D’abord dévoilé sur la scène du Théâtre du Châtelet avec le collectif de danse (La)Horde, le cinquième et passionnant album de Rone, Room with a View, résonne étrangement dans notre monde confiné. Explications avec son auteur, producteur électronique et citoyen clairvoyant.
Avec Room with a View, intitulé prophétique de son cinquième album et d’un spectacle de danse avec (La)Horde, Erwan Castex, alias Rone, n’imaginait pas un seul instant être rattrapé aussi vite par l’actualité, par l’histoire tout simplement. “Dernière rave avant l’apocalypse”, titrait d’ailleurs notre collègue Fabienne Arvers, dans son article paru dans Les Inrocks avant les représentations au Théâtre du Châtelet, à Paris.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On connaît la suite : fermeture des salles de concerts et de spectacle vivant depuis le 13 mars, confinement général pour tout le territoire hexagonal depuis le 17 mars. Confiné en famille à Montreuil, touché par le Covid-19 et passé par tous les états d’âme comme physiques, Erwan Castex répond à nos questions par Zoom, avec l’impression trouble de vivre une sortie d’album en pleine science-fiction.
“L’an dernier, quand on parlait de l’urgence climatique, des effondrements environnementaux et sociétaux avec la troupe des danseurs de (La)Horde pour préparer le spectacle autour de mon disque, personne ne pensait donner nos premières et dernières dates dans un troublant effet miroir entre la scène et la salle, où certains personnages portaient des masques comme des spectateurs.”
Un album quasi instrumental
Au générique de l’album, des titres comme Esperanza, Solastalgia et surtout Nouveau Monde transcrivent, quasiment en direct, un printemps irréel. Presque surpris à son corps défendant par un tel écho, Rone a, un temps, hésité à repousser la sortie de son cinquième album, le successeur attendu de Mirapolis (2017). En parfaite harmonie avec son label InFiné, l’électronicien breton fait donc paraître Room with a View six semaines exactement après avoir renoncé aux représentations du Châtelet. Dans ses rêves nocturnes, il songe encore à ce haut lieu parisien devenu fantomatique, où une partie de ses machines demeure entreposée sine die.
Dans cet album quasi instrumental, à l’inverse des deux précédents qui comptaient d’illustres interprètes au CV bigarré (Etienne Daho, François Atlas, Baxter Dury, Kazu Makino ou encore Saul Williams), un morceau central se détache du lot : Nouveau Monde. Sur fond de bleeps mélodiques, les voix d’Alain Damasio, auteur de science-fiction, et d’Aurélien Barrau, astrophysicien, se répondent dans un échange au départ télévisé : “Il s’agit simplement de consommer un peu moins, bordel ! C’est quand même pas la fin du monde ? !” “C’est l’un des premiers morceaux que j’ai composés, précise Erwan, et leur conversation pose les clés de lecture de l’album. Ça m’a servi de point de départ pour concevoir le spectacle avec La (Horde), en appuyant le point de vue d’Alain Damasio de proposer en tant qu’artiste un nouvel imaginaire. Même si le spectacle apporte évidemment davantage de questions que de réponses.”
Derrière ses faux airs de (jeune) Professeur Tournesol de l’electro française, Erwan Castex parvient à mêler ses interrogations de citoyen du monde et ses ambitions de producteur électronique. Ainsi, dans Le Crapaud doré, il évoque “la première espèce qui a disparu à cause du réchauffement climatique. C’est un hommage à cet animal que je n’ai pourtant jamais vu de ma vie.”
A travers son cinquième album bouclant un cycle entamé avec son premier effort, Spanish Breakfast (2009), qui comptait déjà Alain Damasio au générique (Bora vocal), Erwan Castex semble presque dépassé par la signification de Room with a View : “Aujourd’hui, alors que nous sommes tous confinés depuis plus d’un mois, ce titre a fatalement pris un sens incroyable. Mais la fenêtre à laquelle je pensais de prime abord, c’était celle du smartphone, de l’écran qui nous balance autant d’informations instantanées. Il m’est arrivé d’halluciner sur le discours de fin du monde porté par les collapsologues, qui est parvenu de manière fulgurante dans les gros titres des médias. Loin de moi l’idée d’être un moralisateur, je souhaitais simplement me poser en observateur. De ce point de vue-là, Room with a View est un instantané de ce qu’on ressent individuellement.” Quoi qu’il advienne, ce cinquième album de Rone restera comme la bande-son d’un printemps 2020 confiné et indéterminé.
Room with a View (InFiné/Idol). Disponible en version numérique le 24 avril
{"type":"Banniere-Basse"}