Loin de reproduire sagement l’intrigue du film, l’adaptation vidéoludique de « La Grande Aventure Lego 2 » offre aux enfants (et éventuellement aux plus grands) un grand terrain de jeu farfelu dans lequel donner libre cours à leurs envies. Malgré ses défauts, ce 69e jeu vidéo Lego depuis 1995 vient confirmer la bonne santé d’une « franchise » pop qui mérite amplement sa popularité.
A part Mario, on ne voit pas bien quelle “franchise” (mot affreux, mais plus pertinent ici que “série”) de jeu vidéo pourrait avoir sorti davantage de titres au cours des quinze ou vingt ou vingt-cinq dernières années. Depuis 1995, on en serait même, selon Wikipedia, à pas moins de 69 jeux vidéo estampillés Lego, un ensemble couvrant à peu près tous les genres et toutes les plateformes de rigolade électronique, de l’app mobile quasi jetable au jeu de rôle en ligne massivement multijoueur. Mais c’est avec la sous-série d’adaptations mi-fidèles mi-ironiques de gros films hollywoodiens conçue par le studio Traveller’s Tales que les jeux Lego ont pris une autre dimension. Depuis 2005, les Britanniques ont ainsi reconstitué en briques colorées et néanmoins virtuelles les univers de Star Wars et des super-héros DC ou Marvel, d’Indiana Jones et de Harry Potter, de Pirates des Caraïbes, des Indestructibles ou encore de Jurassic World. Avec toujours à peu près la même ligne de conduite : inviter les joueurs (et en premier lieu les plus jeunes), non seulement à revivre les films, mais à jouer avec tous les éléments qui les constituent. A les démonter, quasiment, pour se les approprier et, dans une certaine mesure, en faire ce qu’ils veulent.
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Monde ouvert, expérience déstructurée
Bien qu’à petits pas, la formule a évolué au fil des années. Les mondes représentés se sont ouverts et les possibilités de fabrication d’objets (et de customisation des personnages), parfois essentielles à la progression du joueur, parfois purement cosmétiques, se sont accrues. A l’occasion, on a même vu des jeux Lego se passer de modèle cinématographique tel Lego City Undercover dont les deux principales sources d’inspiration furent les jouets de la gamme Lego City et la saga GTA réinterprétée, cette fois, du bon côté de la loi (mais en cassant quand même à peu près tout autour de soi et avec des morceaux de Starsky et Hutch et d’autres séries ou films policiers dedans). Dans le dernier jeu Lego en date, c’est encore autre chose car La Grande Aventure Lego 2 est une adaptation du film du même nom lui-même basé sur les jouets. Enivrés par leur succès, les Lego auraient-ils cessé de s’approprier tout (les récits, les formes, les univers…) ce qui traîne autour d’eux pour ne plus regarder qu’eux-mêmes ?
On n’ira pas jusque là. La Grande Aventure Lego 2 n’est sans doute ni le meilleur ni, surtout, le moins répétitif des jeux Lego. Comme l’explique le journaliste américain Mike Fahey dans sa critique très juste parue sur le site Kotaku, c’est aussi un jeu dont le mode de progression assez déstructuré (en gros : on va où on veut), se rapproche davantage de celui de Lego Worlds (qui s’inspirait de Minecraft, dont le principe doit beaucoup aux Lego) que des titres reprenant de façon linéaire l’intrigue d’un film à succès. Il n’empêche : l’essentiel est bien là, qui montre, de la part des développeurs, une compréhension profonde de ce que sont (et de ce que nous demandent) les Lego. Qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ne relèvent pas du jeu de construction.
Jeu de construction et d’imitation
Pas seulement, en tout cas. Qu’on saisisse pour de vrai leurs briques colorées de tailles variées et leurs petits personnages aux mains en forme de pinces ou qu’on tripote une manette devant un écran, l’affaire ne change pas tant que ça : avec les Lego on invente moins qu’on ne reproduit (les choses, les lieux, éventuellement les comportements des gens) On crée moins en partant de zéro qu’on ne met en place une version alternative de ce qu’on connaît déjà. Alors, jeu de construction, oui, bien sûr, mais au moins autant, et peut-être encore plus, d’imitation. Et c’est en cela que, sur consoles et ordinateurs aussi, les jeux Lego se distinguent joyeusement.
Rien d’étonnant, dans ce contexte, à ce qu’entre un combat de boss que l’on escalade rappelant étrangement – toute proportion gardée – Shadow of the Colossus et une balade à dos de dinosaures (car, oui, on fait ce genre de trucs super ici), on passe notre temps à collectionner les plans, les modèles d’objets (générateur, tremplin, arroseur automatique…) ou de bâtiments (café, boutique, pavillon d’habitation…) que l’on bâtira ensuite. Rien de surprenant non plus à ce que les personnages que l’on “débloque” (cosmonaute, cow-boy, etc.) ressemblent moins à de véritables individualités qu’à des costumes que l’on pourra ensuite enfiler à volonté. Dans les jeux Lego, on cherche d’abord à refaire ce qui l’a déjà été en portant le costume approprié (ou un autre, histoire de rigoler) avec juste cette petite touche personnelle de plus ou moins bon goût qui permet de le faire sien.
Une cour de récréation géante
De là vient, sans doute, que la franchise ait vraiment décollé quand elle s’est intéressée à d’autres œuvres et d’autres mondes que ceux qui lui appartenaient depuis toujours. Des univers pop bien connus et très aimés. Lui reprocher de piquer des concepts et dispositifs de jeu déjà vus ailleurs, c’est aussi faire fausse route : c’est ne pas saisir qu’au centre de l’expérience Lego se trouve depuis toujours la libre circulation des idées, quelles qu’elles soient, leur passage dans une sorte d’espace culturel partagé, de domaine (ludique) public (à comprendre au sens littéral de l’expression plutôt, évidemment, qu’au sens légal) ouvert à tous les mélanges et toutes les collisions.
Malgré ses limites et ses défauts (pourquoi, au moins sur la Switch, les niveaux mettent-ils donc tant de temps à se charger ?), La Grande Aventure Lego 2 prolonge une nouvelle fois cette utopie très actuelle d’un endroit où tout serait à la fois éphémère et préservé (car reproductible à l’infini), sublime et hideux, factice et essentiel, futile et extrêmement sérieux. C’est une cour de récréation géante où les activités ne manquent jamais (faire la course, livrer des trucs, chercher des machins cachés, se bagarrer…) En épuiser les possibilités – tout finir à 100% – pourrait d’ailleurs bien relever de la faute de goût. Le but – le nôtre, en tout cas – serait plutôt de traverser ces mondes le sourire aux lèvres et les yeux grand ouverts en se laissant porter par ses désirs du moment. Et guider par les surprises, les formes, les couleurs ou une lueur qui, subitement, nous intrigue confusément. L’affaire, dans sa dimension compulsive (détruire, disent-ils), pourra sembler frivole, mais c’est justement ce qui la rend importante – pour les petits, mais pas seulement. Tout cela est une éducation : on apprend ici au fond à s’approprier non sans imagination à peu près tout ce qui nous entoure. En la matière, qui en fait autant ? A part Mario, on ne voit pas vraiment.
La Grande Aventure Lego 2 (TT Games / Warner Bros Interactive Entertainment), sur Switch, PS4, Xbox One et PC, de 30 à 40€
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