Tourné en public et mis en scène par le réalisateur Spike Jonze, “Beastie Boys Story” débarque avec la mission colossale de raconter l’histoire d’un des groupes les plus attachants et novateurs de la fin du XXème siècle.
Dès leurs débuts en 1981, les Beastie Boys se sont camouflés derrière une image de personnages de cartoons un peu idiots et gentiment loufoques. A les voir derrière un écran d’ordinateur sur la plateforme Zoom, lors d’une conférence de presse virtuelle lunaire, on réalise que peu de choses ont changé. En contrôle total de la situation, Adam Horovitz (Ad-Rock) et Mike Diamond (Mike D) défendent aux côtés du réalisateur Spike Jonze la sortie de Beastie Boys Story, un film hybride entre le stand up, la conférence et le documentaire musical qui s’appuie sur la publication d’une importante autobiographie, Beastie Boys Book, rédigée par les deux musiciens restant après la mort d’Adam Yauch (MCA) en 2012 des suites d’un cancer.
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Contrôle total
Car les Beastie Boys appartiennent à la maigre catégorie des groupes qui ne se reformeront jamais. Comme l’indique d’emblée Horovitz dans le film “quand nous avons perdu Adam Yauch, nous avons cessé d’être un groupe”. Loin de se faire aspirer par le trou béant laissé par la disparition du musicien dans le trio (et dans la musique en général), les deux membres restant de la formation ont choisi intelligemment de célébrer le ciment de leur groupe : l’amitié. Spike Jonze, ami et collaborateur de longue date, s’est chargé de donner une forme visuelle à ce voyage dans le temps filmé en avril 2019 lors de trois soirs au Brooklyn’s King Theater.
Pour éclairer la conception et les tenants de cet étonnant projet, il faut donc se prêter à cet exercice promotionnel organisé en ligne en pleine épidémie. Horovitz y prend les commandes et pirate comme bon lui semble les interrogations qui peuvent gratter le vernis apposé depuis l’époque Paul’s Boutique (quand le groupe s’est réinventé après le phénoménal succès de Licensed to Ill et son incarnation de sales gosses fêtards et machos). En tendant des photos surréalistes devant sa webcam (“Au Japon on peut se faire prendre en photo avec une célébrité, moi j’ai choisi Leonard Di Caprio”, “Ça, c’est moi et Mike Tyson”), Ad-Rock ne déroge pas à la formule définie par son groupe : c’est en faisant l’imbécile qu’on peut faire oublier aux autres qu’on est plus intelligent qu’eux.
“Pour raconter son histoire, il faut raconter une histoire” Ad-Rock
En condensant 40 ans d’amitié et 30 ans de la vie d’un groupe, il était évident que faire des choix s’imposait. Le projet se concentre en grande partie sur le voyage créatif du groupe, monté au bon endroit, au bon moment par quelques ados new-yorkais au tout début des années 80. C’est Adam Yauch qui est logiquement désigné comme l’élément central de la vie du groupe, autant du côté de la création que du business (blousés par Def Jam et Rick Rubin, les Beastie Boys garderont un contrôle quasi-complet après la sortie de leur premier album sur tout ce qui les concerne : artworks, vidéos, production en studio etc.).
“Pour moi, tu es un storyteller né Adam” dit Spike Jonze lors de la conférence de presse et il est évident que Ad-Rock (aperçu au cinéma dans des films de Noah Baumbach et Alex Ross Perry, et fils de l’auteur Israel Horovitz) porte de bout en bout l’histoire du trio dans Beastie Boys Story. Si le groupe n’a aucun secret pour vous, il y a peu de chances que ce film vous apprenne grand-chose. Il est ici beaucoup plus question d’un album photo au charme évident qui joue sur une autodérision assumée.
C’est justement celle-ci qui protège le groupe de sa face plus sombre et volontairement éludée, qu’un documentariste extérieur au groupe aurait pu explorer. A cet égard, voir Ad-Rock et Mike D se moquer de l’accent de Russell Simmons et poster des photos ridicules de Rick Rubin tient à la fois de l’image d’Epinal du kitsch 80’s et d’une forme de règlement de comptes. On finit par comprendre qu’il s’agit d’une habile façon de botter en touche une première partie de carrière pas vraiment compatible avec les canons de 2020 : phallus gonflable géant, émeutes avinées, stripteaseuses dans des cages sur scène et limogeage de Kate Schellenbach (première batteuse du groupe).
“En fait, notre premier concert c’était Circle Jerks mais comme je préfère les Misfits je vais dire que c’était les Misfits.” Ad-Rock et Mike D marchent sur une ligne assez floue entre souvenirs personnels et réalité historique. Il est évident qu’en racontant soi-même son histoire, on exerce sur les faits un contrôle total de son image.
New York, I Love You
La grande qualité du film (et du livre) est l’exploration des premières années du punk et du hip-hop dans la métropole américaine détaillées par les deux musiciens, qui racontent leurs errances de concerts des Bad Brains en rencontres improbables (une première tournée avec Madonna) et leur évolution dans un microcosme de gamins de la classe moyenne et supérieure livrés à eux-mêmes dans un Manhattan de tous les possibles.
Adam Yauch est le personnage central de cette histoire new-yorkaise, surdoué autodidacte qui expérimente très tôt le sampling et pour qui tout semble facile. “Comment Adam avait entendu parler de ces choses ? Je n’en ai aucune idée. Rappelez-vous à l’époque, il n’y avait pas Google ou YouTube”, insiste à plusieurs reprises Ad-Rock. Si les deux narrateurs n’évitent pas quelques chutes de “boomers”, ils retracent tout de même l’épopée fantastique et émouvante d’un groupe toujours sur le qui-vive qui (effectivement avant l’ère Internet) brouilla les frontières entre punk, rap et musique électronique, donnant naissance à une musique extrêmement riche et versatile dont on ressent encore aujourd’hui l’onde de choc.
Disponible à partir de vendredi sur Apple TV+
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