A l’occasion de la Fête des travailleurs, et dans un contexte politique et social marqué par le mouvement des gilets jaunes et par un dispositif sécuritaire de grande ampleur, des personnes aux profils très divers ont foulé le pavé, à Paris, mercredi 1er mai 2019. Les Inrocks ont recueilli les témoignages de plusieurs d’entre elles.
Gilets jaunes, militant.e.s écologistes, black blocs, féministes, syndicats, partis politiques ou encore personnes sans étiquette aucune : le cortège parisien du 1er mai 2019, à l’occasion de la traditionnelle fête des travailleurs, était des plus hétéroclites cette année. A 14 heures, le ministère de l’Intérieur estimait à 151 000 le nombre de manifestant.e.s dans toute la France, dont 16 000 dans la capitale. Le comptage “Occurence” réalisé par plusieurs médias, lui, mettait en avant à la même heure 40 000 personnes mobilisées, à Paris, entre la Gare Montparnasse et la Place d’Italie. La CGT, elle, avançait le chiffre de 80 000.
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A 17 heures, comme le rappelle Le Monde, les forces de l’ordre avaient opéré plus de 15 000 contrôles préventifs à Paris, pour 288 interpellations et 206 gardes à vue – le tout en mettant en place un dispositif de sécurité d’une “ampleur exceptionnelle”. 7 400 gendarmes et policiers étaient en effet mobilisés dans la capitale, tout comme des drones légers ou encore des policiers à moto. Des heurts ont éclaté vers 13 heures entre les forces de l’ordre et des blacks blocs en tête de cortège avec des gilets jaunes, repoussés à coups de gaz lacrymogènes. La CGT a dénoncé dans un communiqué « une répression inouïe et sans discernement » de la part des forces de l’ordre, Solidaires évoquant un « harcèlement » de celles-ci.
Dans un contexte politique et social marqué par bientôt vingt-quatre semaines consécutives de mobilisation des gilets jaunes, nous avons souhaité interroger plusieurs manifestant.e.s aux profils divers : syndicalistes, gilets jaunes ou encore membres du “Benalla Bloc” (souvenez-vous : l’affaire Benalla, c’était il y a un an, déjà).
Agnès, 54 ans, en recherche d’emploi : “C’est maintenant qu’il faut agir”
Agnès, 54 ans, en recherche d’emploi, est une Gilet Jaune de la première heure. Pour son premier #1ermai, elle a arbore – de dos – un masque de Benalla suite à l’appel d’un #BenallaBloc pic.twitter.com/MOnvdSPBtv
— Amélie Quentel (@ameliequentel) May 1, 2019
“Je suis complètement solidaire des gilets jaunes, je suis allée à chaque manif. En revanche, c’est mon premier 1er mai. C’est maintenant qu’il faut agir. A 54 ans, je suis dans une situation d’extrême précarité avec mes enfants. Le système en place depuis 40 ans, qui nivelle vers le bas et provoque l’extinction de l’humain et de sa conscience, mène au chaos, et manifester aujourd’hui permet de demander justice. Et le cas de Benalla est très révélateur de l’ordre mondial tel qu’il a été voulu. On nous fait croire que le bonheur, c’est la servilité. C’est complètement faux. Il faut donc aller au bout de ce que l’on vit actuellement avec les gilets jaunes. Aujourd’hui, il n’y a plus de solution pour vivre, même le mode ‘survie’ mène au suicide ou au fait que des gens se retrouvent à la rue. Pour un pays qui est soi-disant la 6e puissance mondiale, c’est inadmissible.”
Victor, 21 ans, militant au PCF : “Le paradis pour les puissants, et pas un radis pour ceux qui manifestent”
“Je manifeste d’habitude pour le 1er mai mais celui-ci a une connotation particulière : on est dans un mouvement social depuis vingt-quatre semaines avec les gilets jaunes. On est donc motivés comme jamais ! Dans les annonces de Macron après le grand débat, il n’y avait rien de social : rien sur la fraude fiscale, rien sur l’exil fiscal… Or le mouvement des gilets jaunes s’est notamment créé là-dessus, les gens ne supportent plus les inégalités. En somme : le paradis pour les puissants, et pas un radis pour ceux qui manifestent.
Nous, ce qu’on demande, c’est à peu près la même chose que les gilets jaunes, même si nous n’avons pas les mêmes modes d’action. Regarde, ils crient ‘révolution’ [plusieurs personnes entonnent en effet à ce moment-là ce mot, ndlr] : pour un communiste, ça fait plaisir ! Macron n’écoute que de l’oreille droite, et c’est par un rapport de force comme aujourd’hui qu’on va le forcer à écouter de l’oreille gauche. Et, à l’approche des élections européennes le 26 mai, il faudrait que cela se traduise dans les urnes.”
Laurent, membre d’Extinction Rebellion France : “Le changement du système (…) ne peut passer que par l’anticapitalisme”
“On a mis de la peinture jaune fluo autour de notre logo : on participe aux gilets jaunes mais aussi aux actions d’Extinction Rebellion. L’urgence climatique dans laquelle s’inscrit notre ONG est dans la lignée de l’urgence sociale, politique et économique des gilets jaunes. Ce n’est qu’en changeant le système économique et politique global que l’on pourra lutter contre ses effets désastreux pour notre planète. Et ça, ça ne peut passer que par l’anticapitalisme.
Aujourd’hui, dans le cortège, il y a une diversité de profils. L’idée est de rassembler le plus grand nombre de personnes dans leur diversité. J’aime bien la formule de François Ruffin à ce propos : il n’ambitionne pas une convergence des luttes, mais plus une synchronicité de celles-ci. Et aujourd’hui, cette synchronicité est largement suffisante pour faire pression. L’une des nouveautés des mouvements sociaux aujourd’hui, c’est qu’ils sont d’une grande horizontalité, avec des modalités d’organisation qui n’ont pas été dictées par un “maître” ou des institutions, et où on peut exercer sa liberté. On voit bien comment les syndicats peinent aujourd’hui à convaincre, et peinent à rejoindre le mouvement des gilets jaunes. Les revendications “anti-système” illustrent d’ailleurs bien cela, avec l’idée qu’il faut en terminer avec les organisations hiérarchiques qui permettent l’instauration d’une économie dont on ne veut plus. Nous sommes dans des mouvements collectifs qui portent un message à la fois désespéré, mais en même temps très positif.”
Rémy, membre des gilets jaunes de 35 ans : “Dans la continuité du mouvement”
“La fête du travail rejoint totalement le mouvement des gilets jaunes, c’est dans sa continuité. C’est pour ça que je suis venu aujourd’hui d’Estrées-Saint-Denis (Oise) à Paris, d’habitude je ne manifeste pas le 1er mai. Chacun lutte à sa façon, je n’ai pas de leçons à donner, mais, avec les gilets jaunes, c’est une manière très nouvelle de s’impliquer. Je suis persuadé, depuis le 17 novembre, qu’aucune revendication des gilets jaunes n’aboutira. Mais notre mot d’ordre c’est : “On lâche rien” : tant qu’il y a de l’espoir, et tant qu’on n’est pas seuls, on va continuer à lutter.”
Michelle, 15 ans : “Je suis déçue de la France, je ne pensais pas qu’en 2019 cela se passerait ainsi”
“Je suis venue représenter ma mère, qui vient manifester d’habitude pour le 1er mai mais ne pouvait pas se déplacer aujourd’hui. C’est mon premier 1er mai, mais j’ai déjà manifesté : je suis féministe, j’étais à la marche de #NousToutes ou encore à la gay pride. Je suis un peu la politique et je suis déçue de la France, voire parfois complètement choquée. Je n’imaginais pas, qu’en 2019, cela se passerait ainsi. Emmanuel Macron est arrivé en disant qu’il proposerait une idéologie particulière, or, on voit toujours autant de gens qui vivent dans la rue, qui manquent d’argent et qui souffrent. Ma mère me raconte souvent à quel point la France d’aujourd’hui est différente de celle d’avant.”
Patrice, 65 ans, membre de la CGT : “Nous vivons une période cruciale”
“Pourquoi je suis venu manifester ? C’est le 1er mai, tout de même ! C’est normal d’être ici. Je fais toutes les manifs autour de la question du pouvoir d’achat, des retraites… J’ai aussi participé aux marches pour le climat, mais aussi à certaines manifestations des gilets jaunes. Nous vivons une période cruciale : mouvement des gilets jaunes, crise de la fonction publique, la question des retraites… Bref, toutes sortes de choses négatives entreprises par le gouvernement actuel, et même avant sous Hollande.
Concernant les critiques faites aux syndicats, notamment par les black blocs : ils ont leur propre logique, nous avons la nôtre. La leur est visiblement une logique de révolution immédiate, par des actions dans la rue. C’est un risque qu’ils prennent et on ne sait pas trop sur quoi ça peut déboucher. Déjà, moi, je suis à la CGT, qui est dans la revendication, et pas à la CFDT. On reste au contact de la rue, ou encore des entreprises. Les gilets jaunes, c’est autre chose : il y a eu une prise de conscience populaire de personnes qui ne s’exprimaient pas auparavant. C’est bien qu’ils portent leur parole à présent.”
Anicia et Juliette, étudiantes apprenties de 24 ans : “Pour le droit des femmes et l’égalité salariale”
Juliette : “Si je suis venue aujourd’hui, c’est principalement par rapport aux droits des femmes et pour l’égalité salariale. On continue à se battre là-dessus. Et puis, aussi, pour tout ce que fait Macron : les gens en ont marre de ne pas être écoutés.”
Anicia : “Les membres du gouvernement sont là pour faire carrière, et pas là pour être au service du peuple. En fait, ce gouvernement, c’est du gros foutage de gueule. Il y a des mesures qu’ils ont fait passer qui sont révoltantes : la loi anti-casseurs par exemple, ou encore ce qui se passe actuellement en Guyane avec les mines d’or à ciel ouvert. Sans compter la loi travail… Le gouvernement actuel est là pour servir ses intérêts, plutôt que d’être à l’écoute du peuple. C’est surtout pour ça que je suis venue. Et puis, avec le contexte politique actuel qui est particulier, c’était intéressant de venir.”
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