Marvel Studios a quelque peu surpris en introduisant dans “Avengers : Endgame” son premier personnage ouvertement homosexuel. Mais que signifie ce geste ?
[Attention : Cet article contient un spoiler très mineur d’Avengers : Endgame]
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En à peine quelques jours, Avengers : Endgame est bien le rouleau compresseur que l’on attendait. Mais en plus de battre des records en termes d’entrées, le long métrage innove quelque peu sur la vision des LBGTQ, du moins dans le cadre d’une production Disney. En effet, pour la première fois dans un film du Marvel Cinematic Universe, un personnage ouvertement gay est présenté.
La scène est très courte, et ne concerne pas l’un des super-héros de la large bande marvelienne, mais on peut néanmoins y voir un certain progrès, surtout pour une aussi grosse production, qui compte beaucoup sur ses recettes à l’international, y compris dans des pays où la thématique de l’homosexualité peut être censurée (comme la Chine). Vers le début du film, on assiste à une réunion de soutien organisée par Steve Rogers/Captain America. Elle est pensée pour aider ceux qui ne parviennent pas à surmonter le deuil de leurs proches, disparus suite au claquement de doigts de Thanos avec les Pierres d’Infinité. Un quidam, interprété par Joe Russo (réalisateur du blockbuster aux côtés de son frère Anthony), prend alors la parole pour évoquer son premier rendez-vous avec un homme, depuis la mort de son amant. Rien n’est réellement appuyé. Pas de prénom prononcé, juste quelques pronoms masculins (on entend « him » à plusieurs reprises dans la VO) que l’on peut ne pas remarquer. Et pourtant, c’est bien là, dans le plus gros film de 2019.
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Au micro de Deadline, le duo de cinéastes s’est exprimé sur cette décision. Pour Joe Russo, « la représentation est très importante. Il était important pour nous, après avoir fait quatre films pour Marvel (Captain America : Le Soldat de l’hiver, Civil War, Avengers : Infinity War et Endgame, ndlr), d’avoir un personnage gay dans l’un d’entre eux. Nous sentions qu’il était important que l’un de nous le joue, pour s’assurer de l’intégrité du geste et montrer qu’en tant que réalisateurs, il nous importe que nous le représentions. C’est un moment parfait, parce que l’une des choses essentielles par rapport à l’avancée du Marvel Universe, c’est sa focalisation sur la diversité.«
Prendre des risques…
Il est vrai qu’avec Black Panther et Captain Marvel, le studio a produit récemment des œuvres qui ont résonné dans l’industrie, permettant autant aux Noirs qu’aux femmes de se sentir représentés dans des blockbusters surfant sur le genre dominant de cette décennie : le cinéma de super-héros. Néanmoins, on peut également reprocher à Marvel de prendre finalement peu de risques avec ces démarches, diluant un point de vue progressiste assez convenu qui ne bouleverse jamais la forme ou le fond de ses récits. Par ailleurs, la surcommunication souvent opportuniste de la firme n’hésite pas à s’accaparer un renouveau qui n’en est en réalité par un. Black Panther a par exemple été régulièrement présenté comme la première adaptation sur grand écran d’un super-héros noir, alors que Blade a été porté au cinéma dès 1998 dans une trilogie. Dans le cas d’Endgame, il est certes le premier film du MCU à présenter un personnage clairement homosexuel, mais pas le premier blockbuster super-héroïque. En 2018, Deadpool 2 de David Leitch (production de la Fox, qui appartient donc désormais à Disney) a ainsi explicitement implanté dans sa narration une relation gay entre le personnage de Negasonic Teenage Warhead, et sa petite amie Yukio, comme il est précisé au détour d’un dialogue.
On pourrait même revenir en 2004 avec le Spider-Man 2 de Sam Raimi. Alors qu’il perd ses pouvoirs, l’Homme-Araignée prend l’ascenseur avec une autre personne, incarnée par Hal Sparks, acteur alors connu pour la série Queer as Folk. La tension sexuelle, la drague sous-entendue qui s’en dégage est renforcée par la gêne que procure l’espace confinée. Cela fait de cette scène un clin d’œil ingénieux, mettant en avant la dimension queer qui entoure l’esthétique des super-héros.
Néanmoins, on peut saluer l’épure et la tonalité très premier degré de la scène d’Endgame, qui évite d’en faire des tonnes, ou alors d’en rester aux sous-entendus, deux tendances qui finalement stigmatisent la représentation de l’homosexualité au cinéma. Joe Russo justifie d’ailleurs ce choix : « Nous voulions que ça ait l’air fortuit, que ce personnage gay soit relié à la fabrication d’une narration et qu’il représente ce qu’est la vie de tous les jours. […] Nous essayons de représenter tout le monde dans une vie quotidienne. Ce sont des films énormes qui atteignent beaucoup de personnes. Ils sont importants pour un grand nombre de ces personnes et tout le monde a le droit de se voir à l’écran, de s’identifier.«
…sans trop se mouiller
Reste à savoir si Marvel osera poursuivre sur cette approche de la diversité sexuelle de ses super-héros. Le personnage de Valkyrie, présenté dans Thor : Ragnarok, a par exemple provoqué le débat. Incarnée par Tessa Thompson, cette dernière a insisté pour que l’héroïne soit fidèle à sa représentation dans les comics, qui la dépeignent comme étant bisexuelle. Cependant, le film a beau vendre une certaine ambiguïté (honnêtement invisible si on ne la cherche pas activement), la seule scène qui explicitait réellement l’identité sexuelle du personnage, en montrant une femme sortir de sa chambre, a été coupée au montage.
Marvel a donc encore du chemin à faire, et ses petits pas en avant cachent quelques rétro-pédalages peu assumés. Il y a une forme d’hypocrisie dans cette démarche soi-disant novatrice, d’autant plus lorsque la firme repose sur des comics qui se montrent progressistes depuis plusieurs décennies. A titre d’exemple, la série X-Men est dans son essence même une allégorie sur l’acceptation de la différence. Ainsi, dès 1992, l’éditeur a annoncé que son super-héros Northstar était gay, et en 2012, le numéro 50 d’Astonishing X-Men décrivait même son mariage avec Kyle Jinadu. Du côté du concurrent principal de Marvel, DC Comics, on trouve quelques personnages ouvertement gay, à l’instar de Batwoman, qui pourrait d’ailleurs avoir prochainement une adaptation au cinéma. On espère que Marvel saura donc tenir le cap, surtout en ayant annoncé que Chloé Zhao réalisera un film autour des Eternals, équipe de super-héros dont l’un des membres est homosexuel.
Même Deadpool, présenté dans les films comme hétérosexuel (bien qu’assez ouvert sur les expérimentations, comme le montre une scène où sa petite amie le sodomise) est connu dans les comics pour être pansexuel. Dans certains volumes récents, il fait même l’amour avec une personnification de la Mort. Il est donc assez aberrant de voir l’industrie hollywoodienne se gargariser pour une représentation si succincte des minorités, alors que d’autres médias traitent bien plus frontalement de questions sociétales brûlantes. Certes, la courte séquence d’Endgame reste un micro-événement louable (en plus d’être un joli petit moment de cinéma), mais les blockbusters ont besoin de rattraper leur retard avec beaucoup plus de vigueur et de positions franches.
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