La fermeture d’un magasin de bricolage comme la fin d’un monde. Un beau et subtil premier film documentaire de Samuel Bigiaoui.
C’est un endroit dans lequel on entre comme dans un sanctuaire. « Sésame, ouvre-toi ! » lance une cliente figée devant la porte vitrée du magasin qui visiblement, ce jour-là, est un peu capricieuse. Ce petit temple de discussions et de rencontres c’est Brico Monge, quincaillerie plantée au cœur du Quartier latin.
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A sa tête, Jean, la soixantaine passée, a déjà derrière lui plus de trente ans de métier. L’homme, au caractère bien trempé, a décidé de plier bagage mais la vente se révèle difficile. Quitter ses fidèles employés, c’est bien sûr pour Jean s’épargner une faillite et c’est aussi dire adieu, dans un profond déchirement, à une partie de sa vie.
Filmer un lieu destiné à disparaître
De l’autre côté de la caméra, Samuel Bigiaoui, fils de Jean, enregistre la fermeture progressive de l’endroit et recueille les témoignages des clients, habitués ou non, amis de longue date ou inconnus, venus acheter un outil ou simplement discuter de la pluie et du beau temps.
Filmer un lieu destiné à disparaître est par là même transmettre une certaine idée de l’artisanat et du commerce de quartier (le magasin sera remplacé par un Carrefour)… C’est inévitablement au cinéma d’Alain Cavalier, à son goût pour ces lieux en voie d’extinction (la cordonnerie de Léon ou la vieille maison de Jacquotte dans ses derniers portraits), que l’on pense devant ce beau premier film.
La fin d’une génération rêveuse et bagarreuse
Mais comme son titre l’indique, il est aussi question de famille. Au milieu du tumulte, le fils cinéaste tente de résoudre l’épineuse équation qui a transformé son militant maoïste de père en vendeur de clous. Une fois isolé dans la réserve, loin du brouhaha de la boutique, le patron livrera au filmeur quelques anecdotes sur sa folle vie d’ex-soixante-huitard.
C’est aussi la fin d’une utopie, d’une époque, celle de Jean et de ses amis, que filme subtilement Bigiaoui, la fin d’une génération rêveuse et bagarreuse, ayant trouvé repos dans un commerce de bricolage : « Ce magasin, c’est mon abri », dit Jean.
68, mon père et les clous de Samuel Bigiaoui (Fr., 2017, 1h24)
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