Retour sur ces films délaissés, mésestimés, amochés, méprisés par l’opinion publique et la critique et qui ont, pourtant, inspiré des générations de cinéastes. Bref, ces films qui méritent une deuxième chance.
La Politique des auteurs
Pour avoir une idée du champ que recouvre l’expression « film maudit », il faut passer par la politique des auteurs. Déployée durant la Nouvelle Vague sous l’impulsion d’Eric Rohmer, Francois Truffaut, Jacques Rivette, Jean-Luc Godard ou encore Claude Chabrol, cette politique, souvent perçue comme un mouvement théorique, s’apparente en réalité à une approche intime du septième art. En quelque sorte, aimer un cinéaste c’est aussi aimer ces œuvres « ratées », car derrière ces imperfections qui n’en sont pas vraiment se trouve un auteur.
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A partir de cette politique des auteurs se développe une affection particulière pour les œuvres rejetées, incomprises ou moquées des grands réalisateurs, dont le temps se chargera de mettre à jour toutes les beautés cachées. Il s’agit au fond de l’idée selon laquelle un grand film est aussi un rendez-vous raté avec l’histoire.
Le Festival du Film Maudit
En 1949, ces films maudits chéris auront même droit à leur festival grâce à l’emblématique ciné-club Objectif 49. Refuge et puissant vivier d’un cinéma d’avant-garde, le ciné-club décide d’organiser à Biarritz, en 1949, un festival réhabilitant les “films maudits” qui ne connaîtra que deux éditions mythiques. L’objectif : apporter de la lumière à des films sous-estimés, boudés à la sortie, amputés à outrance et parfois même interdits. Présidé par Jean Cocteau et entouré de nombreux ténors d’une jeune critique vigoureuse, le Festival du Film Maudit apparaît comme le berceau de la Nouvelle Vague. Programmant des films tels que Long Voyage Home, Shangai Gesture, The Flame of the New Orleans, Adress Unknown, les Dames du Bois de Boulogne, Lumière d’été, The Southerner, l’Atalante, Ride the pink Horse, Ossessione et bien d’autres, l’événement espère bouleverser les regards.
Voici donc nos 10 films les plus maudits de l’histoire du cinéma :
Intolérance de D. W. Griffith (1916)
En réponse aux accusations de racisme du film très controversé Naissance d’une nation (1915), D.W. Griffith offre une grande fresque historique contre l’intolérance. Imaginé tel un « combat de l’amour à travers les âges » articulé autour de quatre histoires représentant quatre époques différentes, Intolérance est un échec commercial retentissant. Avec son langage avant-gardiste (montages parallèles, alternance de plans larges et de gros plans, travellings à la grue…), le film suscite « moqueries, étonnement et agacement du spectateur », rapporte Sergueï Eisenstein dans son ouvrage Dickens et Griffith. Projet expérimental, moderne et audacieux, Intolérance s’avère finalement trop en avance sur son époque qui peine à étreindre le sublime de sa morale universelle.
La Règle du Jeu de Jean Renoir (1939)
En 1939 à sa sortie en salle, La Règle du jeu reçoit une avalanche d’attaques contre son intégrité, jusqu’à hériter d’une réputation de chef-d’œuvre maudit. Lors de la première de son film, Renoir raconte qu’il a vu un homme essayant de mettre le feu à la salle avec un journal et des allumettes. En plus d’être couvert d’insultes par le public et la critique, le film en lui-même souffre de nombreux maux. Sous la pression des distributeurs, Renoir est obligé de charcuter le montage de son film, venant même à retirer des séquences essentielles à la cohérence du récit – notamment le plan culte de l’agonie du lapin lors de la partie de chasse. Seulement à partir des années 50, La Règle du jeu est élu parmi l’un des chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma. Aujourd’hui ce film maudit a influencé maintes générations de cinéastes et se hisse très souvent au top des classements mondiaux des plus grands classiques.
Lola Montes de Max Ophuls (1955)
En décembre 1955, Max Ophuls présente son film Lola Montes qui, malgré les retours enthousiastes, est un échec commercial cuisant. Lors de la projection au Marignan « il n’y avait pas de bonnes ondes et les applaudissements polis étaient purement formels. On savait que le film ne marcherait pas bien » se rappelle l’assistant-réalisateur, Claude Pinoteau dans un entretien avec la Cinémathèque. Le film est retiré de l’affiche. Les producteurs ne donnent pas d’autres choix au cinéaste que de remonter l’œuvre pour en faire deux versions mutilées, raccourcies et doublées en français, anglais et allemands. Le chef-d’œuvre délaissé ressuscite en 2007 quand la Cinémathèque restaure le film. En 2008 Lola Montes fait l’ouverture de Cannes Classics et ressort en salle, salué par la critique internationale.
La Comtesse de Hong Kong de Charlie Chaplin (1967)
Cette comédie romantique burlesque toute en couleurs n’a elle aussi pas su convaincre le public. Echec commercial et critiqué pour son casting cin étoiles, avec les stars mondiales Marlon Brando et Sophia Loren, le film de Chaplin ne sera reconnu que bien des années plus tard. Seul, Rohmer défendra La Comtesse de Hong-Kong en disant qu’il apportait « très humblement sa réponse à la question des questions pour quiconque a pratiqué – ou aimé – le cinéma avant 1930 et entend le pratiquer – ou l’aimer – encore : comment concilier l’esprit du gag, son fantastique, sa poésie, avec le naturalisme obligé du cinéma actuel ? »
La Porte du Paradis de Michael Cimino (1980)
Lors de sa sortie en 1981 c’est LE plus grand flop de l’histoire du cinéma américain. Michael Cimino est catapulté au rang des cinéastes maudits et son film enterre ce qui devait être l’apogée du cinéma d’auteur hollywoodien. A peine après une semaine d’exploitation, le film est un tel désastre économique qu’il est retiré des salles. Le cinéaste travaille alors pendant huit mois à une nouvelle version coupée, remontée, amputée dans tous les sens, qui ressortira en 1981 et connaîtra à nouveau l’échec. « La Porte du paradis nous a tous coulés. À ce moment-là, j’ai compris que quelque chose était mort » confie Scorsese dans le livre de Peter Biskind, Le Nouvel Hollywood. Face à la liberté financière et artistique donnée à Cimino, les studios changent radicalement : ils s’emparent du pouvoir et initient le blockbuster des années 1980. Responsable de la fin du Nouvel Hollywood, aujourd’hui La Porte du Paradis est adulé – « l’une des sept merveilles du monde cinématographique » d’après Libération – ou détesté – le 6e pire film de tous les temps selon Empire.
Coup de cœur de Francis Ford Coppola (1981)
Après avoir atteint son apogée avec Le Parrain I et II, Conversation Secrète, palme d’Or en 1974 et Apocalypse Now, deuxième palme en 1979, Coppola se lance dans un projet plus intimiste en réalisant Coup de cœur, une histoire d’amour classique sous forme d’ode à l’Amérique. Malheureusement, le film rejeté par le public et la critique à sa sortie est un échec financier catastrophique. Coup de cœur, qui avait pour objectif de révolutionner le septième art, de par son ambition esthétique et ses immenses décors grandeur nature en studio, plonge le cinéaste en faillite. Coppola déclare qu’il a mis vingt ans à éponger ses dettes et rembourser les pertes du film. Comme Cimino, son mélodrame signe la fin d’une ère de liberté dans l’industrie.
Dune de David Lynch (1984)
Suite au succès d’Elephant Man, David Lynch se lance dans l’adaptation très attendue de Dune de Franck Hebert. Lors de sa sortie en 1984, malgré les avis mitigés, le film est un échec commercial cinglant. Considéré comme « le pire film de l’année » par le critique américain Roger Ebert, Dune finit même par être renié par son propre auteur qui lors de sa diffusion à la télévision demande à ce que son nom soit changé au générique et remplacé par le pseudonyme d’Alan Smithee. En 2011, Lynch confiait aux Inrocks : « Dune c’est [le film] qui me tourmente le plus ! Je n’avais pas le final cut et le film ne correspond pas à celui que je voulais faire, que je devais faire. Ça a été une grande leçon. » Alors comme nombreux films maudits, si aujourd’hui Dune est considéré comme une œuvre phare de la science-fiction, son échec relève probablement de son avant-gardisme.
Les Amants du Pont-Neuf de Leos Carax (1991)
Après le coup d’éclat de Mauvais Sang en 1986, Leos Carax se jette dans un projet ambitieux au budget pharaonique. Le tournage mythique des Amants du Pont Neuf reste gravé dans l’histoire du cinéma. Comédien blessé (Denis Lavant se coupe la main), coûts de production qui montent crescendo, potentielle faillite et décor monstre (le Pont Neuf de Paris reconstitué grandeur nature dans le sud de la France) détruit… Le film collectionne les catastrophes. A sa sortie en salle, c’est un fiasco économique (impossible à rentabiliser) et un semi-échec critique. Une partie de la presse « grand public » compare Carax à un enfant gâté, d’artiste à l’ego ingérable tandis qu’une tranche de la critique y voit un film certes « imparfait, mais recelant des instants d’intense beauté« , selon Les Inrocks. Tout de même sévèrement grillé au box-office, Carax ne tournera pas de nouveau film avant 1999 avec Pola X.
Showgirls de Paul Verhoeven (1995)
Un an après le triomphe de Basic Instinct, Verhoeven réalise un nouveau drame érotique dans l’espoir de réitérer ce succès. Malheureusement, le film est un échec cuisant, aussi bien critique que public. Variety publie une chronique incendiaire : « La seule chose positive dans Showgirls, c’est que sa sensibilité reflète à merveille le microcosme qu’il dépeint : incroyablement vulgaire, indigne et grossier. » Dans un entretien accordé au Inrocks en 2016, le cinéaste hollandais déclarait que « tout le monde semblait avoir un problème avec le film. Les critiques n’étaient pas seulement négatives. C’était une flambée d’agressivité et de haine. On en parlait comme du plus mauvais film jamais montré. Beaucoup étaient choqués par la nudité, trouvaient la façon de l’exhiber indécente, obscène. » Il est même élu pire film de la décennie lors des Razzie Awards en 2000. Mais pour certains, l’œuvre de Verhoeven est simplement incomprise et porte un réel message satirique sur l’ambition américaine. Dans un entretien de 1998 pour les Inrocks, Jacques Rivette défendait le film allant même à dire qu’il s’agissait « d’un des plus grands films américains de ces dernières années, […] c’est le meilleur film américain de Verhoeven et le plus personnel ». Enfin, en septembre 2016, Showgirls ressortait en salles et en DVD et, en passant de la crucifixion à la résurrection, décrochait le statut de film culte.
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Southland Tales de Richard Kelly (2006)
Projeté en compétition officielle au Festival de Cannes 2006, Southland Tales se vautre sur le tapis rouge. Le réalisateur qui connaissait le succès avec Donnie Darko en 2001 se remémore cet instant dans une interview pour SoFilm : « Le pire c’est qu’ils ne nous ont même pas hués. On les voyait juste se barrer de la salle. En silence. C’était traumatisant. On nous disait qu’on avait battu le record de journalistes sortis de la salle pendant une projection cannoise. » Suite aux réactions catastrophiques, la production impose un remontage du film, mais c’est déjà trop tard, avant même de faire une sortie ultra-discrète (et décevante) aux Etats-Unis, Southland Tales s’accole l’étiquette de « film maudit ». Pourtant, presque une quinzaine d’années après, le film de science-fiction semble sauvé des abîmes. Encore une fois sûrement trop tôt sur son temps, cette fable catastrophe prend tout son sens face à la réalité de l’Amérique. Le film parvient, comme aucun autre à capturer la chute d’une société. Richard Kelly avec Southland Tales invente un nouveau genre de film apocalyptique, et c’est très réussi.
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