Luke Cage, le justicier du quartier new-yorkais de Harlem, poursuit sur Netflix sa lutte contre le crime organisé dans la deuxième saison d’une série Marvel aussi élégante que politique.
Sweat à capuche criblé d’impacts de balles, hip-hop dans les oreilles, regard noir et poings serrés : c’est un héros aux contours affirmés qui foule le pavé du Harlem nocturne irisé de néons au début de la saison 2 de Luke Cage.
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Après une première apparition en barman planqué dans Jessica Jones, Carl Lucas (alias Luke Cage) avait embrassé pleinementson rôle de protecteur de la veuve et de l’orphelin et d’épouvantail à gangsters dans le premier chapitre de ses aventures en solitaire, avant de s’offrir une parenthèse collective auprès des dispensables Defenders. Véritable emblème pour son quartier, il en sillonne désormais les travées les moins recommandables pour lutter contre le crime.
De la blaxploitation au black power
Créé en 1972 par le scénariste Archie Goodwin et le dessinateur John Romita Sr., Luke Cage (aka Power Man) est le premier superhéros noir à bénéficier de sa propre série de comics. Ses aventures s’inscrivaient alors dans le courant de la blaxploitation, qui revalorisait les personnages afro-américains, marginalisés dans la culture dominante, en leur offrant les premiers rôles de fictions principalement cinématographiques. Stéréotypées et joyeusement alambiquées, les intrigues inégales s’ancraient néanmoins dans la réalité socioculturelle d’une communauté.
Diffusée en 2016, la première saison de l’adaptation télévisuelle de Luke Cage s’inscrivait quant à elle dans une séquence de résurgence des figures fictionnelles de l’empowerment noir américain, précédant Black Lightning sur le petit écran et Black Panther sur le grand. Elle offrait également une caisse de résonance éminemment politique au mouvement Black Lives Matter, en intégrant à sa narration les questions des violences policières, du racisme systémique envers la communauté noire et des difficultés socio-économiques qui la rongent.
Figuration antispectaculaire des pouvoirs superhéroïques et réalisme cru de l’action, équilibre subtil entre les conflits intérieurs et les combats extérieurs, et ancrage territorial fort à l’échelle d’un quartier
Troisième jalon de l’univers télévisuel étendu Marvel/Netflix après l’efficace Daredevil et l’excellente Jessica Jones, Luke Cage en reprend les codes résolument contemporains : figuration antispectaculaire des pouvoirs superhéroïques et réalisme cru de l’action, équilibre subtil entre les conflits intérieurs et les combats extérieurs, et ancrage territorial fort à l’échelle d’un quartier (Harlem remplaçant ici le Hell’s Kitchen de ses collègues).
Tout en tissant des liens avec ses aînées, principalement par le truchement de personnages secondaires, la série créée par Cheo Hodari Coker s’était dotée en quelques épisodes d’une identité forte. Récit de gangsters codifié à la patine rétro électrisé de tubes hip-hop, blues et funk, elle entrelaçait les scènes d’action nerveuses à des respirations quasi documentaires inédites pour le genre. On se souvient des longues discussions dans le salon de coiffure du mentor Pop à base d’estimations sportives, de vannes affectueuses et de jurons étouffés, ou de ces cafés peuplés de vieillards tuant le temps au fil d’interminables parties de cartes ou de dominos.
Mike Colter, un roc au charisme dévastateur
Si des longueurs venaient entacher une progression narrative parfois confuse, cet entrelacs de dictions et d’accents et ce choc entre l’anecdotique et le tragique chargeaient la fiction, par ailleurs finement stylisée, d’effets de réel saisissants. Y surnageait la figure du colosse taciturne incarné par Mike Colter, roc secrètement brisé au charisme dévastateur et à la coolitude imparable, à la recherche d’une place et d’un but dans le monde.
Après l’assassinat du parrain Cornell “Cottonmouth” Stokes et la mise hors circuit de Diamondback, c’est désormais Mariah Dillard (fascinante Alfre Woodard) qui règne sur la pègre depuis les salons classieux du Harlem Paradise. Avec l’aide de son partenaire et amant Hernan “Shades” Alvarez, la politicienne véreuse tente de blanchir la fortune familiale en transférant ses parts dans le trafic d’armes vers des projets d’utilité sociale (dont un centre pour mères célibataires en difficulté). Cette reconversion attise la convoitise de gangs rivaux, dont une confrérie jamaïcaine menée par le sinistre Bushmaster.
Comme dans la saison précédente, la frontière entre le bien et le mal est poreuse, et les figures d’antagonistes bénéficient d’un traitement narratif exceptionnellement fin. Au-delà des règlements de comptes sanglants, le banditisme tisse des ramifications politiques, sociales et mondaines, les gangsters les plus flamboyants deviennent des idoles locales, et les arrestations policières laissent des familles dans la galère. Aussi riche soit-il, cet échiquier criminel en forme de guerre de territoire donne lieu à un début de saison à infusion lente, entre manœuvres financières, agents infiltrés et assassinats discrets. Et si Luke et la policière Misty Knight suivent chacun de leur côté d’intrigants fils narratifs, il leur faut un peu de temps pour les rassembler en un écheveau solide et dénuder les enjeux dramatiques réels de ces nouveaux épisodes.
Le chemin de la guérison
A l’instar de la saison 2 de Jessica Jones, ce nouveau chapitre est également une histoire de reconstruction. Plus encore que la violence qui gangrène les rues du quartier ou les sombres manœuvres qui se trament dans ses hautes sphères, c’est une noirceur intérieure que les personnages doivent affronter, celle qu’exhalent leurs propres traumas ou qui en recouvre la béance. Histoire d’origines ébréchées pour Luke Cage : entre un père irresponsable et un demi-frère psychopathe, une acquisition douloureuse du pouvoir superhéroïque ; acceptation du handicap pour Misty Knight, amputée d’un bras dans The Defenders, et d’une détresse personnelle profonde pour l’infirmière Claire Temple.
Quand elle devient trop pénétrante, cette noirceur dissout peu à peu les vies professionnelles (le difficile retour de Misty au commissariat) ou amoureuses (la relation heurtée entre Claire et Luke) et s’infiltre sournoisement jusqu’aux replis de l’âme les plus secrets. La guérison passe par un lent travail d’acceptation et de compréhension de la blessure, pendant traditionnel du “don” superhéroïque qui a trouvé dans Incassable et Split de M. Night Shyamalan sa formulation la plus limpide : “The broken are more evolved.” Elle s’affirme également par un retour aux sources familiales, restauration de racines rongées par la rancune et le remords : c’est un père apparemment assagi qui tente de renouer avec Luke Cage, et le retour d’une fille perdue de vue qui renforce Mariah Dillard dans sa toute-puissance.
A travers des espaces clés fonctionnant comme de véritables polariseurs dramatiques s’opère l’autopsie d’un espace en pleine mutation
Plus qu’un justicier solitaire, Luke Cage semble indissociable du quartier dans lequel il officie. Une des affiches promotionnelles de la saison figure à juste titre le personnage portant Harlem sur son dos comme un Hercule des temps modernes, et la série se démarque avant tout par son ancrage géographique. A travers des espaces clés fonctionnant comme de véritables polariseurs dramatiques (le salon de coiffure, le commissariat et surtout le Harlem Paradise, écrin versatile d’incroyables concerts filmés comme des tueries des plus sanglantes) s’opère l’autopsie d’un espace en pleine mutation. Les investissements et projets de rénovation urbaine côtoient la précarité la plus extrême, et la gentrification galopante se heurte à un protectionnisme inquiet, incarné dans sa forme la plus extrême par le “Preserve Harlem black” de Mariah Dillard.
L’une des plus belles idées de ces nouveaux épisodes est de confronter Luke Cage à la dépossession progressive de son image : on mesure ses performances physiques, on l’exhibe comme une bête de foire, on le suit à la trace grâce à une application mobile et on en recycle les atours en produits dérivés. Si violente soit cette expropriation, elle dessine en creux un fascinant passage de l’individu à la communauté, qui permet d’en mettre en lumière les blessures et aspirations.
Luke Cage saison 2 Disponible le 22 juin sur Netflix
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