Miss Kittin est l’une des principales têtes d’affiche du Sonar 2018 qui se tient en ce moment à Barcelone. Habituée des lieux, pour y avoir joué déjà plusieurs fois, elle nous parle de son histoire avec le festival et évoque aussi sa relation avec The Hacker, à l’occasion de la sortie de Lost tracks vol.2, un EP contenant quatre morceaux inédits du duo.
Qu’as-tu ressenti la première fois que tu as été invitée au Sonar?
Miss Kittin – Tout d’abord, un sentiment mêlé d’illégitimité et de consécration. Une grande excitation aussi, bien sûr, et la peur de ne pas être à la hauteur, de se retrouver face à un problème technique. A l’époque, nous voyagions seuls avec The Hacker, sans tour manager, sans technicien – impensable aujourd’hui. Les soundchecks n’étaient pas des parties de plaisir… C’était en 2000, nous étions invités dans le cadre du showcase du label Gigolo, avec toute l’équipe de DJ Hell, quand Sonar se déroulait encore sur le port. Ne sachant pas quoi mettre, je m’étais acheté au dernier moment la fameuse tenue d’infirmière dans un magasin de farces et attrapes car c’est tout ce qu’il y avait et je m’étais changée derrière la scène au milieu des câbles. La veille j’avais dû remplacer au pied levé un DJ du label Disko B, alors à un certain point, je ne sais plus trop ce qu’il s’est passé !
Tu y as joué plusieurs fois, l’une de tes performances – en 2005 – a même fait l’objet d’un disque, Live at Sonar (sorti en 2006). Le vois-tu comme un moment marquant dans ta carrière ?
Chaque nouvelle invitation sonnait comme la première et la dernière. Je dois dire que cela m’a causé un stress incommensurable… Cette fois-là, il y a eu des problèmes techniques hallucinants, les platines sautaient, je suis sortie en pleurs en me disant que l’enregistrement était foutu. C’est le moment où je commençais à chanter sur mes sets, mais ma voix y est imprécise car je n’entendais rien. Alors, oui, symboliquement c’est une performance qui a marqué ma carrière mais ce n’est pas la meilleure… J’ai bien compris que ce n’est pas la finalité qui compte mais l’intention et l’énergie qu’on y met. Sur le moment, c’était un acte fort et osé, avec toutes ses imperfections, ce qui me représente bien.
Quels souvenirs marquants gardes-tu de tes diverses participations ?
Sonar est un pèlerinage. D’abord parce que nous nous retrouvons avec toute ma bande d’amis pendant plusieurs jours, marquant le début de l’été. Chaque Sonar est différent, chaque performance m’a marquée profondément, parce que je me sentais privilégiée, et pour parer au trac, nous nous amusions beaucoup… Je me suis toujours dit : “OK, on joue sur une scène devant plus de 10 000 personnes mais on ne fait que passer des disques, on s’éclate tous ensemble, au même niveau.” Je ne l’ai jamais envisagé comme un concert mais comme une célébration.
J’ai trop de souvenirs pour en garder un seul. La dernière fois que j’y ai joué, c’était pour clore la même scène que cette année, je suis partie en after sur la plage toute la journée, j’ai pris une insolation et des coups de soleil terribles. Malade pendant une semaine, j’en ris encore.
Je me souviens aussi avoir pleuré devant le live de Jeff Mills et Mad Mike, ou m’être assise devant la scène lors d’un set pour écouter les gens chanter, pour une fois à moi de les écouter.
Selon toi, en quoi le Sonar se distingue-t-il des autres festivals de musique électronique ?
C’est un festival précurseur en bien des domaines, avant-gardiste, créé par un groupe de gens hors du commun toujours aussi soudés, avec une incroyable vision artistique. Ils ont en quelque sorte enfanté un monstre, et il faut beaucoup d’intelligence et de courage pour le garder en vie, l’apprivoiser année après année, garder un équilibre avec sa vie en dehors pour nourrir ces idées visionnaires.
Qu’apprécies-tu le plus dans le festival ?
Les gens qui le font, l’ambiance propre à Sonar, et surtout la vision contre-culturelle dans la direction artistique, la place importante réservée aux artistes expérimentaux. Ce jonglage entre les grands artistes et les petits.
Comment expliques-tu sa longévité ?
L’exigence visionnaire, impossible sans les esprits qui l’inventent.
Tu fais partie des 25 artistes sollicités pour réaliser un mix spécial pour les 25 ans du festival. Quelle direction as-tu choisi de prendre sur ce mix ?
Je revenais de Detroit, où j’ai ramené une collection de vinyles rares de chez Submerge, le fief d’Underground Resistance. Revoir Mad Mike et passer du temps avec son groupe m’a encore une fois bouleversée. J’étais encore habitée par ce voyage, et je voulais leur rendre hommage, Sonar offrant une belle plateforme pour perpétrer cet esprit. C’est une démarche sociale et culturelle que Sonar ne pouvait qu’apprécier. Se rappeler de nos racines.
Par ailleurs, tu figures parmi les têtes d’affiche de cette édition 2018 et tu vas mixer en binôme avec Kim Ann Foxman. Comment ce projet de binôme a-t-il vu le jour ? Est-ce une performance exclusive pour le festival ?
J’ai déjà joué avec elle, ironiquement plusieurs fois lors de ma soirée Off Sonar. C’est l’idée du festival, et je suis ravie que ça ne vienne pas de moi. Kim mérite absolument de vivre cette expérience et que les gens découvrent son talent. Elle est ma DJ préférée de ces derniers années, et, humainement, nous avons la même éthique, sans ego, ce qui la rend une partenaire de platines idéale. Jouer en binôme est à double tranchant, si l’autre n’est pas absolument généreux et avec une excellente culture musicale pour se nourrir l’un de l’autre, ça devient une battle, et personne n’a envie de vivre cela. L’énergie et l’intention d’une telle performance à quatre mains est aussi importante que la musique.
Fin juin paraît un second EP de morceaux inédits enregistrés avec The Hacker à la fin des années 1990. Avez-vous encore beaucoup d’inédits de cette époque en stock ?
Je ne sais plus… Je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup car nous n’avons pas eu beaucoup de rejets dans nos compositions. Ceux-ci en font partie, nous estimions qu’ils n’étaient pas assez bons à l’époque, mais, après plus de 20 ans, il y a comme prescription, l’électro est de nouveau cool (rires). Le mérite revient surtout à Josh Cheon, l’homme derrière le label Dark Entries, qui remue ciel et terre pour conserver et enrichir ce genre de catalogue underground.
Quel regard portes-tu sur ces morceaux aujourd’hui ?
J’ai du mal à croire que c’est nous qui les avons faits. Étrange sensation. Tout allait si vite, il nous a fallu de très nombreuses années pour avoir du recul, un recul que nous n’aurons jamais totalement. La naïveté et la témérité des débuts, la peur de rien, on ne pourra plus jamais revivre ça. C’est touchant, sans aucune nostalgie. Quelle chance d’avoir eu cette créativité atypique, d’avoir rencontré ce type (The Hacker) !
Faut-il voir dans la parution de ces inédits le présage d’une reformation prochaine de votre duo ?
Nous ne nous sommes jamais séparés, c’est notre force. Nous faisons notre vie chacun de notre coté musicalement mais notre amitié est toujours la chose la plus importante. Nous parlons souvent de nous remettre au boulot, quand l’urgence de se retrouver en studio viendra, mais nous ne dirons jamais quand.