Une grande œuvre au casting all-star, qui met en lumière l’émergence d’icônes féministes américaines dans les années 1970.
Mrs. America était la série que l’on n’attendait plus. Une série magistrale, qui prend son temps, dont l’écriture nous rappelle les monuments de la période des Difficult Men, pour reprendre le titre de l’essai de Brett Martin. Celles des années 2000 – Les Soprano, The Wire, Mad Men – aux dialogues ciselés, s’autorisant des moments de silence et maniant l’art du détail qui révèle les failles les plus profondes des personnages. Seulement ici, tous les héros sont des héroïnes. Et cela change tout. Les questions concernant les femmes n’avaient jamais été traitées avec autant de sérieux que celles de ces hommes tourmentés.
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Cette minisérie historique retrace l’organisation du mouvement féministe des années 1970 aux Etats-Unis, alors que l’amendement pour l’égalité des droits entre les hommes et les femmes doit passer devant le Sénat. Où comment la politique se mêle au politique, et donc à l’intime. Chacun des neuf épisodes (nous avons pu en voir trois au moment de l’écriture de ce texte) porte le prénom de celle dont on épousera le point de vue.
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Le premier est celui de Phyllis Schlafly, une militante conservatrice, interprétée par la géniale Cate Blanchett, qui s’oppose à la ratification de l’amendement. Les suivants observent ce qui se passe dans le camp adverse, celui des féministes, avec Gloria (Steinem), qui se bat pour légaliser l’avortement, et Shirley (Chisholm), la première femme noire à se porter candidate pour l’élection présidentielle en 1972.
L’intersectionnalité en question
Bien que ces combats se soient déroulés il y a plus de cinquante ans, Mrs. America se révèle étonnamment contemporaine. D’abord en intégrant les questions de classe et de race (au sens social) dans les luttes féministes et en montrant comment cette intersectionnalité fait du mouvement un espace vivant mais surtout fragile.
Chacune ayant des priorités politiques différentes (le droit à l’avortement, le droit des femmes noires, le droit des travailleuses), leur puissance de frappe est divisée et l’agenda de leurs adversaires s’en voit renforcé. Les plus grands ennemis des féministes ne sont pas les hommes, mais les féroces femmes patriarcales qui s’organisent, avec Phyllis Schlafly à leur tête.
La force de Mrs. America est de ne pas réduire Phyllis Schlafly à un personnage de méchante mais de montrer au contraire ce qui l’emprisonne. Au lieu de se battre contre le patriarcat, elle décide de se battre avec, pensant que c’est le meilleur moyen pour avancer. C’est ce que la théoricienne Andrea Dworkin définissait comme mécanisme de survie dans Les Femmes de droite : “Elles n’ont pas tort. Elles utilisent le sexe et les bébés pour préserver leur valeur parce qu’elles ont besoin d’un toit, de nourriture, de vêtements.”
La série déploie la violence de la misogynie (des hommes et des femmes) qui se glisse parfois de manière insidieuse dans un regard, ou de manière plus frontale, comme dans une scène de viol conjugal filmée du point de vue de Phyllis, ce qui n’est jamais représenté dans nos fictions.
“De l’autre côté de notre écran, nous nous sentons enfin vues par la fiction”
La série regarde à égalité les “Mrs.”, titre de la série qui se réfère au statut des femmes mariées, et les “Ms.”, titre du magazine de Gloria Steinem, qui ne présume pas du statut marital des femmes. Finalement, c’est bien d’adresse qu’il est question. Comment on s’adresse aux femmes dans l’espace public et privé, et comment les femmes doivent dialoguer entre elles pour sortir de cette oppression systémique. Celles qui reçoivent la newsletter de Phyllis, en voyant les trois lettres “Mrs.” sur l’enveloppe, parmi tout le courrier adressé à “Mr.”, se mettent à exister.
Tout comme l’inconnue demandant à Gloria Steinem de lui signer son exemplaire du magazine Ms. se sent regardée quand Gloria comprend que cette femme a dû, elle aussi, avorter clandestinement. La scène dure à peine quelques minutes, mais ce moment de partage d’expérience, d’espace où deux femmes peuvent s’exprimer librement, loin des hommes, déploie une émotion qui percute. Les scènes où le lien apparaît sont les plus belles.
Elles agissent comme une mise en abyme de la série car, quand Mrs. America arrive jusqu’à nous, quand son adresse est reçue de l’autre côté de notre écran, alors nous nous sentons enfin vues par la fiction.
Mrs. America sur Canal + Séries à partir du 16 avril
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