Tristan Garcia se met à la SF et dépeint une humanité déboussolée entre progrès et soif d’idéal.
On aurait son 06, on appellerait Tristan Garcia pour obtenir quelques explications – savoir à quoi ressemblent ses rêves, s’il carbure aux psychotropes ou au thé vert quand il écrit. Il faut dire que depuis La Meilleure Part des hommes, premier roman choc en 2008, l’écrivain n’a cessé de surprendre. Tant mieux pour le lecteur curieux, prenant patiemment ses marques entre la satire eighties, la fable animalière (Mémoire de la jungle) et le recueil de nouvelles sur le sport (En l’absence de classement final).
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Avec Les Cordelettes de Browser, Garcia cultive sa veine la plus marginale. Au principe du livre, on trouve cette hypothèse futuriste : le temps s’est arrêté et le monde est désormais soumis au cours très chiant de l’éternité. Les humains sont rivés à leur « console », ce talisman qui leur permet de revivre ou modifier le présent – comme Dreamer Wallace, fossile humain âgé de 10 000 ans qui prend la même douche dix fois par jour ; Viv, une starlette s’employant à rejouer compulsivement le film de sa vie ; ou David Browser, le prophète astronaute qui a libéré le monde des pendules et flotte en orbite aux confins de l’univers.
Pure œuvre d’imagination
En basculant de plain-pied dans la SF, Garcia tourne le dos à un certain surmoi discursif, au profit d’une pure oeuvre d’imagination. Délivrée de tout souci réaliste, chaque scène s’offre comme une sublime virée onirique, avec ses promesses de mirages (vaisseau reptilien, planètes pourrissantes et crépusculaires), de visions pop (western, soap, film d’anticipation), de bestiaire improbable (serpent à sonnettes, chevaux en acier, poulpe géant). Le monde se démultiplie en paysages abstraits et sans fin à la Moebius, tandis que la vie humaine se voit réduite à un bug perpétuel.
« On chante les vieux airs, on récite les poèmes classiques, on copie et on colle les images d’antan. » Chassez le philosophe, il revient au galop. Par sa fable intergalactique, Garcia invite à relire le monde. Il s’en prend à son recyclage bégayant – le désir d’éternité comme parabole. Garcia prône la fin de la toutepuissante pensée humanoïde et un retour à l’intelligence du réel et de ses objets – thèse défendue dans son essai de philo paru en 2011, Forme et objet – Un traité des choses. Renvoyant dos à dos quête du paradis perdu et mythologie du progrès, pro et anti-éternité, Garcia offre une autre façon de voir et de penser, une manière de réenchanter le monde.
Les Cordelettes de Browser (Denoël), 288 p., 18 €
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