Quinze ans après sa première apparition télévisée, « Sabrina l’apprentie sorcière » revient lancer ses sortilèges sur Netflix. A mille lieues de la sitcom bon enfant qui l’a fait connaître en France, « Les nouvelles aventures de Sabrina » adopte un ton autrement plus sombre, et transforme la sorcière ingénue des années 1990 en une héroïne féministe dans l’air du temps.
Le 14 octobre dernier était diffusé aux États-Unis le premier épisode du reboot de Charmed, vingt ans après le lancement de la série originale. Aujourd’hui c’est au tour de Sabrina, l’apprentie sorcière de se faire une cure de jouvence avec la diffusion sur Netflix des ses Nouvelles aventures. En plus d’exhumer deux séries cultes de la fin des années 1990 et du début des années 2000 revisitant, à leur manière bien distincte, le mythe de la sorcière, ces reboots se font tous deux l’écho d’un discours féministe dans l’air du temps. Exit les intrigues adolescentes doucereuses et les philtres d’amour destinés à l’être aimé, la sorcière post #MeToo est là pour casser la gueule au patriarcat.
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Sorcière kitsch
Pourtant, en ce qui concerne Sabrina, le pari ne semblait pas gagné d’avance. Diffusé entre 1996 et 2003 aux États-Unis (et dans la foulée sur France 2 puis Canal J), Sabrina, l’apprentie sorcière a beau être culte pour pas mal de gamins des années 90, dangereusement exposés aux rayons cathodiques, elle n’en demeure pas moins un sommet de mauvais goût télévisé. On y suit les aventures de Sabrina Spellman, une jeune lycéenne guillerette qui apprend le jour de ses 16 ans qu’elle est une sorcière, née d’un père sorcier et d’une mère mortelle, et dispose de fait de capacités surnaturelles. Élevée par Zelda et Hilda, ses deux tantes célibataires un brin loufoques, et accompagnée de Salem, son chat noir doué de parole, ancien sorcier condamné à vivre dans le corps d’un félidé pour avoir tenté de conquérir le monde, Sabrina va apprendre à utiliser ses pouvoirs tout en menant une vie de lycéenne rangée, cachant ses activités occultes à ses camarades.
Pas de nez crochus ni de balais volants ici, encore moins de cérémonie du sabbat ou de conjuration de démons, Sabrina est l’incarnation de la sorcière pop et girly – sorte de prolongement teenage à Ma sorcière bien-aimée – et ses sortilèges se résument bien souvent à la concoction d’une potion d’honnêteté visant à faire parler son crush secret, ou à un mauvais sort jeté sur l’imbuvable queen bee du lycée. Calibrée pour un jeune public L’Apprentie sorcière était une gentille « guimauverie » pour sorciers en herbe que la déferlante Harry Potter n’avait pas encore emportés, bien éloignée du girl power de Buffy, héroïne de série d’une autre trempe qui, à la même époque, flanquait des roustes à une horde de vampires patriarcaux.
Passage par la case comics
Comment expliquer alors que l’insipide Sabrina ait muté en héroïne moderne, déjouant les mauvais tours de démons maléfiques quand elle ne pourfend pas la domination masculine dans les couloirs de son bahut. Pour ça, il faut remonter aux origines du personnage ; car si la sitcom de 1996 fut sa porte d’entrée dans l’hexagone, la sorcière blondinette était déjà bien installée outre-Atlantique.
Apparue en 1962, Sabrina est l’une des héroïnes les plus populaires d’Archie Comics, célèbre éditeur américain de bandes dessinées qui doit son nom à son personnage phare, le lycéen Archibald Andrews. L’engouement autour des aventures de Sabrina octroie à l’héroïne sa propre série de comics à partir de 1972 : Sabrina, the teenage witch (plus tard traduit par Sabrina, l’apprentie sorcière). Si le personnage originel est relativement proche de l’adaptation live-action qui en sera tirée en 1996, plusieurs versions de Sabrina vont progressivement voir le jour, redéfinissant parfois radicalement l’intrigue et les enjeux initiaux de la bande dessinée, dans la pure tradition de la publication de comics aux États-Unis.
L’une de ces versions, lancée en 2014 sous le nom de Chilling adventures of Sabrina (Les terrifiantes aventures de Sabrina), ré-envisageait les tribulations de la jeune sorcière sous un angle horrifique, adoptant un ton plus sombre et une esthétique pop macabre à mille lieues du matériau de base. Les Nouvelles aventures de Sabrina, disponible dés aujourd’hui sur Netflix, n’est ni plus ni moins que l’adaptation à l’écran de cette version dégénérée de la bande-dessinée originale.
Le côté obscur de la sorcellerie
Force est de constater que notre apprentie sorcière des années 1990 a pas mal changé. Elle a toujours seize ans, est plus que jamais mi-sorcière mi-mortelle, et vit encore chez ses deux tantes, Zelda et Hilda, mais la sympathique maison pavillonnaire qu’elles occupaient jadis s’est transformée en un manoir gothique pour le moins creepy, enfouie dans les confins de la forêt de Greendale, servant accessoirement de maison funéraire. Ambiance.
Les nouvelles aventures de Sabrina commence quelques jours avant le seizième anniversaire de l’héroïne (qui a lieu, on vous le donne en mille, un 31 octobre), date à laquelle la jeune lycéenne devra embrasser sa destinée de sorcière, et renoncer à sa semi-mortalité, en suivant un baptême occulte sous l’égide du Dieu cornu, la divinité païenne qui régit le monde des sorciers. Mais renoncer à sa semi-mortalité implique d’abandonner sa vie d’avant, et Sabrina n’y est pas vraiment favorable.
A mi-chemin entre le teen drama et la série fantastique mâtinée d’horreur, cette version sérielle 2.0 des aventures de Sabrina n’a plus grand chose à voir avec la sitcom bon enfant de 1996 ; plus sombre et préoccupée dans le ton, foncièrement gothique dans sa forme. Sous les traits de Kiernan Shipka (inoubliable Sally Drapper dans Mad Men), Sabrina y incarne une sorcière torturée, s’accrochant à sa condition de mortelle, et luttant contre les esprits maléfiques la contraignant à épouser son destin de sorcière. La magie n’y est plus un artifice coquet, destiné à résoudre des problèmes de cœur, mais une puissante entité maléfique, capable de réveiller des démons aux gueules cabossées. Exit le chat noir malotru qui distribuait des punchlines sarcastiques, Salem ne cause plus et endosse le rôle de familier.
Avec pour référentiel Harry Potter, True Blood, et tout un pan de la production littéraire et audiovisuelle young adult, Les Nouvelles aventures de Sabrina s’appuie sur la renommée de son héroïne principale pour construire autour d’elle une mythologie geek un peu indigeste, mais qui devrait faire mouche auprès du public visé.
Sorcière justice warrior
Plus intéressante, la mise à jour du personnage de Sabrina dit quelque chose de notre époque post #MeToo. Débarrassée de ses oripeaux de sorcière ingénue, Sabrina devient une social justice warrior sûre d’elle, prête à en découdre avec le principal réac’ de son lycée lorsqu’il protège les jeunes bourreaux sévissant dans son établissement. Si Harvey Kinkle, le love interest de la jeune sorcière est toujours présent, il n’est plus le quarterback benêt de la sitcom de 1996, mais un jeune artiste vaguement torturé, aux allures de poète maudit de cour de récréation. Les sportifs sont d’ailleurs devenus de véritables veaux, qui feront les frais de la colère de Sabrina lorsqu’ils s’en prendront à Susie, sa copine gender fluid sujet aux moqueries des lycéens. Balance ton porc.
Créée par Roberto Aguirre-Sacasa, à qui l’on doit notamment Riverdale, teen drama labellisé Netflix qui cartonne sur la plateforme de streaming, Les Nouvelles aventures de Sabrina est une nouvelle incursion pour le scénariste dans l’univers d’Archie Comics. Car Riverdale est à l’origine la ville fictive dans laquelle se déroule une grande partie des albums de l’éditeur de comics, et la série du même nom une relecture télévisée, et remise au goût du jour, des aventures d’Archibald Andrews. En cas de succès (ce qui est à prévoir), Sabrina pourrait bien s’inviter à Riverdale, et inversement, ouvrant ainsi la voie à un potentiel Archieverse. L’affaire semble juteuse.
Opportuniste et dans l’air du temps, cette nouvelle mouture live-action des aventures de Sabrina ne conserve de son aînée que la portion congrue – une toile de fond et le nom de ses personnages – pour en réinventer entièrement la mythologie. Pas dénuée d’idées et plutôt réussie visuellement, elle est avant tout un précieux témoignage de la façon dont une figure de la pop culture peut être remodelée à la faveur des enjeux, esthétiques et sociaux, de son époque.
Les nouvelles aventures de Sabrina saison 1, disponible sur Netflix le 26 octobre
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