Une source thermale est polluée, un médecin en fait le combat de sa vie… Jean-François Sivadier emballe le théâtre politique d’Ibsen dans la folie d’une comédie jubilatoire qui rappelle les luttes du présent.
L’époque se glorifie des batailles menées en solitaire par des hommes et des femmes qu’elle nomme lanceurs d’alerte. Elle les médiatise en héros d’une nouvelle ère de transparence pour les démocraties. On s’en réjouit, tout en regrettant que notre XXIe siècle ait la mémoire un peu courte quand il oublie de rendre hommage à Henrik Ibsen qui fut l’inventeur du concept dès 1883.
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Tomas Stockmann, médecin responsable de la qualité des eaux d’un établissement de bain, va se lancer dans le combat de sa vie en révélant la découverte d’une bactérie qui empoisonne la source et nécessite la fermeture de la station thermale.
Descente aux enfers
Poussant la critique sociale à son acmé et sachant le peu de goût de ses concitoyens pour la vérité des faits, le dramaturge norvégien imagine pour son personnage une descente aux enfers qui anticipe à bien des égards sur celle de nombre de nos lanceurs d’alerte d’aujourd’hui.
Témoignant d’une cruelle ironie, la pièce dédiée à un homme qui voulait simplement sauver la vie de ses contemporains est titrée par Ibsen Un ennemi du peuple.
Tout se joue dans le chaos splendide d’une scénographie où se mêlent l’ostentatoire et l’intime. En fond de scène, le kitsch des lustres en cristal et des fontaines d’un hôtel pour curistes. Au premier plan, l’austérité militante de l’appartement du médecin qui se déploie entre salle à manger et cuisine.
Conscient qu’il raconte le drame d’un pionnier des combats réunissant écologie et santé publique, Jean-François Sivadier tire l’histoire vers l’épique sans temps mort d’un théâtre éminemment ludique. Nicolas Bouchaud s’empare du rôle de Tomas Stockmann en sachant que l’on ne se lance pas de tels défis sans avoir l’âme d’un Don Quichotte partant à l’attaque des moulins.
Faire exploser le quatrième mur
Si la femme du docteur (Agnès Sourdillon) s’arrange par amour du jusqu’au-boutisme de son époux, son frère (Vincent Guédon), président de la direction des bains et préfet, devient son principal opposant tandis que la tannerie de son beau-père (Cyril Bothorel) s’avère être la cause de la pollution.
La toile d’araignée familiale compile les conflits d’intérêts et notre héros finit par péter les plombs lors d’une réunion publique. Moment de pure jubilation, le metteur en scène fait exploser le fameux quatrième mur en incitant les acteurs à digresser au milieu des spectateurs sur un texte qui rappelle les luttes du présent.
En misant sur les rires pour défendre son personnage, Jean-François Sivadier le hisse brillamment au statut de grande figure du théâtre populaire.
Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen, mise en scène Jean-François Sivadier. Du 10 mai au 15 juin, Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe. En tournée jusqu’en février 2020
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