Retour sélectif sur la 25e édition du Sonar – une édition symbolique particulièrement intense et grisante. On y était, on vous raconte.
Difficile pour un festival de se réinventer et de rester aux avant-postes sans tomber dans la surenchère. Le Sonar Festival réussit pourtant à relever ce défi, tout en affichant une fréquentation toujours en hausse – plus de 126 000 spectateurs cette année, un record. Quoi qu’on dise, cette grand-messe des musiques électroniques et des arts numériques ne ressemble à aucune autre : organisation impeccable, programmation à la fois exigeante et populaire, expériences sonores et/ou visuelles hors normes.
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Rainforest Spiritual Enslavement
Super groupe emmené par Dominick Fernow (alias Vatican Shadow), accompagné par le légendaire Silent Servant et le très en forme Philippe Halais (plus connu sous le nom de Low Jack), tout ceci ne laissant présager que du bon. C’est dans la salle bleue et obscure du SonarDôme que les hostilités s’engagent. L’album Ambient Black Magic, paru l’an passé sur Hospital Productions, résonne déjà comme un classique dans son genre, mélange d’ambient, dub aux beats glacials et nappes de synthés vaporeuses. Le début du concert donne l’impression d’entrer dans une jungle luxuriante et humide, où l’atmosphère devient peu à peu plus inquiétante avec le trio qui accélère le rythme. On se laisse porter par cette montée abyssale et captivante, hypnotisé, incapable de bouger pris dans les marécages. Première claque du festival !
Rozzma
Le très sélect magazine anglais Wire fait la une de son numéro de juillet sur la nouvelle vague musicale du Caire – une vague dont le jeune Rozzma, à la fois MC et producteur, est assurément l’un des plus percutants représentants. Découvert via divers clips diffusés sur Youtube, par exemple celui-ci, il a notamment tapé dans l’œil (et l’oreille) des deux gaillards d’Acid Arab qui ont choisi de démarrer leur label avec son EP, Donya Fakka, sorti fin 2017. Malgré l’énergie indéniable qui les anime, les six morceaux du EP apparaissent bien palots à l’aune du live absolument torride donné par Rozzma lors du premier jour de ce Sonar 2018. Gonflé à bloc, il a transformé la petite salle du Sonar XS en véritable volcan, déversant un fracassant magma électronique – entre hip-hop, bass music et techno – rendu encore plus irrésistible par les sonorités orientales qui le traversent.
Nìdia
Jeune Portugaise exilée dans le sud de la France et signée sur le label Principe Records dont on vous a parlé ici. Sur la scène du Sonar XS, elle fait sensation, s’amusant de tous les styles: du kuduro d’Angola à d’autres comme la bâtira, kizomba ou le funana. Autant dire un mélange des genres à haute fréquence rythmique en fusion dans un set d’anthologie, équipée de quatre CDJs pour assurer ce tour de force. Le public vacille sur le remix de Hotline Bling de Drake version kuduro, il est 21h00 et le soleil se couche à peine sur la capitale catalane.
Ibiza Pareo
Le vendredi après-midi, on a droit à un autre joli coup de chaud – mais dans un registre nettement moins agité. Comme son nom le suggère joliment, le duo féminin (et argentin) Ibiza Pareo fait souffler une brise musicale légère aux doux relents baléariques. On se laisse volontiers emporter par cette électro-pop languide et radieuse comme un après-midi d’été, dont le charme agit sur disque (cf. leur album tout récemment paru, Bailemo Juntas) aussi bien que sur scène, où les deux señoritas font preuve d’un entrain très communicatif. A la fin de leur concert prodigue en bonnes vibrations, la salle du Sonar XS semble prise d’un plaisir XXL.
DESPACIO (James Murphy + 2manydjs)
Cette édition anniversaire a vu le grand retour du Despacio, un dancefloor survitaminé au look des plus extravagants que le trio James Murphy + 2manydjs exploitent à merveille. Avec six enceintes disposées dans un espace circulaire, le Despacio est connu pour sa clarté et sa puissance incroyables : ici, chaque rythme compte. Distinguant à peine une pourtant imposante boule à facettes, le public évolue dans une obscurité quasi totale, ce qui donne les pleins pouvoirs à la danse. On oublie ainsi la starisation des DJs pour se concentrer uniquement sur le son. L’impact est saisissant pour les participants bénéficiant de conditions optimales – il en résulte que le dancefloor restera compact tout au long des trois jours. On passe de la disco au rock, au funk ou encore à la house et quand tout s’envole avec ce remix de Little Flully Clouds de The Orb, le public est en apesanteur dans ce moment intemporel, où les lumières s’allument brièvement pour lui rendre encore plus de clarté.
Francisco Lopez/Die Angel
Auditorium avec places assises et acoustique optimale, le SonarComplex est l’espace du site de jour dévolu aux expériences musicales les plus singulières et aventureuses. On a pu y assister au live remarquable de Francisco López, figure majeure du minimalisme et de l’art sonore. La beauté suggestive de sa musique finement évolutive se donnait à ressentir pleinement grâce à un dispositif ad hoc : salle plongée dans la pénombre, rien à voir sur scène, les spectateurs étant même invités à se bander les yeux avec un masque pour se concentrer au maximum sur cette longue plage atmosphérique très accidentée. Une expérience analogue a été offerte par Die Angel, duo formé par Ilpo Vaisanen (ex- Pan Sonic) et Dirk Dresselhaus (alias Schneider TM). Conçus à base d’électronique et de guitare électrique, leurs paysages instrumentaux, plus ou moins touffus et mouvementés, émettent un vif éclat hypnotique (amplifié par les vidéos) au long du live et atteignent leur pic d’intensité dans les vrombissantes dix dernières minutes.
Chino Amobi
On a été soufflé par la performance de Chino Amobi. Difficile de qualifier la musique de l’Américain. Repéré par Wire, qui lui a décerné la palme du meilleur album de 2017 pour Paradiso, sorti sur le label new-yorkais de UNO qui inclut un casting des artistes les plus radicaux du moment comme Elysia Crampton, Nkisi ou encore Embaci, entre autres. Les lives de Chino Amobi sont rares, trop rares, alors on se presse sur la scène du Sonar XS. Le son est poussé dans ses retranchements pour une immersion complète dans ce qui va ressembler à une grande fiction sonique. Tout le long, il va user de nos oreilles pour proposer un set stellaire et sonique mélangeant des sonorités électroniques, noise, rock et R&B et en multipliant les superpositions de couches sonores. Hurlant dans son micro comme si c’était la dernière fois : l’engagement sur scène est tel qu’il est difficile de rester insensible à ce chaos. On pense à Yves Tumor dans le genre et on se dit qu’on aimerait bien le voir en action plus souvent.
Call Super
Autre moment fort de cette 25e édition. De jeunes DJs tels que Call Super ou Objekt sont programmés sur la plus grosse scène du Sonar de nuit, le SonarClub, juste après les LCD Soundsystem, dont on souligne au passage la très belle performance. Beau parti pris que de vouloir révéler au plus grand nombre les talents de cette nouvelle génération de DJs, qui se retrouvent ici propulsés devant 10 000 personnes dans une grande communion où résonnent techno et house à l’unisson pour un set impeccable avec de purs moments d’euphorie. La pression était énorme : seul avec ses platines, Call Super balance un set titanesque qui résonne encore dans nos oreilles.
http://www.youtube.com/watch?v=n0C4t4Pegl8
DJ Earl & Nick Hook
La légende défunte DJ Rashad aura marqué les esprits du Sonar 2012 à tout jamais. On se souviendra désormais du show de DJ Earl, génie de la galaxie Teklife. Il officiait sur la scène du SonarDôme aux côtés de Nick Hook, ce live faisant suite à leur album paru en 2017 sur Fool’s Gold Records, 50 Backwoods. Un show enflammé, empreint de footwork mais pas seulement, allant très loin encore une fois dans le mélange des genres. Le chant et le synthé torturé de Nick Hook apportent de la profondeur au live et dramatisent certaines séquences, rendant le set viscéral. La tension est électrique. S’ajoutent des vidéos dans lesquelles on voit notamment une plantation d’herbe filmée par camera de surveillance se déformant à l’infini avec les béats tranchants et infinis : “Smoke Trees” comme le suggère lourdement la chanson de DJ Manny répétée en boucle. Le ton est donné.
John Talabot
Aménagée sous un chapiteau circulaire aux hautes tentures rouges, la scène du SonarCar fait figure de refuge à taille humaine dans l’immense enceinte du site de nuit. Elle a pour autre spécificité d’être confiée chaque soir à un(e) seul(e) DJ, ou à deux DJ en back-to-back, qui officie(nt) all night long, de minuit à 6 heures du matin. Cette année, DJ Harvey (à ne pas confondre avec sa presque homonyme PJ) et John Talabot étaient les deux heureux élus, chargés d’embarquer le public dans cette longue traversée électronique. Trop décousue et inconstante, la performance de DJ Harvey n’a pas vraiment convaincu. En revanche, John Talabot – auquel on doit notamment un DJ-Kicks paru en 2013 – a livré une prestation magistrale. Au lieu de jouer la carte de la facilité en tapant tous azimuts, il a su maintenir le dancefloor en haleine et en alerte avec un mix au tempo plutôt lent et aux modulations subtiles. Flottante et lancinante, parfois aussi très frappante, cette techno a semblé jaillir d’un rêve ou d’un after (voire d’un after de rêve) et a subjugué de bout en bout.
Charlotte de Witte
Dans la foulée (et encore sous l’emprise) du set classieux de John Talabot, on a terminé la seconde et dernière nuit du Sonar 2018 sur la (très grande) scène intérieure du SonarClub en compagnie de Charlotte de Witte. Actuellement en pleine ascension, celle-ci – qui sort un nouveau EP (The Healer) chez NovaMute cette semaine – n’a pas failli à sa réputation en administrant un DJ-set techno ample et puissant, à la (dé)mesure du SonarClub, dont chaque coup de boutoir mettait la foule en transe.
Ryuichi Sakamoto et Alva Noto
Il n’y avait pas plus belle façon de clôturer ce Sonar 2018 que d’inviter Ryuichi Sakamoto et Alva Noto pour un concert dominical sur les hauteurs de Barcelone, au Theater Grec. Bâtiment historique ou l’on s’installe dans une atmosphère des plus agréables, la fraîcheur de la nuit étoilée venant adoucir trois jours d’exposition intensive au soleil. 1h30 de show durant lequel on se laisse happer par les notes de piano distillées par un Ryuichi Sakamoto en très grande forme et un Alvo Noto déposant avec une grande délicatesse riches textures sonores, tonalités perçantes et nappes d’ambient. L’alchimie entre les deux est saisissante. On attendait beaucoup de ce concert après l’album Glass du duo, sorti cette année, et le bluffant Async (2017), l’un des albums les plus forts de Sakamoto depuis sa reprise d’activité après avoir surmonté un cancer de la gorge. Le cadre splendide du Theater grec a rendu ce moment encore plus magique.
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