[Le journal de confinement de la rédaction] Chaque jour, un.e journaliste des Inrocks vous raconte son confinement. Aujourd’hui, Nelly Kaprièlian raconte son émotion face au discours d’Elizabeth II le dimanche 5 avril.
Ce sont deux évènements audiovisuels qui ont marqué ma troisième semaine de confinement : le speech à la télévision de la Reine d’Angleterre dimanche soir, et Jean-Luc Godard sur Instagram deux jours après. Tous deux avaient choisi de s’habiller en vert – couleur de l’espoir ? -, tous deux, ayant atteint (ou presque) cet âge antédiluvien des quatre-vingt-dix ans, finissent par incarner la force, une solidité à toute épreuve. Voire par faire figure de survivants, d’où leur crédibilité pour nous donner conseils et réconfort (la Reine) ou nous livrer leur analyse (Godard). Après tout, de tous les cinéastes de la Nouvelle vague, Godard est le seul à être encore en vie (disons avec Rozier) ; et Elizabeth II a vu passer et trépasser un nombre inouï de Premiers ministres.
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D’ailleurs, deux jours après son allocution, Boris Johnson, atteint du Covid-19, était hospitalisé en soins intensifs. Même le propre fils de la Reine, le prince Charles, a été infecté – mais pas elle. Elle, elle était là, dimanche soir, cuirassée de vert dans son salon feutré, inaltérable, inébranlable, invulnérable – la vraie dame de fer, c’est elle, bien davantage qu’une Margaret Thatcher qu’elle aura d’ailleurs aussi enterrée. Mais une dame de fer aimante, une super-maman, ou une super-grand-maman pour son peuple. Alors que Johnson, trois semaines plus tôt, annonçait cyniquement aux Anglais qu’ils devaient se préparer à perdre tous un être aimé à cause du coronavirus, la Reine en a appelé, comme toujours, à l’émotion, aux sentiments, à la famille, à un sens de la solidarité et de l’entraide entre les citoyens.
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Tout en elle exsudait l’intemporalité
Car c’est cela, la fierté des Britanniques, disait-elle, et celle-ci ne réside pas que dans le passé. Le message implicite : nous avons résisté et triomphé pendant la guerre, nous pouvons encore faire face aujourd’hui. C’est d’ailleurs quand elle a évoqué son tout premier enregistrement radio avec sa sœur en 1940, quand elle n’avait que treize ans, pour s’adresser aux enfants, que j’ai eu, avec toute l’Angleterre, les larmes aux yeux. C’était il y a quatre-vingts ans et elle était déjà là ! Sur l’écran, son corps vieilli, sa mise en plis XVIIIe siècle qu’elle a su parfaire au fil des ans, sa robe style Cardin sixties, son imposante broche en turquoise XIXe, tout en elle exsudait l’intemporalité. La Reine est de tout temps, incarne tous les temps, mais à force d’être éternelle connait-elle encore le nôtre ? C’est ce que je me suis demandé le lendemain en me réveillant le matin. Peut-on encore comprendre le monde contemporain quand on a commencé son règne avec Winston Churchill pour Premier ministre, et qu’on l’achevera potentiellement avec un Boris Johnson, et qui plus est, un Boris Johnson hospitalisé ?
Si à chaque nouvelle saison de The Crown, on se demande si Elizabeth II la regarde, c’est peut-être deux autres séries qu’on aimerait lui conseiller pour qu’elle connaisse mieux le présent de son pays et son futur, c’est-à-dire sa jeunesse. Deux « mockumentary », comme c’est la mode en Angleterre et aux Etats-Unis en ce moment, soit de faux documentaires, avec des personnages qui s’adressent souvent à la caméra. D’abord la géniale This Country, série créée, écrite et jouée par un frère et une sœur, Charlie Cooper et Daisy May, qui met en scène deux cousins vivant dans l’Angleterre profonde, entre petits boulots et avenir zéro ; et People just do nothing, sur une bande de jeunes vaguement rappeurs, sans emploi, paumés, qui se rassemblent autour de Kurupt FM, une radio pirate, dans la banlieue de Londres. Deux séries qui captent l’air mélancolique du temps quand on a vingt ou trente ans aujourd’hui dans une Angleterre plus que jamais aux mains de la finance, de la middle comme de l’upper-class, et des oligarques du monde entier.
Retrouvez les épisodes précédents de notre série :
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