[Journaux de non-confiné·es] Malgré la crise sanitaire, ils et elles continuent de travailler quotidiennement sans bénéficier du confinement. Ces non-confiné·es prennent la parole. Aujourd’hui, François, 32 ans, coursier à vélo pour Deliveroo et Uber Eats à Bordeaux.
“Depuis le début du confinement, il y a moins de restaurants d’ouverts, et du coup, moins de commandes. La rémunération a également baissé drastiquement : le midi, c’est très calme, on ne peut bosser que de midi à 13 heures sinon, ça n’est pas la peine, il n’y a pas de commandes. En ce moment, je fais maximum 15 euros le midi – ce midi, c’était exceptionnel, j’ai fait 27 euros en une heure. Le soir, l’activité est plus normale.
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Il faudra voir à la sortie du confinement, si l’activité reprend ou si elle reste comme en ce moment. Il faut savoir par ailleurs que chez Deliveroo, on a eu un changement dans notre travail : à la base, on doit s’inscrire à des créneaux sur un planning, ce qui fait qu’il y a un nombre limité de coursiers par heure, et donc un chiffre d’affaires normal. Mais là, juste avant le confinement, Deliveroo a décidé d’enlever le planning, de façon à ce que l’on passe en “free shift” – les shifts, ce sont les créneaux horaires. Par conséquent, on peut se connecter à la plateforme à n’importe quelle heure, sur le même fonctionnement que ce qui se fait chez Uber. Ainsi, actuellement, tous les coursiers ont accès à l’application – ce qui fait que, logiquement, notre rémunération descend : plus il y a de coursiers, moins il y a de commandes pour chacun. Je me dis que Deliveroo a profité de faire ça juste avant le confinement : forcément, on ne va pas pouvoir manifester. C’est un couteau dans le dos.
“Si ça se trouve, je suis porteur sain, et je suis en train de transmettre le virus à plein de personnes tous les jours”
Au tout début du confinement, j’étais très inquiet de continuer à travailler. Par la suite, j’ai trouvé que c’était plutôt cool car, contrairement à d’habitude, on est seul sur la route : il n’y a pas le stress habituel lié aux voitures, aux piétons. Mais, plus le temps passe, plus ça commence à être pesant : c’est compliqué de garder le rythme tous les jours. J’ai reçu ce midi un kit donné par Deliveroo : sept bouteilles de gel et sept masques. Sachant que les masques ne sont utilisables qu’une seule fois, eh bien, cela va juste me durer sept jours. Environ deux semaines après le début du confinement, on avait en effet reçu un mail nous disant que l’on pouvait leur faire une demande de réception de ce kit-là chez nous, gratuitement. Je ne l’ai donc reçu qu’aujourd’hui, ce qui est un peu tard, et je ne sais pas si c’est renouvelable, je ne pense pas. Concernant Uber, il me semble qu’ils ont proposé un truc similaire, mais je n’ai pas fait la demande – j’utilise cette plateforme uniquement en complément de Deliveroo.
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Deliveroo nous a envoyé une vidéo montrant soi-disant comment procéder pour respecter les gestes barrière lors d’une livraison, notamment le fait de déposer la commande devant la porte, de reculer de quelques mètres, avant que le client ne se serve directement dans notre sac. Le problème c’est que ok, c’est bien, mais dès le départ il faudrait que les restaurateurs jouent le jeu : ils préparent d’abord la commande, puis nous la passent. Ils l’ont donc touchée, on la touche ensuite, on la met dans notre sac, puis on la reprend, on la dépose devant chez le client, ce dernier la touche à son tour. Donc tous les jours, quand je vais au travail, je me dis : ‘Si ça se trouve, je suis porteur sain, et je suis en train de transmettre le virus à plein de personnes tous les jours.’ Forcément, ça me tracasse.
Depuis le début du confinement, on a beaucoup plus de pourboires. C’est d’ailleurs assez marrant car récemment, j’ai une cliente qui m’a donné cinq euros de pourboire et qui m’a remerciée en me disant qu’on était leurs héros. J’ai un petit peu rigolé : se faire livrer, c’est plutôt quelque chose de récréatif, ce n’est pas nécessaire. Par exemple, la semaine dernière pour une course Uber, j’ai eu une commande de deux paquets de feuilles pour cigarettes… Bref, je préférerais vraiment rester chez moi mais je ne peux pas me le permettre : il faut que je gagne de l’argent pour payer mon loyer, mes charges.
“On va continuer de lutter”
Certes il y a une aide de maximum 1500 euros pour les autoentrepreneurs prévue par le fonds de solidarité mis en place par le gouvernement, mais le problème est que la condition est de réaliser moins de 50 % de chiffre d’affaires par rapport au même mois, en 2019. Mais moi, l’année dernière à la même période, j’ai réalisé un petit mois par rapport à mars 2020, donc je suis obligé de continuer, je ne peux pas prétendre à l’aide.
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Ce que je souhaiterais, c’est que les plateformes nous donnent une rémunération à l’heure garantie, par exemple de 15 euros, ou qu’elles versent une prime à tous les coursiers parce que l’on va travailler. Ou alors que l’Etat nous donne une prime mais le mois d’avant : je n’ai pas d’économies, je ne peux pas me permettre de ne pas travailler. En mars, j’ai gagné 1200 euros bruts, et je pense qu’en avril ma rémunération va être à peu près similaire. Mais ça, c’est avant de payer mes cotisations à l’Urssaf, qui sont de 22 % car c’est ma quatrième année d’activité. Et c’est sans compter le fait que je n’ai pas de vacances, pas de congés payés, et mes frais pour le vélo, etc.
Cela fait quatre ans que je suis coursier, et tous les ans, avec les autres coursiers, nos chiffres d’affaires baissent, tous les ans, les plateformes modifient quelque chose dans leur fonctionnement. La première année où j’ai commencé, on n’était que des passionnés de vélo, aujourd’hui c’est l’opposé : il y a plein de scooters, des voitures, beaucoup de personnes qui sont malheureusement sans-papiers, bref, beaucoup de gens qui ont besoin d’argent. C’est évidemment bien pour eux de travailler mais les plateformes jouent énormément sur leur précarité. Je suis militant du syndicat des coursiers à vélo de Bordeaux. Dès que l’on aura la possibilité de faire des actions, on ne va pas s’en passer : comme tous les ans, on va continuer de lutter pour nos droits.”
Retrouvez les précédents épisodes de la série :
Episode 7 : Journal d’une infirmière en EHPAD non-confinée : “La solitude, elle ronge les personnes âgées”
Episode 8 : Journal d’une membre de la Cimade non-confinée : “Les réfugiés sont les héros des temps modernes”
Episode 9 : Journal d’un travailleur du sexe non-confiné : “Rester confiné est important mais manger l’est encore plus”
Episode 10 : Journal d’un primeur non-confiné : “J’ai l’impression de me sacrifier, mais c’est un métier d’utilité publique”
Episode 11 : Journal d’un chauffeur de taxi non-confiné : “J’ai le sentiment de rendre service”
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