Assassiné en pleine gloire à l’âge de 20 ans, XXXTentacion a bouleversé les codes du rap au cours d’une carrière aussi fulgurante que sulfureuse. Quasiment inconnu des plus de 40 ans, icône absolue chez les moins de 25, il continue d’incarner les fractures et la dérive d’une nouvelle génération de rappeurs bien décidée à cramer la vie par les deux bouts. Mais que reste-t-il au milieu ?
Samedi 17 mars 2012, Cleopatra Bernard poste une nouvelle photo sur Instagram. Son fils aîné, Jahseh Dwayne Ricardo Onfroy, a 14 ans. Sous sa casquette à l’effigie des Chiefs de Kansas City, “sa petite terreur”, comme elle aime le surnommer, force une grimace qui se veut intimidante. La tentative est au moins aussi touchante que l’effet est raté. Personne ne peut alors imaginer que sous ces traits fins et cette posture mal assurée se cache l’un des visages les plus fascinants et inquiétants du rap des années 2010.
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Jahseh, cœur à vif
Jahseh Onfroy est né le 23 janvier 1998 à Plantation, une petite ville du comté de Broward en Floride. Envoyé en prison au milieu des années 2000, son père disparaît rapidement des photos de famille. Le petit garçon grandit entre Pompano Beach et Lauderhill, dans le sud de l’Etat, sous les gardes alternées de sa grand-mère, de sa mère et d’une poignée de connaissances de la famille. Cleopatra ne gagne pas suffisamment d’argent pour s’occuper de son fils à plein temps. La relation qui les unit n’en est pas moins fusionnelle et le jeune Jahseh attend son quinzième anniversaire pour se faire tatouer le prénom de sa mère sur la poitrine.
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Après s’être fait virer du collège pour une énième baston, il entame ses années lycée au son de Lil Wayne, Nirvana, Slipknot, Tupac et d’autres groupes beaucoup moins fréquentables comme les infernaux Papa Roach ou les fragiles The Fray. Il ne tiendra qu’un seul semestre sur les bancs de la Piper High School avant d’abandonner l’école pour de bon. Alors que ses anciens camarades révisent leurs leçons en se demandant où il a bien pu passer, Jahseh est comme absorbé par les deux matières qui vont structurer les cinq années qui lui restent à vivre : la musique et la violence.
Vol à main armée, cambriolage, possession d’Oxycodone… Onfroy survit à une première fusillade avant d’échouer dans un centre de détention pour mineurs. C’est là qu’il rencontre Ski Mask The Slump God, son futur ex-meilleur ami avec lequel il forme le collectif Members Only et conclut un pacte de triomphe. La lumière viendra du rap. Énervé et incantatoire.
Seule source d’espoir dans un quotidien assombri par le mal-être et la dépression, la musique devient un besoin de plus en plus urgent pour Jahseh. Et le seul éclair capable de recouvrir la part d’ombre du teenager. Elle se réveillera brutalement lorsqu’il laissera son codétenu homosexuel inerte sur le sol ensanglanté de sa cellule, “coupable” de l’avoir regardé se changer après la douche.
“J’allais le tuer mais heureusement pour moi un gardien est arrivé”
Dans sa toute première interview réalisée en 2016 par le podcast No Jumper, Jahseh Onfroy expliquera froidement : “Je ne suis pas homosexuel, je ne suis pas homophobe non plus. Quand les surveillants m’ont mis avec ce détenu je leur ai dit : ‘OK, mais s’il fait quoi que ce soit d’inapproprié, je le bute. Vous êtes prévenus.’ Un jour je suis sorti de la douche et il n’arrêtait pas de me fixer alors que j’étais nu. J’ai enfilé ma combinaison, je lui ai explosé la tête contre le rebord du lit et j’ai commencé à l’étrangler. J’étais recouvert de son sang, j’étais comme un fou. J’allais le tuer mais heureusement pour moi un gardien est arrivé. Sinon je ne serais pas là pour vous parler et je n’aurais jamais connu le succès.”
L’histoire ne dit pas ce que la victime de Onfroy est devenue. Mais le jeune homme sort de prison au bout d’une petite année et enchaîne les publications sur Soundcloud sous le nom de XXXTentacion. Enregistrés à l’arrache avec un micro bas de gamme et un vulgaire laptop, des tracks comme Skin, Teeth ou ILOVEITWHENTHEYRUN attirent rapidement des centaines de milliers de clics.
Celui que l’on surnomme déjà X, travaille alors dans un call-center en tant qu’opérateur téléphonique. Il repasse par la case prison dès le mois de juillet 2016 pour vol et agression avec arme.
Jahseh est libéré sous caution avant d’être de nouveau arrêté en octobre pour une affaire bien plus sordide. Geneva Ayala, sa petite amie, l’accuse d’agression et de séquestration.
Depuis sa cellule, il voit sa cote exploser sur internet
Les détails sont particulièrement horrifiques puisqu’elle était enceinte au moment des faits qu’elle dénonce. Elle décrit notamment une pluie de coups de tête et de coups de coude, des strangulations, des menaces de mort quotidiennes et une tentative de viol avec une fourchette à barbecue… Onfroy dément mais il est incarcéré pour avoir violé l’assignation à résidence résultant de sa première condamnation.
C’est donc depuis sa cellule qu’il voit sa cote exploser sur internet. Car sur sa page Soundcloud, un morceau empile les écoutes dans une forme de vertige encore inédite. Son titre ? Look at Me! Deux minutes trente de fureur trap distordue, découpée sur un flow en trois temps que tout le monde a repris depuis. Drake le premier, sur son morceau KMT, ce qui lui vaudra d’être l’un des premiers à goûter la ferveur et la dévotion des fans de XXXTentacion sur les réseaux sociaux.
https://youtu.be/LQwbaXMVslM
Sous bien des aspects, Look at Me! peut être considéré comme l’hymne le plus représentatif de la nouvelle génération de rappeurs emo. De Lil Uzi Vert à Lil Peep (mort d’une overdose), ces kids torturés, capables de toutes les excentricités et de toutes les fusions, laissent bouillir leur dépression aux confins des cultures rap, pop, punk et metal. Au milieu de ce grand défilé digne de la fashion week de Gotham City, XXXTentacion s’impose comme le plus inquiétant des Joker. Il est en prison et assiste impuissant à la campagne #FreeXXXTentacion relayée par de nombreux rappeurs de premier plan comme A$AP Rocky.
Il signe un énorme contrat avec Empire, défonce Drake à la radio
A la fin du mois de mars 2017, le rappeur de 19 ans est dehors. Il est libre, en attente de son procès, et compte bien en profiter pour transformer son buzz en carrière crédible. Il signe un énorme contrat avec Empire, défonce Drake à la radio, sort une première mixtape (Revenge) et voit son premier gros concert annulé à cause d’une émeute.
Les suivants seront tout aussi énervés entre bagarres générales, ambiances de feu et stage-diving en haute altitude. Il se fait même agresser sur scène en plein concert lors d’une performance à San Diego qui le laisse K.O. Ses fans se comptent désormais par millions alors qu’il n’a toujours pas sorti de projet majeur.
L’un des artistes les plus brillants de cette fin de décennie
Il faudra attendre deux albums publiés à un peu plus de six mois d’intervalle pour comprendre que XXXTentacion fait partie des artistes les plus brillants de cette fin de décennie. Si l’enchaînement de certains morceaux peut donner l’impression d’une mauvaise bande originale de la dépression adolescente, sa musique restera sûrement parmi les plus inventives et diverses de l’époque.
Sur 17 et ?, publiés respectivement en août 2017 et mars 2018, X balaie large, du grunge le plus franc à la trap la plus saturée, et s’impose même à contre-pied sur des morceaux acoustiques déchirants comme Changes, Revenge ou le prémonitoire Before I Close My Eyes qui referme le dernier album publié de son vivant. Et que dire des hits évidents que sont Jocelyn Flores, Everybody Dies in Their Nightmares, Fuck Love ou SAD!
En quelques années (de drogues et de prison), le jeune adolescent hésitant s’est transformé en héros surlooké aux cheveux bicolores et aux tatouages de loubard. Une simple recherche sur Google Images suffit à saisir l’ampleur des phénomènes de fascination et d’identification que produit son charisme sur ses fans du monde entier.
Tous rêvent de vivre comme lui, tristes avec un point d’exclamation, intrépides face au danger, euphoriques dans la détresse
Tous rêvent de vivre comme lui, tristes avec un point d’exclamation, intrépides face au danger, euphoriques dans la détresse. Depuis la diffusion du fameux mugshot où on le voit tirer la gueule un jour d’arrestation, on trouve d’ailleurs autant de commentaires sous les vidéos de ses plus grandes bastons que sous celles des légendes urbaines qui alimentent son mythe. La musique passe parfois bien après.
Si l’action se situait sur les bords du Mississipi au début des années 1930, on jurerait que Jahseh Onfroy a croisé le même genre de diable que Robert Johnson pour échanger son âme contre une carrière. Le guitariste avait son Crossroad Blues, XXXTentacion a son Suicide Pit. Entre les séances d’exorcisme auxquelles il s’adonnait, ses yeux injectés de sang au moment de marcher sur la foule pendant ses concerts et sa volonté de sacrifier son meilleur pote (pour de vrai), la trop courte vie de XXXTentacion ressemble à un miroir déformé de ce qu’il laissait transparaître sur ses réseaux. Mais en 2018, comment douter de la bonne foi d’un artiste hyperviolent qui prêche la paix et la charité sur Instagram en offrant des PS4 à ses followers (sic) ?
“Il fallait que je prenne mes distances. Il est juste fou à lier”
Fin 2017, Ski Mask expliquait avoir rompu son amitié avec X, refroidi par les rituels satanistes de son pote et la menace qu’il incarnait : “J’aimerai toujours ce mec qui ressemble à Alien mais il fallait que je prenne mes distances. Il est juste fou à lier. Il a menacé des personnes de ma famille et il voulait même me sacrifier.”
Ski Mask The Slump God était en pleurs le 18 juin après la mort de son ami rencontré en prison à peine quatre ans plus tôt. Assassiné au volant de sa voiture alors qu’il venait de retirer une importante somme d’argent pour s’acheter une moto, Jahseh Dwayne Ricardo Onfroy semble avoir été victime d’une tentative de braquage qui a mal tourné.
Parmi les premières photos postées sur Instagram par Cleopatra Bernard au lendemain de la mort de sa petite terreur, celle d’une échographie accompagnée d’une sobre légende : “Il nous a laissé un dernier cadeau.”
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