En 2017, Benjamin Mendy signe avec Manchester City. L’occasion pour le défenseur de réaliser son rêve de Premier League et de découvrir un nouvel environnement. Rencontre en janvier 2018.
Benjamin Mendy, 23 ans, c’est un joueur comme on en voit peu. Un type qui ne lâche rien. On l’a rencontré alors qu’il était encore blessé en janvier 2018, à Paris, dans les locaux d’une marque à trois bandes. Malgré ça, il nous a quand même éclatés au ping-pong en se battant sur chaque échange. Chouchou de Pep Guardiola et longtemps défenseur le plus cher du monde (acheté 57 millions d’euros par Manchester City à Monaco en 2017, il a été depuis supplanté par Virgil van Dijk, passé de Southampton à Liverpool pour 84 millions), Benjamin Mendy a traversé l’enfer suite à une mauvaise blessure au genou. Il est depuis revenu sur les terrains avec une seule envie : disputer la Coupe du monde 2018. Que ce soit le cas ou pas, nous aurons rencontré un type formidable, aussi à l’aise balle au pied que dans la conversation.
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On te rappelle souvent une séquence d’entraînement à l’OM avec Marcelo Bielsa captée en vidéo. On le voit te dire très sérieusement que si tu arrives à apprendre de l’expérience de ton coéquipier Jérémy Morel, tu seras l’un des meilleurs latéraux du monde. Au début, tout le monde s’en amusait, mais avec le recul n’avait-il pas vu juste au sujet de ta carrière et de ton potentiel ?
Benjamin Mendy – Je parlais souvent avec Marcelo Bielsa dans son bureau. A chaque fois, il me montrait une vidéo pour me pousser à m’améliorer. Il fonctionne ainsi. Avant chaque nouveau match, il ne te montre que les meilleures actions de ton dernier match. Donc, même si tu penses avoir fait de mauvaises actions, tu te dis : “Oh, je suis capable de faire ça.” Donc je ne peux pas dire que moi je le savais,que j’y pensais, mais j’avais cette ambition-là. C’est un très grand coach, qui m’a beaucoup apporté. J’aurai toujours confiance en lui. D’ailleurs, nous sommes toujours en contact.
En septembre 2017, tu as été victime d’une rupture des ligaments croisés. Quelle a été ta réaction lorsque tu as appris la durée de ta longue indisponibilité ?
Ça a été très spécial car j’ai d’abord cru que ce n’était qu’un petit coup. Sur le terrain, j’avais demandé à sortir. C’est lorsque j’étais au vestiaire, après des tests, que le verdict est tombé. Je me suis dit : “Impossible, je l’aurais senti.” Je connais des gens qui ont eu les croisés, ils ont eu très mal. Juste après l’annonce, j’ai tout de suite voulu savoir quand je serais apte à rejouer. Ils m’ont donné les délais et j’ai répondu : “Allez, je vais me faire opérer.” D’autant que lorsqu’on t’opère de la jambe elle devient plus forte. Pour le reste, tout est dans la tête.
Cette blessure est intervenue lors de ta première saison avec Manchester City. Ton entraîneur Pep Guardiola a-t-il été d’un grand soutien pour toi ?
Il a été très proche. Je ne suis pas très difficile à intégrer dans un vestiaire ; je me fonds dans la masse avec les Brésiliens, les Espagnols. J’essaie de parler leur langue, même si je me trompe ! On rigole tous ensemble. Tant qu’on se comprend, c’est l’essentiel. Il m’arrive de mélanger des mots en anglais, mais j’apprends par ici, je répète par là.
Qu’écoutez-vous dans les vestiaires, à City ? Qui met de la musique ?
Gabriel Jesus, Sterling et Fernandinho mettent souvent des sons. Les Brésiliens nous envoient dans leur pays, avec leur musique, ça fait “tcha tcha tcha tcha”. Sterling, lui, il met de la musique pour tout le monde : des remixes, principalement. J’en mets parfois, et notamment des sons de mon ami du sud de la France, Jul. On se connaît depuis longtemps. Ici, ils kiffent !
Tu écoutes quoi, des chansons françaises, du hip-hop ?
Plutôt du rap français genre Jul, Niska ou Kaaris.
Tu tiens une chronique dans un journal, tu gères plusieurs projets extra-sportifs, tu es actif sur les réseaux sociaux. As-tu l’impression d’incarner une nouvelle génération de footballeurs ?
Peut-être… Je suis footballeur mais je veux rester le même, tout en faisant mon métier. Lorsque j’étais à Marseille, les gens me reprochaient de me la raconter, de passer du temps sur interne tet sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, je fais la même chose,mais d’un coup, cela ne dérange plus personne.
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Quand tu observes l’engagement sur les réseaux sociaux de personnalités comme Jérôme Jarre et Omar Sy pour aider les Rohingyas à travers l’opération Love Army for Rohingya, ça te donne envie de faire la même chose ?
Leur engagement est une très bonne idée et je suis en contact avec eux. Un soir, j’étais dans mon lit, j’ai reçu un message de DJ Snake, qui y participe aussi. Omar Sy m’a envoyé une vidéo. On a échangé longuement par rapport à cette situation. Si mon image peut aider des gens dans le pétrin, je le ferai avec plaisir.
Si tu devais choisir une cause, laquelle te tiendrait le plus à coeur ? L’écologie ?
Plutôt les causes humanitaires. Aider les gens vivant dans des pays en difficulté, comme en Libye. Ce genre de situations doit cesser dans le monde d’aujourd’hui.
As-tu le sentiment que l’ensemble des footballeurs pensent comme toi, qu’il serait possible d’avoir une mobilisation de plein de joueurs, ou est-ce que le football reste un sport plutôt individuel ?
Ça reste assez personnel, et la plupart des joueurs préfèrent sûrement ne pas en parler. On respecte cela aussi. Mais dans leur for intérieur, ils sont dans cette optique-là. On a tous vécu des moments difficiles par le passé. Si quelqu’un avait proposé de nous aider, on l’aurait accepté avec plaisir. Donc si on peut faire de même aujourd’hui, on ne va pas se priver.
Quels souvenirs gardes-tu de ton enfance à Longjumeau ?
J’y suis né, mais j’ai surtout grandi à côté, à Palaiseau.Mon premier souvenir, c’est d’avoir défoncé la moquette de mes parents. Je jouais au foot avec mes baskets, j’arrachais des morceaux pour jouer aux billes. Mon père voulait me tuer. A Palaiseau, je traînais tout le temps avec un ballon. Un jour, j’ai poussé la balle trop loin et je me suis fait renverser par une voiture. Heureusement, je n’ai rien eu de grave. J’allais au foot en conduite de balle, je me mettais des objectifs, par exemple : “Si je ne perds pas la balle, je vais être professionnel.”
Tes parents croyaient-ils au fait que tu puisses devenir un footballeur professionnel ?
Mon père ne voulait pas trop que je sois dans le foot, ce n’était pas sa tasse de thé. Ma mère, en revanche, voulait vraiment que je persévère. C’est elle qui a convaincu mon père.
Quel était ton modèle sportif quand tu étais jeune ?
Je préférais jouer plutôt que regarder du sport à la télé. Après les matchs de Champions League, le lendemain avec tous les potes,on se répartissait les rôles pour rejouer les matchs.
Tu jouais plutôt devant à l’époque ?
Oui, quand tu es jeune, c’est mieux pour mettre des buts.
Tu as été repositionné à partir de quand en défenseur ?
Quand j’ai débarqué au Havre, à 13 ans et demi. Lors de ma première année, j’ai démarré attaquant, puis ils m’ont essayé au milieu de terrain. Le problème, c’est que je redescendais trop quand la balle remontait. Ensuite, ils m’ont positionné arrière gauche.Je ne pouvais pas descendre plus bas, sinon je sortais du terrain et je rentrais chez moi ! Finalement, ils m’ont mis à ce poste-là, et ça s’est super bien passé.
As-tu ressenti de la frustration quand ils t’ont passé défenseur ?
Ça a moins de classe, tu marques pas de but. Maintenant, je ne regrette rien. J’ai été sérieux, j’ai travaillé, je suis fier d’avoir réussi à relever ce défi.
As-tu un jour ressenti autant de plaisir à mettre un énorme tacle glissé qu’un but ?
Un tacle, pas vraiment, mais les centres, oui ! A l’heure actuelle, je préfère adresser un beau centre plutôt que marquer. Quand tu sens que les supporters se lèvent en même temps, c’est incroyable, tu vois ce que je veux dire ?
Parfois, il y a des beaux centres qui sont mal conclus…
Oui, mais ça, on le règle dans le vestiaire après le match ! Celui qui défonce nos stats, on s’en occupe après.
Quel est ton plus gros regret sportif ? La demi-finale de Ligue des champions perdue contre la Juve en 2017, lorsque tu évoluais à Monaco ?
Ouais, la Juve. Au match aller, je n’étais pas censé jouer. Mais il y a eu un match de championnat, des “oui c’est bon, non c’est pas bon” avec le docteur. Donc j’ai joué un match de championnat,qu’on devait absolument gagner, sans être remis à 100 % (il est alors touché aux ischio-jambiers – ndlr). Je voulais privilégier la Ligue des champions. J’ai joué, ça a tiré un peu et je n’ai pas pu jouer contre la Juve. Des journalistes ont expliqué en direct à la télé que je ne jouais pas parce que j’étais sanctionné… N’importe quoi ! J’ai joué le match retour mais,dès le début, on a raté beaucoup d’occasions. On s’était pris deux buts au match aller, alors qu’en général c’est à domicile qu’on tapait les équipes.
As-tu le sentiment d’appartenir à une bande de potes (Thomas Lemar, Kylian Mbappé) qui va former l’équipe de France de demain ?
Au vu de ce qu’on produit ensemble, clairement. On se voyait souvent à l’entraînement, on était souvent ensemble. On voyait la qualité, mais on n’est pas stupides non plus. On voit les postes à gratter en équipe de France, chacun fait son petit bout de chemin. Et quand on se retrouve tous, c’est à chaque fois magnifique.
Vous êtes encore en contact aujourd’hui ?
Toujours bien sûr ! On a un groupe WhatsApp avec l’AS Monaco.
La conversation s’appelle “Les anciens de l’AS Monaco” ?
Non, “Champions 2017” je crois !
Tu ne t’ennuyais pas trop lorsqu’il s’agissait de sortir à Monaco ?
Non, j’aime trop Monaco, c’est une belle ville. Moi, je suis flemmard : je n’aime pas quand il y a des bouchons, des longs trajets. Alors que Monaco, c’est petit, tu fais tout à pied. A Paris,il faut prendre le périph, à Manchester, il faut prendre l’autoroute,je n’aime pas perdre du temps comme ça.
Quand tu es arrivé à l’étranger, as-tu été sensible au fait qu’il y ait des joueurs qui viennent t’accueillir, t’intégrer dans le club comme tu as pu le faire à Monaco ?
J’aime bien mettre les gens à l’aise. Quand j’étais plus jeune, lors des stages de détection, c’était différent. Ce n’est pas que j’étais réservé, mais j’arrivais et je restais là, je faisais le mytho à jouer le mec concentré. En fait, je me mettais en retrait parce que je ne connaissais personne. Maintenant, quand je vois les gens, j’ai envie qu’ils se sentent à l’aise. Parce que je sais que ce n’est pas facile d’intégrer un vestiaire. Je suis arrivé à l’Olympique de Marseille à 18 ans seulement : il y avait Gignac, Payet, Valbuena… Il n’y avait que des grandes stars de Ligue 1, des darons à mes yeux ! C’est Souleymane Diawara qui m’a attrapé et qui m’a pris sous son aile, il m’a bien accueilli. Il se trouve d’ailleurs que son petit frère, Abdoul Diawara, est devenu mon meilleur pote.
A Manchester, est-ce que quelqu’un t’a tendu la main en particulier ?
Bon, maintenant que j’ai signé, je peux révéler quelques petits secrets. Avant de parapher mon contrat, je ne parlais qu’à Kyle Walker. On s’est mis d’accord que s’il allait là-bas j’allais là-bas aussi. On se parlait sur WhatsApp, on a évoqué Manchester ensemble. On ne s’était jamais rencontrés, mais on se connaissait via Georges-Kévin Nkoudou, un autre ancien joueur de l’OM.
Tu fais des projets avec un mec que tu n’as jamais vu ?
Non, mais c’était pour la bonne cause. Regardez, maintenant on est premiers, en Premier League, tout va bien !
Qu’est-ce qui t’attirait à Manchester City ? Ce n’est pas le plus prestigieux en terme de palmarès…
Je veux créer l’Histoire. Ce qui va se passer à City, je vous le promets, va être magnifique. Vous pouvez l’écrire dans votre journal. Ici, on a tout pour travailler. Les installations, le coach,les cuistots, l’ambiance, l’équipe, et surtout des bons joueurs,jeunes. Il y a tout ce qu’il faut, il ne manque que des titres. Il reste des joueurs emblématiques de City : Silva, Fernandinho, Kompany, le “Kun”, Touré. Ces cinq joueurs-là font partie de l’histoire du club. Tous les jeunes joueurs autour ont envie de s’imprégner d’eux. L’autre jour, on en parlait avec Pep : il n’y a que Danilo qui a gagné la Ligue des champions, et Yaya Touré.
Touré est un des plus grands joueurs africains de l’Histoire, et il accepte d’être remplaçant. C’est un modèle ?
Quand t’es un vainqueur de titres, tu penses à tout le monde. Si ta meilleure place est sur le banc, pourquoi pas. Quoi qu’il en soit, tu fais partie d’un groupe, d’une équipe. Si tu penses individuel, que tu es dégoûté de te retrouver sur le banc, alors effectivement… Mais si tu penses collectif, tu peux accepter que ça puisse être aussi ta place. Kun était sur le banc contre United. Et pourtant, c’est l’un des meilleurs attaquants au monde. On a gagné, Gabriel Jesus s’est créé des occasions. Ça tourne. Durant l’année, on aura besoin de tout le monde. Si ça se trouve, Yaya va nous offrir le titre en fin de saison.
Il paraît que tu aimes bien raconter des histoires drôles.Tu collectes beaucoup d’histoires marrantes sur le foot ?
J’en ai sur mon ordinateur. Je les sortirai quand j’arrêterai le foot. Comme ça, on ne pourra plus rien me dire ! Certains me reprochent d’être toujours scotché à mon téléphone, mais quand je le sors pour remontrer des souvenirs, ils sont super contents. Ce sont des images que j’ai envie de garder à vie.
Tu aimes bien raconter des histoires, en général ?
Je parle beaucoup et je prends des cours d’anglais. A City, ils vont regretter le temps où je ne parlais pas bien !
Si jamais tu ratais la Coupe du monde, ça te rendrait plus fort ?
Je ne vais pas la rater.
Tu iras avec l’équipe quoi qu’il arrive ?
Je vais jouer. Je ne serai pas en tribune.
Tu suis toujours l’OM ?
Toujours, je suis toujours supporter. C’est la base. J’espère qu’ils vont se qualifier pour la Champions League l’année prochaine.
Comment juges-tu le Champions Project porté parle nouveau président de l’OM Jacques-Henri Eyraud ?
Ils ont fait de bonnes choses, mais ils peuvent mieux faire.Un projet ne se fait pas en deux minutes non plus.
Il faudrait que vous leur prêtiez Yaya Touré…
Pep ne veut pas lâcher ses joueurs !
Aurais-tu pu signer en Italie, à la Juve par exemple ?
Je voulais vraiment aller en Premier League, et je voulais vraiment aller à City.
D’où vient l’appellation “shark team” que tu as utilisée pour rebaptiser ton équipe ?
Ça s’est passé après notre tournée américaine, l’été dernier.J’étais en train de réfléchir : les Galactiques à Madrid, les Stratosphériques à Milan… Il nous fallait un nom pour City. Dans l’avion du retour en Europe, j’étais assis à côté de Leroy Sané. Là, je lui montre l’émoticône requin, et je lui demande : “Comment dit-on requin en anglais ?” Il me répond : “shark”. Là, j’ai eu un déclic, c’était parfait. A un moment,j’ai pensé à “New Team”, mais ça faisait trop Olive et Tom. Au début, le vestiaire se foutait de ma gueule, mais maintenant ils arborent tous le requin sur leur Instagram et sur Twitter.
C’est la première chose que tu as apporté humainement, symboliquement ?
Oui, ça a été une très bonne chose. Dommage qu’on n’ait pas déposé le nom !
Tu penses que le club va utiliser l’image du requin ?
Ils ont déjà fait des T-shirts Shark Team. Mais il y a aussi le hashtag “Insané” qui marche bien (jeu de mots avec Sané et “insane”, qui signifie “fou” en anglais – ndlr). Jesus, ils lui ont fait “Alô Mãe” (en référence à son tatouage “Hello Mum” – ndlr).
L’expression “Mercé” que tu as beaucoup utilisée sur les réseaux sociaux, tu l’as abandonnée ?
Je voulais déposer le nom, mais à l’époque je ne savais pas comment ça fonctionnait, et un mec à Marseille m’a devancé. C’est pas grave, tout le monde sait que je suis à l’origine de“mercé”, c’est le principal.
As-tu changé ton alimentation ?
Maintenant je mange des légumes, je bois du thé avec du lait, à l’anglaise. Je mange même de l’avocat !
La France te manque parfois ?
Je trouve que ça fait du bien de côtoyer une autre culture et des gens qui ne parlent pas notre langue. Mais dès que je suis fatigué de parler, je peux dire “I don’t understand”.
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