Romane Boscolo, à la tête de Club89, nous parle de sa vision d’un féminisme pro-sexe qui a grandi avec accès au porno gratuit et facilité.
Le sexe dans le rap, l’influence du porno dans la mode, le fétichisme, l’intimité : voici quelques-unes des thématiques qu’aborde Romane Boscolo sur sa plate-forme webzine Club89, pensée autour du féminin contemporain et charnel, qu’elle décrit comme « un portrait générationnel et sexualisé de jeunes femmes culottées ». Rencontre.
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Quel parcours t’a menée à cette envie d’expression ?
Romane Boscolo — Je suis née en 1989, le cul entre deux décennies qui ont fait parler d’elles. La tête pleine de références allant des ambiances new wave aux punchlines de rap français, en passant par les Spice Girls, Buffy, Missy Elliott ou autres meufs qui en ont des grosses ! Et j’ai été élevée au milieu d’hommes qui voient les femmes comme une source d’énergie puissante et indépendante. C’est très valorisant. A présent je suis conceptrice-rédactrice donc très sensible aux mots et aux images.
Un jour, après les attentats du Bataclan, j’ai flippé. J’ai flippé pour ma liberté d’expression, pour ma génération. Puis après plusieurs jours à rester tétanisée chez moi, j’ai refait l’amour et j’ai compris. J’ai compris que j’accordais beaucoup d’importance à ma liberté sexuelle. Et qu’en tant que femme, il n’y avait rien de plus important que cette liberté-là. Et que toutes celles qui ne comprenaient pas encore de quoi je parlais devaient le comprendre et le défendre.
J’ai alors pensé à produire un « meilleur porno ». Pour que ma génération puisse s’y raccrocher. J’ai sonné chez Dorcel pour leur proposer un autre style de production, ils ont adoré mais ils ne croient pas au gratuit et je ne crois pas au payant. J’ai du coup cherché des investisseurs privés. Ils m’ont demandé de me créer une communauté, et un ADN visuel dans un premier temps.
J’en ai parlé autour de moi, et j’ai vite observé que toutes les filles que je côtoyais avaient leur mot à dire sur ces sujets. C’était passionnant. Alors j’ai décidé que ce serait elles que je ferais parler en premières via ce qui est aujourd’hui club89.fr : une plate-forme de diffusion à aborder comme une sorte de livre ouvert sur des sujets de sexualités et de féminités à travers le témoignage d’une génération.
Quelle différence y a-t-il entre l’esthétique porno chic des années 2000 et celle du porno actuel ?
Pour moi elles sont très proches dans la mesure où l’esthétique du porno contemporain est « crue » et que ce côté cru, nu, propre et bien épilé, on le retrouve dans l’esthétique dite « porno chic » reprise par les marques dans les années 2000. Depuis les campagnes Dolce & Gabbana de l’époque à un Pornhub actuel tourné dans une villa californienne, c’est sensiblement la même ambiance et les mêmes gueules, sauf qu’il y a une image avec un peu plus de stylisme dans l’une que dans l’autre ! Les mises en scène sont très érotisées, la femme est bimboïsée, le mec sort de la douche, ils sont toujours très propres, le décor est épuré voire bling-bling. D’un coup, on s’est mis à aseptiser le corps et le décor comme si on voulait « nettoyer l’image du sexe ».
En revanche toute cette esthétique est très différente de l’imagerie érotique 70’s-80’s que je collectionne et affectionne particulièrement pour la simple et bonne raison qu’elle intègre beaucoup d’humour et d’autodérision dans son interprétation de l’acte sexuel. Je pense de manière générale, que c’est très malin de parler de sujets tabous avec ironie. Ça permet d’être plus lu, vu, entendu. On devrait s’en servir davantage aujourd’hui pour parler de sexualité. De mon côté c’est ce que j’essaye de faire.
En quoi est-ce que YouPorn et Pornhub ont changé la consommation du porno ?
La vraie différence entre le porno classique et les vidéos sur YouPorn ou autres, c’est que 1. c’est gratuit, 2. c’est libre d’accès 24/24 et 3. il ne s’agit plus du tout de cinéma.
Il n’y a pas de direction ni de vrai parti pris artistique, juste de la performance. Pas de place à la narration, pas le temps de faire monter le désir. On peut trouver ce qu’on aime en deux clics. On peut même déplacer le curseur sur l’instant « climax » pour ne pas perdre de temps. C’est le reflet de notre société. Les gens font tout dans l’efficacité. On a donc le porno qu’on mérite ! Heureusement, les initiatives artistiques dans le domaine commencent à faire parler d’elles comme les sites d’Erika Lust ou Lucie Makes Porn, etc. En revanche, il s’agit de plates-formes payantes et pour moi, il faut vite trouver d’autres modèles économiques pour attirer les plus jeunes générations.
Et qu’est-ce qu’ils ont changé dans le rapport à la sexualité ?
Si je veux voir les choses positivement, je dirai que les filles ont plus facilement accès au contenu depuis qu’il est desservi via un canal qui conserve l’anonymat. Elles osent davantage s’y aventurer et se découvrent de nouveaux fantasmes. Mais malheureusement en attendant, les hommes n’en apprennent pas plus sur le plaisir féminin… C’est eux que je plains en réalité parce qu’on ne leur donne même pas le moyen d’en savoir plus sur nous ! Moi j’attends un fils actuellement et je me dis « le pauvre », s’il aime les femmes, il aura peu d’outils autour de lui pour aborder leur sexualité. On dit que la sexualité est partout mais c’est faux, c’est la nudité féminine qui est partout. Mais la sexualité reste encore très taboue voire méconnue. Il n’y a qu’à voir la réaction des passants face à la session d’affichage sauvage de clitoris 3D, diffusée sur Clique TV.
Quels sont les plus gros tabous que tu veux aborder sur ta plate-forme ?
Celui des femmes qui ne savent toujours pas comment atteindre un orgasme (seule ou avec un ou une partenaire…), c’est profondément inquiétant. Encore beaucoup n’osent pas s’explorer même passé la trentaine. Il faut vraiment qu’on coupe le cordon avec cet héritage culturel judéo-chrétien qui stigmatise la sexualité comme quelque chose de honteux. Il faut (ré)apprendre à jouir !
Te considères-tu féministe dite « pro-sexe » ?
Absolument ! Pour moi la femme sera comprise et acceptée comme telle à partir du moment où l’on aura compris et accepté sa sexualité. Parler, montrer, répéter et encore montrer… que le sexe n’est pas sale. Grâce à ça on aidera aussi les femmes à percevoir leur sexualité comme source d’épanouissement personnel. C’est même dommage que la plupart des couples ne voient pas ça comme un jeu. C’est quand même plus distrayant que Netflix et ça fait mieux dormir !
Tu joues le jeu du selfie et de la mise en scène de toi. Pourquoi ?
Au départ je ne pensais pas poser puisque mon envie était de faire parler des jeunes femmes de ma génération. Puis j’ai trouvé ça incohérent avec mes propos si je ne jouais pas le jeu moi-même. Alors j’ai fini par poser pour créer du contenu accompagnant mes chroniques plus personnelles sur Club89. Et puis, naturellement les images qui me venaient en tête pour me mettre en scène étaient pleines d’humour et d’ironie à cause des refs 70’s qui tapissent les murs de chez moi.
Il faut savoir aussi que j’ai passé mon enfance dans des camps naturistes pleins de hippies quinquagénaires d’Europe du Nord, alors je n’ai aucun problème avec le corps mis à nu. Quel qu’en soit la morphologie ! Au contraire, je trouve les gens plus vrais quand ils sont nus. J’avais peut-être envie de dire la vérité sur moi…
Propos recueillis par Alice Pfeiffer
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