Le Flamand crée une scène est ouverte aux spectateurs, qui se mêlent aux comédiens. pour une critique du pouvoir contemporain adaptée de pièces du dramaturge britannique.
On sait la propension du Flamand Ivo van Hove à représenter les cercles historiques du pouvoir en miroirs de notre époque. Les personnages des Tragédies romaines n’échappent pas à cette règle qui passe par le respect d’une élégance vestimentaire toute contemporaine, où les femmes apparaissent en tailleur et robe du soir tandis que les hommes portent costume et cravate. Un mobilier design, des plantes vertes et une foison d’écrans cadrent la manière volontariste de raconter ces histoires au présent dans les salons d’un hôtel de luxe dédié aux conférences internationales.
Sans vouloir chagriner le Grand Timonier qui affirme dans le Petit Livre rouge que “la révolution n’est pas un dîner de gala”, on peut malgré tout parler ici d’une petite révolution, si l’on sait qu’Ivo Van Hove invite le public à envahir l’espace de jeu tout en lui offrant la possibilité de boire et de manger, de twitter à sa guise et de consulter ses mails, tout au long des six heures de la représentation.
Une polémique mordante
Digne de la plus soixante-huitarde des assemblées générales, cette ambiance quasi insurrectionnelle – où la présence des spectateurs déborde en permanence celle des acteurs – lui permet de réunir la scène et la salle en une seule agora où va se dérouler l’action.
Se référant aux outrances des chaînes d’info en continu pour Coriolan, à la retransmission des grands débats politiques pour Jules César et osant le comique trash des émissions people dans Antoine et Cléopâtre, Ivo Van Hove décline les trois pièces de Shakespeare comme une critique sans concession des médias quand ils se réclament d’internet ou de la télévision. Retransmises sur un vaste écran, les intrigues du plateau sont caviardées à chaque pause.
La polémique se fait mordante quand, au moyen de bandeaux semblables à ceux qui annoncent les breaking news, on nous tease avec humour sur le nombre de minutes restant avant la mort des valeurs sûres de l’info que sont Coriolan, Jules César ou Antoine et Cléopâtre.
Transformant en une force de conviction sans pareille le fait d’avoir à jouer en permanence au milieu des spectateurs, les acteurs du Toneelgroep Amsterdam font des merveilles. Voilà dix ans que l’on a découvert les Tragédies romaines au Festival d’Avignon.
Depuis, le spectacle et ses comédiens ont été récompensés d’une volée de prix. Force est de constater que le temps, au théâtre comme ailleurs, n’a pas de prise sur les chefs-d’œuvre. La folle entreprise de ce parcours en trois temps dans l’œuvre de Shakespeare n’a pas pris une ride. Patrick Sourd
Tragédies romaines D’après Coriolan, Jules César, Antoine et Cléopâtre de Shakespeare, mise en scène Ivo Van Hove avec la troupe du Toneelgroep Amsterdam, en néerlandais surtitré en français, du 29 juin au 5 juillet, Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe