En disséquant le fonctionnement de l’État islamique et les méthodes de celles et ceux qui le combattent, le thriller Kalifat appréhende le processus de radicalisation avec justesse mais manque de souffle et d’épaisseur émotionnelle.
Cet article comporte des révélations sur l’intrigue de la série Kalifat.
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Lors de sa diffusion sur la chaîne publique suédoise SVT en janvier, la série Kalifat avait battu des records d’audience en appliquant les codes éprouvés du thriller d’espionnage aux enjeux complexes de la lutte contre le terrorisme islamique. Sa mise en ligne discrète sur Netflix le mois dernier a semble-t-elle souffert de l’effet loupe associé au Coronavirus : chaque crise majeure opère le vide autour d’elle et ancre les populations qui la subissent dans un présent perpétuel, au risque de détourner l’attention collective de maux plus anciens. La menace terroriste et les drames humains qu’elle charrie pourraient de fait nous apparaître lointains.
Des trajectoires croisées dans l’ombre de l’État islamique
En croisant les trajectoires de personnages aux prises avec l’État islamique, Kalifat est pourtant chevillée à des enjeux d’une actualité tranchante. Partie faire le djihad avec son mari à Raqqa, Pervin craint pour sa vie et tente de rentrer en Suède avec son bébé. Elle parvient à nouer un contact téléphonique avec Fatima, une agente des services de renseignement suédois qui voit ses tentatives de rapatrier la jeune femme entravée par sa hiérarchie. Dans le même temps, Sulle et Kerima, deux lycéennes influençables, sont embrigadées par un assistant de scolarité qui cherche à les envoyer en Syrie.
Soutenue par la qualité de ses interprètes, la série tire ainsi plusieurs fils narratifs qu’elle met sous tension. Pervin et Fatima se soutiennent et s’utilisent dans un jeu dangereux aux mises colossales (il s’agit d’obtenir des informations sur un attentat sans signer l’arrêt de mort de la première), et le rêve syrien de Sulle et Kerima se trouble par frottement au cauchemar de Pervin.
Disséquer le processus de radicalisation
La réussite de Kalifat tient à l’extrême précision de son approche du processus de radicalisation, dont elle met en scène les rouages géopolitiques comme les ressorts intimes. Arborant un masque d’autorité bienveillante, les recruteurs ciblent des jeunes gens émotionnellement ou socialement fragiles auxquels ils offrent écoute et considération. Tout en instrumentalisant le sentiment de rejet éprouvé par les populations musulmanes d’Europe, ils leur font miroiter un idéal (une cause et une communauté) à grand renfort d’images de propagande. ballottées entre les agents d’un réseau tentaculaire, les recrues se heurtent à la violence du réel par désillusions successives, souvent trop tard pour faire machine arrière.
La singularité de la série réside aussi dans sa façon d’embrasser le quotidien des radicalisés depuis ses contours tragiques jusqu’à sa substance plus prosaïque. Si les rues de Raqqa s’embrasent sous les bombardements, les exécutions publiques ou les tirs de kalachnikovs, l’intimité de ses habitants se déploie en tâches domestiques, disputes de couple ou visionnage de séries TV : au cœur du cyclone, on continue malgré tout à vivre.
Malgré cette qualité de regard, il manque à Kalifat un souffle et une épaisseur émotionnelle pour qu’elle s’imprime en nous de façon durable. La ligne dramatique de la série, pas toujours très assurée, se distend régulièrement en baisses de rythme, ou claque en accélérations mal dosées. Tout en refusant de jouer pleinement la carte du thriller d’espionnage nerveux façon Homeland, elle dilue son approche au raz du réel dans des effets dramatiques un peu épais, et nous laisse entre deux eaux. Compte tenu de la complexité du sujet, on aurait aimé y naviguer avec plus d’assurance.
Kalifat, de Wilhelm Behrman, avec Gizem Ergogan, Aliette Opheim, Albin Grenholm… Sur Netflix.
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