[Track of confinement] Chaque jour, pour survivre au confinement lié à l’épidémie de coronavirus, Les Inrocks vous replongent dans l’un de leurs morceaux préférés. Aujourd’hui, errance dans une ville fantôme de l’Angleterre sous Thatcher.
#OnResteOuvert : Fermons nos portes, pas nos esprits !
“This town (town) is coming like a ghost town, all the clubs have been closed down/This place (town) is coming like a ghost town : bands won’t play no more” (“Cette ville est en train de devenir une ville fantôme, tous les clubs en ont été fermés/Cet endroit est en train de devenir une ville fantôme : aucun groupe n’y jouera plus”). Cette ville fantôme, construite en 1981 par Jerry Dammers, en rappelle bien d’autres et pas seulement celles, désertées, de 2020.
Ghost Town paraît le 12 juin 1981 en plein cœur des émeutes qui secouent l’Angleterre thatcherienne. Violences policières, discriminations raciales, drames de la désindustrialisation et chômage massif : voici ce que chroniquent les Specials en à peine 3 minutes et 40 secondes qui vont se hisser au sommet des charts et faire de Jerry Dammers un des plus subtils et virulents observateurs d’une société britannique alors en pleine déliquescence sociale.
Démontrer combien peut être fructueux le frottement de cultures que certain·es s’obstinent encore à opposer
Jerry Dammers a créé The Specials en 1977. Deux ans plus tard, il fonde le label 2 Tone Records au célèbre logo à damiers, censé unir le noir et le blanc. Sous cette bannière pacificatrice émergeront Madness, Bad Manners ou The Selecter, mais surtout une certaine idée du métissage qui réinvente le ska et le rocksteady jamaïcains – non pour se les accaparer, mais pour démontrer combien peut être fructueux le frottement de cultures que certain·es s’obstinent encore à opposer.
Après les clubs fermés et les concerts, Ghost Town déploie son regard sur un monde malade et en proie à la violence – “Why must the youth fight against themselves ?” (“Pourquoi faut-il que les jeunes se battent les uns contre les autres ?”) – et à la colère – “Can’t go no more, the people getting angry” (“Cela ne peut plus durer, le peuple est en colère”). Un tableau sombre et lucide dans lequel se glissent des tensions personnelles : en dépit de son succès, le single sera le dernier enregistré par la formation originelle de The Specials.
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Avec son tempo ralenti et sa production atmosphérique, Ghost Town détonne dans la discographie des Specials, plus coutumiers de rythmes trépidants et rentre-dedans et, par son caractère crépusculaire, conserve près de quarante plus tard toute sa force d’évocation. Et le temps lui a donné valeur de classique et il demeure un précieux témoignage sur l’ère thatcherienne vue par sa jeunesse.
Retrouvez les épisodes précédents de la série :
>> Track of confinement #18 : “All I Want”, de Joni Mitchell
>> Track of confinement #21 : “Le soleil est près de moi”, de Air