après l’enregistrement, j’ai fini d’écrire les textes que j’ai mis longtemps à sortir et fait les arrangements. Les prises de violoncelle ont été faites vachement plus tard par exemple. Les morceaux avaient une forme et ont évolué par la suite.” La contemplation reste cependant la vraie matière de ce disque, dont les mécanismes se sont mis en branle une nuit d’été narcotique, sous le ciel étoilé de la campagne des Yvelines. Du Déclin à L’Essor.
Album La Nuit des Perséides (Banquise Records/PIAS)
Concert Le 14 mai, Paris (La Boule Noire)
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