Le journaliste d’investigation Marc Endeweld publie “Le Grand manipulateur”, un livre sur les réseaux secrets qui ont permis l’élection d’Emmanuel Macron. Nous l’avons lu, et en avons extrait des anecdotes troublantes.
Le “nouveau monde” est-il si neuf que cela ? Depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, censé incarner la France des startups et la modernité politique, ce slogan a fait quelques déçus. Et de fait, d’après l’enquête que publie le journaliste d’investigation Marc Endeweld, Le Grand manipulateur (Stock), derrière la façade du renouveau se cachent des réseaux bien classiques. Autoproclamé candidat “contre le système” de la vieille politique, Emmanuel Macron a en effet joué de contacts avec des anciens du sérail, qui se sont détournés du PS et de LR : réseaux de Montebourg, de de Villepin, figures de la Sarkozie et de la Chiraquie, ou encore personnalités ayant participé à la cohabitation Mitterrand-Balladur dans les années 1990 ! Cette enquête foisonnante de protagonistes issus de milieux plus ou moins interlopes conduit à comprendre le fonctionnement clanique de l’entourage du jeune président. Un de ses anciens collègues de l’Elysée résume ainsi : “Macron n’a jamais construit un collectif, il a bénéficié de réseaux déjà constitués”. Au détour de cette cartographie des personnalités qui ont conduit à son élection, nous avons glané quelques anecdotes croustillantes, voire abracadabrantesques.
Sarkozy aime se présenter comme le “père spirituel” de Macron
On a pu s’étonner parfois de la proximité entre Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy – qui semble dépasser la simple courtoisie républicaine. Lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron sont devenus des “alliés objectifs”, explique Marc Endeweld. Depuis, le premier utilise le second pour “se venger de la droite qui ne l’a pas choisi lors des primaires de 2016”. Lors du remplacement de Gérard Collomb au ministère de l’Intérieur, par exemple, Nicolas Sarkozy appelle régulièrement Emmanuel Macron. “Dès le printemps 2018, Nicolas Sarkozy et ses proches exercent une pression sur l’Elysée pour appuyer le remplacement du ministre”, écrit Endeweld. Sarkozy appelle plusieurs fois le président en personne, et pousse son “binôme idéal” : Gérald Darmanin au ministère, et Frédéric Péchenard pour le seconder (un ami d’enfance). On apprend même que Sarko se targue d’avoir un ascendant sur le jeune président : “A certains de ses proches qui s’étonnent de cette proximité de l’ancien collaborateur de François Hollande, Sarkozy aime se présenter comme son père spirituel”. On comprend mieux pourquoi Macron l’a reçu en décembre, en pleine crise des Gilets jaunes…
La rumeur sur Mathieu Gallet “sciemment relayée” par son équipe
On s’en souvient, la campagne présidentielle a été une orgie de coups bas et de rumeurs incessantes sur la vie personnelle des candidats. Macron en a fait les frais : une rumeur n’a cessé d’enfler durant la course à l’Elysée, selon laquelle il serait homosexuel. Début 2016, ses colporteurs prétendent même que son amant serait Mathieu Gallet, le P.-D.G. de Radio France. “Une histoire totalement fausse”, note Marc Endeweld. Macron lui-même la dément dans Mediapart : “Je n’ai pas de double vie”. Macron attend pourtant pour évoquer nommément cette rumeur tenace, début février 2017 au théâtre Bobino. Du jour au lendemain, la rumeur a largement cessé. Un ancien membre de la campagne de Macron confie pourtant plus tard : “Nous avons sciemment relayé l’histoire sur Mathieu Gallet qui était totalement fausse, pour piéger nos ennemis et tuer la rumeur une bonne fois pour toutes !” Audacieux.
Gommer l’effet “candidat des riches”
Marc Endeweld met au jour la manière dont la communication sur les chiffres du financement de la campagne d’Emmanuel Macron n’a pas toujours été très honnête. Les MacronLeaks ont révélé des échanges de mails d’un des attachés de presse de Macron, Grégoire Devaux, avec Ismaël Emelien et Sylvain Fort, dans lesquels il est question de “communiquer sur 10” millions d’euros de collecte, alors que celle-ci s’élèverait à 11 millions. De même, si le don moyen est de 250 euros, “on ne communique pas dessus”, et on évoque plutôt le “don médian” de 50 euros. On explique enfin que les grands donateurs (dons supérieurs à 5 000 euros) sont au nombre de 631, alors que le JDD a montré plus tard qu’ils étaient 913, et qu’ils ont rapporté “6,3 millions d’euros, soit 48 % de la totalité des dons”. Un échange de mails entre Benjamin Griveaux et la cheffe du service de presse de sa campagne, Sibeth Ndiaye, est parlant en la matière : “Sibeth, tu n’avais pas dit qu’on restait sur 8 millions avec l’accord de Christian (Dargnat, responsable de la collecte) ?” Réponse : “Oui tout à fait 8 millions et pas 9,3 (l’info n’a pas eu le temps de circuler dans le pôle), mais on conserve les chiffres dessous”. Vous avez dit fake news ?
La vérité sur son déplacement houleux auprès des ouvriers de Whirlpool
Dans un documentaire sur la campagne de Macron diffusé sur TF1, Les Coulisses d’une victoire, on voyait le candidat passer un savon à son équipe de communication. En cause, sa venue houleuse à l’usine Whirlpool d’Amiens, qui a été parasitée par l’arrivée en fanfare de Marine Le Pen. Les images étaient calamiteuses : Macron était en huis clos dans les bureaux de la chambre de commerce et d’industrie du département avec l’intersyndicale, pendant que la candidate d’extrême droite se pavanait auprès des salariés en lutte. On déduit donc dans le documentaire qu’Emmanuel Macron aurait souhaité aller plus au contact des salariés. C’est ce qu’il dit d’ailleurs à ses conseillers : “Je ne peux pas paraître planqué (…) Je ne serai jamais en sécurité parce que le pays est comme ça aujourd’hui. Donc faut prendre le risque, faut aller dans le cœur de la bête à chaque fois. Parce que si vous écoutez les mecs de la sécurité vous finissez comme Hollande. Peut-être que vous êtes en sécurité, mais vous êtes mort”.
Or il n’en est rien. Marc Endeweld raconte : “En réalité, les communicants autour de Macron lui ont tous conseillé, bien en amont, de se déplacer sur le site industriel menacé. […] A ses conseillers, le candidat répond pourtant, à de multiples reprises, qu’il refuse d’y aller. ‘En fait, au départ, il ne voulait pas se frotter aux ouvriers. Il n’avait pas validé la visite à l’usine. On n’a pas cessé de lui conseiller d’y aller, mais il a dit non dix fois !’ […], rapporte un ancien membre de l’équipe”.
Comment Macron a séduit les francs-maçons
Enfin, on apprend comment Emmanuel Macron a multiplié les œillades aux francs-maçons durant sa campagne. En juin 2016, il participe ainsi à une “tenue blanche fermée au grand temple Arthur-Groussier, l’un des plus importants du siège du Grand Orient de France”, révèle Marc Endeweld. Il s’agit d’une conférence donnée devant des francs-maçons par un non-maçon. Il rend aussi des visites à la loge Demain “qui rassemble de nombreuses personnalités”. Même si Macron n’est pas familier de ces réseaux, il sait leur devenir sympathique. Ainsi “une fraternelle En marche !, le cercle Camille Desmoulins, rassemble des maçons de toutes obédiences qui se reconnaissent dans la campagne d’Emmanuel Macron”. Même au Grand Orient, “le grand maître d’alors, Christophe Habas, ne cache pas sa préférence auprès de son collège”, lit-on. Des contributions financières ont été faites pour En marche lors des agapes (dîners après le travail entre maçons) dans certaines loges. Macron a pour sa part utilisé l’expression “vos grades et qualités”, un clin d’œil à l’égard de la maçonnerie. Y compris lors de son discours de victoire : “Que toutes celles et ceux qui se retrouvent en leurs grades et qualités dans ce projet le rejoignent, c’est formidable”. Désormais, les maçons du GO s’en veulent de ce soutien, notamment depuis que le jeune président souhaite “aménager” la loi sur la laïcité de 1905.
Le Grand manipulateur, de Marc Endeweld, éd. Stock, 360 p., 20,50€