Le mercredi 20 juin, à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, Médecins du Monde et le centre Primo Levi sortent un rapport accablant sur la souffrance psychique des exilés en France, ignorée ou bien largement sous-estimée par l’Etat. Un cri d’alarme, face à l’urgence d’accompagner des migrants victimes de traumatismes et de violences en tout genre, depuis le début de leur parcours d’exil jusqu’à l’Hexagone.
« Il fait froid, je dors dehors, je n’ai pas d’avenir.[…] Je ne sais pas pourquoi je suis là, pourquoi je vis, je me dis que si je meurs ce sera pareil ». Tels sont les mots de Senghor*, 16 ans, relatés dans le rapport de Médecins du Monde et du Centre Primo Levi. Après avoir fui la Guinée avec sa tante (qui s’est noyée lors de la traversée de la Méditerranée), Senghor est finalement arrivé en France. Mais il n’est pas protégé par l’Aide sociale à l’enfance, qui ne reconnaît pas sa minorité. Recueilli par le collectif “Hébergeurs solidaires”, il n’entre dans aucune catégorie, n’étant considéré ni comme mineur, ni comme majeur. Et ne peut parler à aucun professionnel de sa détresse psychique.
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[A LIRE ????]
« La souffrance psychique des exilés. Une urgence de santé publique », un rapport sans concession sur la #santé mentale des #exilés en France étayé de propositions innovantes pour rép. à cet enjeu majeur de santé publique.
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— Médecins du Monde (@MdM_France) June 19, 2018
Des cas comme Senghor, la France en compte malheureusement beaucoup, beaucoup trop. Alors que les parcours d’exil sont extrêmement violents et traumatisants, la France manque tragiquement d’offres de soins en santé mentale, dont la majorité des exilés ont besoin. « La santé mentale, et plus largement la souffrance psychique, se situe dans l’exact angle mort des politiques publiques concernant les personnes exilées », dénonce le rapport.
“Si la santé est censée être en France un droit inconditionnel, force est de constater que celle des personnes exilées demeure trop souvent un enjeu de polémique politicienne avant d’être considérée pour ce qu’elle est : un enjeu de santé publique.”
Les cicatrices invisibles de l’exil
A cause de la violence et de la longueur du parcours d’exil, les migrants arrivant en France souffrent à la fois de problèmes de santé physique et psychologique. Si les sévices et les tortures laissent une marque sur le corps, les cicatrices psychiques de l’exil sont elles invisibles, mais bien réelles. « La santé mentale des exilés n’est pas un sujet accessoire des parcours migratoires, mais un sujet matriciel », a certifié Antoine Ricard, président du Centre Primo Levi, lors d’une conférence de presse organisée ce mardi à l’occasion de la sortie du rapport.
La santé mentale est pourtant ce qui empêche mes patients #PTSD tchétchènes, tamouls, afghans, syriens, kurdes, etc. d’apprendre le français et donc de travailler… et donc de s’intégrer. En absence de soins, on dépense inutilement temps et argent. Et on le sait. https://t.co/BkRlfLpZS6
— Omar Guerrero (@Om_Guerrero) June 13, 2018
Mais impossible d’évaluer précisément le nombre de migrants souffrant de troubles psychiques, faute d’étude nationale réalisée à ce sujet. Médecins du Monde et le centre Primo Levi recommandent ainsi la réalisation d’une étude nationale sur la souffrance psychique des réfugiés.
Les seuls chiffres dont nous disposons aujourd’hui sont alarmants. D’après le rapport du comité pour la santé des exilés (Comede), 16 % des patients pris en charge au Comede entre 2012 et 2016 souffrent de troubles psychiques graves – dont 60% avec des syndromes psychotraumatiques. « Ces chiffres sont sous-évalués, a prévenu Joséphine Vuillard, responsable de la communication au Centre Primo Levi. La souffrance psychique est sous-estimée, les migrants consultent moins pour des angoisses et des cauchemars, mais davantage pour des problèmes physiques. »
En 2017, 100 000 personnes ont demandé l’#asile en #France, n’ayant d’autre choix que de fuir leur pays. Plus de la moitié d’entre elles ont été victimes de torture ou d’autres formes de #violence politique.#mentalhealth #WorldRefugeeDay pic.twitter.com/lqOR0yFnct
— Médecins du Monde (@MdM_France) June 19, 2018
“Pendant tout le parcours d’exil, la mort rôde partout”
Omniprésentes dans le parcours d’exil, les violences commencent très tôt, et sont souvent la cause de l’émigration. « Les premières violences sont subies dans le pays d’accueil », a affirmé Daniel Bréhier, psychiatre à Médecins du Monde.
“Les exilés ont déjà été rejetés dans leur propre pays, et la plupart y ressentent la nécessité impérieuse de partir, a expliqué le psychiatre. Ils partent souvent sans savoir où aller. Quel que soit leur parcours, ils sont confrontés à la violence. En Libye, ils sont mis en prison et tabassés, obligés par les réseaux criminels de demander de l’argent à leur famille. Une fois arrivés sur le territoire libyen, les migrants n’ont pas de possibilité de retour en arrière. Et quand ils sont face à la Méditerranée, les passeurs les forcent à monter dans l’embarcation de fortune, sinon ils sont tués. Pendant cette route d’exil, la mort rôde partout.”
Dans ce parcours du combattant, « les réfugiés et migrants qui sont passés par la Libye ont subi des traitements inhumains et ont presque tous été torturés », rappelait Médecins du Monde.
En Syrie, en Ukraine, au Myanmar…
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— Amnesty France (@amnestyfrance) January 13, 2018
La France, ou le “choc de la désillusion”
A leur arrivée en France, pas d’eldorado à l’horizon, mais la désillusion. « La première expérience des exilés dans l’Hexagone, c’est celle de la rue et de la très grande précarité », a regretté Daniel Bréhier. Après avoir fait face à la violence du départ de leur propre pays, puis celle du parcours d’exil, les migrants affrontent en France une troisième violence, la violence policière et administrative. Dans ces conditions, les plus vulnérables sont les femmes seules et les mineurs non accompagnés.
Les premières fuient souvent leur pays après avoir refusé un mariage forcé, étant reniées par leur propre famille. Quant aux mineurs isolés, ils doivent prouver leur minorité, n’étant pas présumés d’office mineurs. Leur parole est alors mise en doute par les autorités, « alors qu’ils ont déjà vécu des traitements inhumains. C’est d’une violence inouïe, s’est offusqué Daniel Bréhier. Cela aggrave les troubles psychiques ». Certains mineurs isolés ne sont ainsi reconnus ni comme mineurs ni comme majeurs, piégés dans « un flou administratif terrible » et « remis à la rue », a déploré le psychiatre.
Mais « ces enfants vont grandir avec les nôtres et devenir les piliers de notre pays, a affirmé le psychologue clinicien Omar Guerrero. C’est notre devoir de leur transmettre des repères clairs ». Médecins du Monde et le Centre Primo Levi demandent donc une « mise à l’abri immédiate et inconditionnelle » des mineurs non accompagnés.
“Les mots que l’on essaie de transmettre pour soigner les personnes #exilées sont complètement anéantis par ceux des autorités qui les considèrent comme des menteurs. Comment se reconstruire dans un tel contexte ? » – Dr. @Om_Guerrero, psychologue clinicien au @CentrePrimoLevi pic.twitter.com/b6e8ORfHSg
— Médecins du Monde (@MdM_France) June 19, 2018
Une indignation globale, 11 recommandations ambitieuses
Indignés par les conditions d’accueil des exilés, Médecins du Monde et le centre Primo Levi ont formulé en tout onze recommandations. Pour mieux pouvoir accompagner les exilés souffrant de syndrome psychotraumatique, ils proposent de former tous les professionnels accueillant les migrants sur le psycho-trauma, un trouble encore peu connu des soignants. Sinon, face à la prise en charge défaillante des exilés en matière de santé mentale, les centres de soins associatifs sont « à peu près seuls face à une demande croissante, à laquelle ils ne peuvent plus répondre », s’inquiète le rapport.
Trop souvent, les migrants non francophones ne bénéficient pas non plus d’un interprète professionnel lors des consultations médicales. On leur demande de venir avec un membre de leur famille, un enfant, pour faire office de traducteur. Mais comment se confier sur ses traumatismes dans ces conditions ? Le rapport enjoint à faire appel systématiquement à des interprètes professionnels et formés.
Pas de “problème migratoire”, mais une crise de l’accueil
Si la France n’avait pas une politique migratoire uniquement coercitive, ces recommandations seraient obsolètes. Dénonçant « l’irresponsabilité » du gouvernement actuel, le président de Médecins du Monde Philippe de Botton a tenu à préciser une point : « il n’y a pas de ‘problème migratoire’ en Europe. Il y a plutôt une crise des structures d’accueil et de solidarité ». Depuis quarante ans, le solde migratoire français n’a d’ailleurs pas changé. « Le nombre relatif de migrants par rapport à la population mondiale stagne à 3 % et est le même qu’au début du XXe siècle », ont même remarqué les chercheuses Karen Akoka et Camille Scholl, dans une tribune à Libération.
L’histoire retiendra que l’#Aquarius est passé à 7 km (4NM) des côtes françaises, que le Président @EmmanuelMacron et le Gouvernement ont préféré « offrir leur aide » à l’Espagne, et laisser 629 personnes affaiblies 3 jours de plus en mer.#Indignité #Cynisme pic.twitter.com/bjvh312hQT
— Médecins du Monde (@MdM_France) June 15, 2018
Les inquiétudes de Médecins du Monde et du Centre Primo Levi ont été ravivées par le projet de loi Asile et Immigration, examiné actuellement au Sénat. Ce texte prévoit de systématiser l’expulsion des déboutés du droit d’asile, alors que seulement 32 % des demandes d’asile ont été acceptées en 2017. S’ils sont renvoyés dans leurs pays, les réfugiés risquent pourtant la torture. Une enquête publiée en avril 2018 par le New York Times a prouvé que « des demandeurs d’asile soudanais renvoyés par la France, l’Italie et la Belgique, ont été torturés à leur retour dans leur pays », rapporte L’Obs.
La France déboute du droit d’#asile de nbreuses personnes qui risquent la #torture si elles sont renvoyées dans leur pays. Le projet de #LoiAsileImmigration vise à systématiser ces renvois en violation de cet article que le Comité @UN contre la torture tente aujdhui de renforcer pic.twitter.com/CLOOQGkpsh
— Centre Primo Levi (@CentrePrimoLevi) April 19, 2018
Fin avril, un député La République en marche s’est élevé contre le projet de loi Asile et Immigration, dans une tribune à France Info. « Nous sommes engagés dans une spirale tragique, a-t-il déclaré. Qu’est-ce que la France d’aujourd’hui ? »
* Dans le rapport, le prénom des personnes exilées a été modifié.
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