Juillet sera giallo et surnaturel, avec une rétrospective de six films emblématiques consacrée au maître italien Dario Argento. Dans la fraîcheur des salles, préparez-vous à vous accrocher à vos fauteuils.
Début juin, nous découvrions, mi-enthousiaste, mi-circonspect, les premières images de Suspiria, le remake, en forme d’hommage, du film culte de Dario Argento. Sous la houlette de Luca Guadagnino (réalisateur de Call Me by Your Name), cette relecture contemporaine du chef-d’œuvre de 1977 cherche à revitaliser l’épopée baroque et hallucinée qu’incarnait le film original. D’ici sa sortie, prévue pour novembre, les spectateurs auront l’occasion de (re)voir en salle six films majeurs d’Argento en version restaurée (dont Suspiria), dans le cadre d’une rétrospective proposée par Les Films du Camélia.
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Loin d’être un hasard de calendrier, cette actualité brûlante en dit long sur le parcours d’un cinéaste devenu patrimonial, mais longtemps déconsidéré par un pan entier de l’industrie et de la critique, et cantonné à un rôle de trublion du cinéma italien, grand manitou du cinéma de série Z et du film d’horreur commercial.
A la fois pop et macabre
Le nom de Dario Argento est inévitablement associé au giallo, ce sous-genre italien du cinéma d’exploitation parfois identifié sous l’appellation “thriller spaghetti”. Sorte de slasher à l’italienne, le giallo (qui tire son nom de la couverture jaune des polars bon marché commercialisés en Italie entre les années 1930 et 1960) se caractérise par son esthétique singulière, à la fois pop et macabre, ses hectolitres d’hémoglobine rouge fluo et ses scénarios sournoisement labyrinthiques. On y suit généralement la traque sinueuse et trébuchante d’un mystérieux tueur (souvent masqué) commettant ses atroces forfaits à l’arme blanche.
Né au cinéma dans les années 1960 sous l’impulsion de Mario Bava, l’autre maître du genre, le giallo connaîtra son apogée dans les années 1970. Critique de films reconverti scénariste (il cosigne notamment le scénario d’Il était une fois dans l’Ouest aux côtés de Sergio Leone et de Bernardo Bertolucci), Argento inaugure sa carrière de réalisateur en 1970 en s’emparant à sa façon du giallo.
Son premier film, L’Oiseau au plumage de cristal (1970), pose les bases de ce qui constituera la matrice du giallo argentien
Des six films proposés dans la rétrospective, trois sont consacrés à cette période, séminale dans la carrière du cinéaste. Le premier d’entre eux, L’Oiseau au plumage de cristal (1970), pose les bases de ce qui constituera la matrice du giallo argentien. Un écrivain américain de passage à Rome assiste, impuissant, à la tentative d’assassinat d’une femme par un mystérieux individu. S’improvisant enquêteur, l’écrivain tentera de démasquer l’assassin qui, entre-temps, aura poursuivi son entreprise d’extermination en massacrant méthodiquement des jeunes femmes apeurées.
La révélation de l’identité du tueur, enjeu terminal du film, intervient irrémédiablement dans son ultime séquence, au terme d’un jeu de pistes et de faux semblants amenant spectateurs et personnages à réenvisager chaque détail aperçu au fil de l’enquête comme autant d’indices permettant d’ausculter le trauma initial du tueur, condition sine qua non à la divulgation de son identité.
L’influence d’Hitchcock et du Fritz Lang tardif
Argento injecte au giallo toute sa fureur plastique de grand formaliste en puissance. Ultra esthétisé, L’Oiseau au plumage de cristal diffuse déjà l’érotisme latent et le fétichisme vaporeux qui feront la renommée de son cinéma. Le tueur, caractérisé par ses mains gantées de cuir et son poignard scintillant, caresse langoureusement du bout de sa lame le corps de ses victimes, avant de les pénétrer dans une effusion de sang rouge gouache. Montage erratique, caméra virevoltante, cascades d’hémoglobine, le cinéma d’Argento est né.
Ses films suivants reprendront peu ou prou la même formule. Après, en 1971, Le Chat à neuf queues (proposé dans la rétrospective) et Quatre mouches de velours gris – qui clôt sa trilogie dite animale –, le cinéaste accouche en 1975 de son chef-d’œuvre dans le genre : Les Frissons de l’angoisse (dont on préférera le titre original, Profondo rosso, autrement plus percutant). Le film raconte sensiblement la même chose que ses précédents gialli : un étranger (ici campé par David Hemmings, le photographe de Blow-up) assiste à un crime sanglant et s’embarque dans une enquête labyrinthique afin d’en démasquer le coupable. Argento s’enfonce plus profondément encore dans l’esprit malade du bourreau et, convoquant la science du suspense d’un Hitchcock, l’architecture psychanalytique des Fritz Lang tardifs et l’allant formel d’un genre qu’il a fait sien, livre un long métrage obsédant, qui repousse les limites du giallo et acte la montée en puissance du cinéaste.
La bascule dans sa carrière s’effectuera deux ans plus tard, en 1977, avec Suspiria. Objet filmé non identifié, fresque baroque gore à l’érotisme diffus, Suspiria marque le virage surnaturel du cinéma d’Argento. On y suit une jeune étudiante américaine fraîchement débarquée dans une prestigieuse académie de danse allemande. Problème, une série de meurtres violents secoue l’établissement et amène la jeune fille à lever le voile sur la machination occulte régissant les forfaits du mystérieux criminel. Un virage fantastico-gore qui s’exprime également dans la bande-son du film. Exit les bizarreries sonores dopées aux chœurs synthétiques d’Ennio Morricone (qui composait jusqu’ici la musique de ses films), place au rock progressif et conceptuel de Goblin.
Phenomena, l’aboutissement
Aux scènes d’exécution, toujours aussi virtuoses mais devenues familières, s’ajoutent des visions cauchemardesques, déambulations fiévreuses à demi rêvées, peuplées d’insectes rampants et de sorcières inquiétantes, placées sous l’égide d’Edgar Allan Poe (l’une des figures tutélaires du cinéaste) et hantées par les fantômes du cinéma expressionniste allemand. Tout un jeu d’influences littéraires et cinéphiles passées au filtre de la longue tradition italienne de l’opéra et du grand-guignol.
Argento continue son exploration des mécanismes de la peur avec Phenomena (1985), lui aussi assaisonné au cinéma fantastique. On reste dans les obsessions argentiennes : une jeune Américaine (Jennifer Connelly) débarque dans un internat de jeunes filles suisse où prospère, on vous le donne en mille, un tueur sanguinaire. Ce sera cette fois grâce à un pouvoir lui permettant de communiquer avec les insectes, et au concours d’un entomologiste, que la jeune ado parviendra à neutraliser l’assassin. Le film, peut-être le plus abouti de son auteur, digère à la perfection ses influences multiples et propose une séquence finale en forme d’apothéose fantastico-gore qui, à elle seule, peut condenser la somme des obsessions qui habitent l’imaginaire baroque du cinéaste.
Argento signe avec Opéra un post-giallo fascinant, atteignant des sommets de perversité
La rétrospective, qui débute le 27 juin, synthétise à merveille l’itinéraire cinématographique d’Argento. En plus de trois gialli qui marquent ses débuts, et de la bascule surnaturelle incarnée par Suspiria et Phenomena, figure Opéra, un giallo tardif (1987) dans lequel un tueur masqué fait des travées d’un opéra son terrain de jeu macabre. Inédit en France, le film s’empare de la malédiction de Macbeth (légende voulant que la mise en chantier de la pièce de Shakespeare amène son lot d’infortunes) et essuya, ironie du sort, un tournage et une production chaotiques qui endiguèrent son exploitation internationale. De retour à ses premières amours, Argento signe avec Opéra un post-giallo fascinant, atteignant des sommets de perversité, notamment au gré de scènes de torture aussi jouissives qu’abominables. Un paradoxe qui sied bien au cinéaste.
Si l’on regrette l’absence du Syndrome de Stendhal (1996), dernier grand film de son auteur, on saura gré à cette rétrospective de nous épargner la dernière partie de la carrière d’Argento, de loin la moins intéressante. On reste malgré tout à l’affût d’un potentiel retour en grâce du cinéaste, lui qui disait que “tant que là dehors se trouvera quelqu’un à qui faire peur, je pourrai me considérer comme un homme heureux”.
Rétrospective Dario Agento L’Oiseau au plumage de cristal, Le Chat à neuf queues, Les Frissons de l’angoisse (Profondo rosso), Suspiria, Phenomena et Opéra, en salle partir du 27 juin
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