“Confessions nocturnes” est une chronique hebdomadaire qui donne la parole aux lecteur·ices pour parler de sexe, d’érotisme, de genre, d’attachement, d’infidélité… Et qui tente de répondre à cette question : “Comment s’aime-t-on en 2020 ?” Aujourd’hui, Jérôme, 38 ans, nous parle d’un amour toxique et dévastateur.
“Avec mon ex, ça a été une histoire très passionnelle dès le début. Tout a d’ailleurs commencé par un accident. J’ai rencontré Anne en 2014, dans un club parisien. J’ai voulu la ramener sur mon scooter, nous avions bu, on n’arrêtait pas de s’embrasser. C’était voluptueux, fort. Et puis, en conduisant, je me suis pris un trottoir, nous avons tous deux terminé la soirée aux urgences. Elle a eu une fracture du crâne, et a perdu l’odorat depuis. Moi, j’ai passé la nuit en cellule de dégrisement et j’étais témoin du mariage de mon meilleur ami à midi le lendemain. Bref, ça ne démarrait pas forcément sous les meilleurs auspices.
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J’ai continué à lui rendre visite à l’hôpital pendant plusieurs jours. Anne était mariée avec trois enfants mais notre relation s’est très vite intensifiée. Elle a rapidement divorcé et nous avons acheté un appartement ensemble, en banlieue parisienne. Et puis, notre bonheur a peu à peu été assombri par des disputes. Il y avait beaucoup de conflits à la maison, notamment à cause de l’un de ses fils. L’atmosphère devenait de plus en plus lourde.
Le soir du 13 novembre 2015, j’étais au Bataclan, un drame qui m’a plongé dans une grosse dépression. Anne m’en voulait de ne pas arriver à sortir de mon lit le matin. En l’espace de quelques mois, notre couple s’est délité, j’ai fini par lui dire que je ne pouvais plus vivre comme ça. Anne laissait éclater de plus en plus de grosses crises de violences où elle jetait et cassait des objets dans l’appartement. Nous étions devenus très toxiques l’un pour l’autre et la suite n’a été qu’une descente aux enfers…
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“J’avais trop peur d’elle”
Tout a vraiment basculé la troisième année de notre relation, le jour où mon dealer est venu me livrer un gramme de cocaïne. Je n’avais pas pu rentrer à temps et c’est donc Anne qui lui a ouvert la porte. Jusqu’ici, je faisais vraiment attention à ce que cette situation n’arrive pas car elle déteste l’idée que je puisse prendre de la drogue de temps en temps. Moi, j’aurais vraiment aimé pouvoir en parler avec elle, car j’estimais que je n’avais pas à le cacher ou à en avoir honte. Elle n’a pas supporté et a plongé dans une colère très violente. Les assiettes ont volé en éclats.
J’ai eu très peur ce soir-là, son attitude était encore plus extrême que d’habitude, alors je suis allé dormir dans la chambre d’amis. Il faut savoir que je suis architecte et mon agence était située dans notre appartement. Le lendemain matin, quand je me suis installé au bureau, mon ordi était vide. Projets, dossiers, maquettes, logiciels… Elle avait effacé la totalité de mon travail passé et présent. Je n’avais plus rien. Je suis resté figé, comme paralysé, devant mon écran. Je ne savais même pas comment réagir.
Le jour suivant j’ai dormi chez un ami pour y passer le week-end. J’avais trop peur d’elle, je lui ai envoyé un texto : “Je voudrais te quitter.” S’en est suivie une très longue nuit dévastatrice… Suite à mon message, Anne a mis le feu au seul objet de valeur que j’avais, un fauteuil Le Corbusier auquel je tenais beaucoup. Ce qui a littéralement embrasé tout le reste de l’appartement.
C’est la gardienne de l’immeuble qui m’a appelé pour me dire qu’il y avait le feu chez moi, et que tout le bâtiment venait d’être évacué. Anne était à l’intérieur et avait été sortie in extremis avant d’être conduite à l’hôpital. Elle avait pris des médicaments, et avait bu… Heureusement, ses enfants étaient chez leur père ce soir-là.
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Sidération et horreur
Très vite, l’hôpital m’a demandé de venir la chercher. Anne est médecin et je pense que, du coup, elle est arrivée plus facilement à duper ses pairs quant à son état psychologique. J’ai donc foncé en taxi au beau milieu de la nuit, ou tôt le matin, je ne sais plus – les heures ne signifiaient plus grand-chose pour moi à ce moment-là.
Alors que l’on se dirigeait vers l’appartement, j’étais dans un état de sidération et Anne était encore très agitée. J’ai appelé un serrurier pour qu’il vienne m’ouvrir la porte. Et là, j’ai découvert cette scène d’horreur : mon appartement flambant neuf entièrement cramé. Je hurlais alors à Anne : “Mais comment as-tu pu me faire ça ? !” Et, elle, ne cessait de répéter : “C’est de ta faute tout ça, c’est de ta faute !” Sa mère est arrivée, je suis parti dans un café en attendant que la situation se calme un peu et qu’elle la raisonne.
Là, le serrurier – qui était en train de changer la serrure – m’a appelé pour m’expliquer qu’Anne s’était enfermée dans les toilettes, et qu’il craignait le pire. Je suis revenu précipitamment dans l’appartement, avant de voir Anne inanimée dans notre lit, des pompiers autour en train de la réanimer. Elle avait avalé beaucoup de médicaments. La scène était effrayante : ma compagne dans le coma, entourée de pompiers, au milieu de mon appartement calciné.
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Les pompiers, eux, étaient assez détendus, commentaient mes CD – ils se voulaient rassurants, je pense. L’atmosphère était terrible mais leur attitude m’a un peu aidé sur le moment. Anne a de nouveau été transportée à l’hôpital, où elle est restée une semaine dans le coma. De mon côté, je me retrouvais sans elle, sans données informatiques, sans toit, sans agence, sans affaires… La suie avait tout pénétré, chaque page de mes livres, chaque fibre de mes vêtements. Je n’avais plus rien. En une nuit, ma vie avait complètement basculé.
A ce moment-là, j’ai ressenti une sorte de dose d’adrénaline qui m’a fait comprendre combien ma vie était en danger imminent et qu’il fallait que je réagisse rapidement. Dans un instinct de survie, j’ai commencé par éliminer les problèmes les uns après les autres. J’ai appelé tout Paris pour trouver une location en urgence, et j’ai réussi à trouver un appartement en location en deux jours. C’est comme ça que j’ai commencé à remonter la pente petit à petit, je ne sais toujours pas à ce jour comment j’ai fait, mais je l’ai fait. Pour mon agence, j’ai réussi à récupérer quelques maigres fichiers altérés. Depuis, j’ai d’ailleurs appris à travailler sans ordinateur, j’ai eu comme une sorte de rejet qui m’a permis de découvrir une nouvelle façon de faire mon métier.
Des stigmates
Passé les messages de haine, pendant plus d’un an, Anne n’a cessé de m’écrire des lettres et des textos aux déclarations d’amour toutes plus intenses les unes que les autres. Elle m’a même racheté le fameux fauteuil Le Corbusier, une manière de me montrer son amour je suppose. Pendant ce temps, j’ai entièrement refait l’appartement sinistré qu’elle a aussitôt réinvesti, sans me prévenir une fois les travaux terminés. J’ai dû déménager quatre fois en deux ans.
Il y a environ six mois, nous avons commencé à nous revoir. Comment ai-je pu accepter ? Je pense que malgré toute cette folie, je l’aimais encore. Elle allait enfin voir un psy donc je voyais qu’elle cherchait à se soigner. Mais je tenais toutefois à ce que l’on recommence très doucement, je mettais beaucoup de limites. Elle avait acheté un nouvel appartement, et moi je commençais à revivre dans le nôtre. Un soir du mois d’octobre, alors que nous étions tous les deux, elle a bu beaucoup d’alcool et a commencé à devenir très incohérente, son attitude m’a rappelé nos pires moments. Tout m’est revenu d’un seul coup en pleine figure : son comportement m’a replongé dans un état de stress post-traumatique, j’étais très choqué et paniqué.
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Le lendemain matin je lui ai demandé de quitter les lieux. Anne m’a répondu d’un regard noir : “Non, je suis chez moi.” C’était comme si l’histoire se répétait à nouveau. Et ce jour-là, c’est moi qui suis entré dans une colère folle. Je l’ai sortie de force, j’étais hors de moi, décidé à tout faire pour qu’elle parte. J’ai appelé tout son répertoire en leur demandant de venir la chercher immédiatement. J’avais le sentiment que ma vie en dépendait. Cette fois-ci, elle est partie pour de bon.
Que me reste-t-il de toute cette histoire aujourd’hui ? Anne continue de m’écrire pour me dire qu’elle m’aime, nous avons mis l’appartement en vente. Tout ce que je sais, c’est que je ne veux plus être en couple, il me reste trop de cicatrices et de plaies ouvertes. Sans doute y suis-je pour quelque chose bien sûr, je ne choisis pas les bonnes personnes. Je m’investis encore plus dans mon travail, qui m’a aidé à tenir. Dans mes relations avec les autres, j’ai le sentiment d’être davantage en empathie pour les choses importantes, tout en étant très détaché lorsque je fais face à des conflits futiles, des caprices. Cette relation et le Bataclan sont mes deux énormes traumatismes et je ne suis pas sûr d’en être encore remis aujourd’hui.”
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