A Paris, l’artiste Lucile Littot s’inspire de la légende de la première serial killeuse recensée de l’histoire, la comtesse hongroise Báthory. Une expo rococo et cinématographique.
La New Galerie, dans le IIIe arrondissement, de Paris, a le don de dénicher des perles rares. Certains de ses artistes semblent parfois complètement à côté de la plaque mais en même temps visent si juste. Cette année, la galerie invitait le project space Exo Exo et exposait Anna Solal et ses objets-déchets réparés. En ce moment, la jeune artiste Lucile Littot, basée entre Paris et Los Angeles, y présente sa première expo solo. Un univers si excentrique et personnel qu’il s’apparenterait presque à de l’art brut ou dit « des fous ».
L’insurrection des poupées rebelles
Jusqu’au 21 juillet, une joyeuse colonie de jeunes filles, tout droit sorties d’une aristocratie consanguine, ont établi domicile à la New Galerie. Elles se présentent le visage serti d’or ou peinturluré comme des clowns ou bien prennent la forme de fragiles poupées en porcelaine plus ou moins monstrueuses (une a d’ailleurs deux têtes).
Lors du vernissage, l’artiste présente ses petites Barbie vulgaires comme des clones créés par Elisabeth Báthory. D’après la légende, cette comtesse hongroise du XVIe siècle aurait assassiné une multitude de jeunes filles en fleur afin de recueillir leur sang et de s’y baigner pour sa cure de jouvence. Lucile Littot a alors imaginé assimiler cette serial killer à une chirurgienne des temps modernes. Sauf que dans sa réécriture, les filles – participant à des concours de beauté pour survivre – se révoltent contre leur oppresseur. Elles assassinent la comtesse, gisante sur un établi dans l’expo, des seringues de sang-groseille plantées dans sa peau blafarde.
Télé-réalité, XVIIIe et vengeance
Dans les restes de ce labo des tortures féminines, les jeunes divas clonées, plus ou moins ratées, pleureuses ou inertes, ont les jambes écartées, adoptent des postures lascives, ou prennent tout bonnement feu. C’est une histoire alternative de révolution et de vengeance que Lucile Littot nous raconte. Et sans filtre. Salle d’opération en décombres, fabrique de rêves de beauté brisés, la galerie New Galerie devient le lieu d’expériences cathartiques. Elle apparaît alors comme le décor d’une émission de télé-réalité comme les US savent si bien en produire, à savoir celui d’une histoire de lutte pour la « fame », le bling et la jeunesse, avec tout le malaise, la monstruosité et la souffrance qui y sont inhérents.
Férue de Versailles, d’opéra et de cinéma, Lucile Littot exacerbe alors les traits, les couleurs et les féminités pour amener l’assouvissement du fantasme à un point de non-retour. Car cette histoire de comtesse vampire a bien quelque chose à dire de nos sociétés obsédées et royautés contemporaines. Pour autant, l’artiste ne porte pas de jugement moral à l’égard de cet Hollyweird version XVIe siècle. Elle choisit la tendresse. Parce que c’est beau un maquillage qui coule, c’est beau d’être atrophié et déglingué.
A travers tous ces scénarios (à venir à la Fondation Ricard, a priori quelque chose autour de la princesse de Lamballe ), Lucile Littot sublime autant la déchéance que le travestissement. Elle célèbre ces magnifiques fêlures: victimes ou bourreaux, celles et ceux qui se sont cassé les ailes à vouloir s’approcher du soleil. Car, sous des augures gore, il règne bien dans cette expo un peu de cette ambiance magique et sombre que propage Norma Desmond, star déchue du muet dans le film Sunset Boulevard. Lucile Littot ou les misères et splendeurs des vies dominées par les fantasmes.
Lucile Littot: Sur Un Air de Wagner New Galerie, Paris, jusqu’au 21 juillet