Pour sa deuxième édition, MOVE investit jusqu’au 24 juin les espaces gratuits du Centre Pompidou avec une sélection de performances qui font du corps un vecteur de désobéissance aux structures répressives néolibérales.
La performance a le vent en poupe. Tant et si bien que cette forme intersticielle par excellence entre désormais dans son âge de raison. Ce n’est pas que la nature des pratiques performatives aient en soi changées, déjà fortes d’une longue histoire interne au genre accompagnée depuis les premiers happenings des années 1970 d’une solide corpus théorique. Il n’en reste pas moins que ces dernières années, la performance se taille une place dans l’écologie des structures du monde de l’art et solidifie pour ainsi dire son assise.
A New York ouvrira en 2019 un lieu entièrement dédié à la performance, the Shed – une première. A Paris, les grandes institutions se dotent de rendez-vous permettant de prendre chaque année la température de ce médium, sans doute celui qui sied le mieux à notre époque post-médium. Tout s’y glisse et s’y assemble, texte, danse, musique, sculpture et mode, comme permet de s’en rendre compte depuis quatre ans Do Disturb organisé fin avril Palais de Tokyo. Et depuis deux ans, MOVE au Centre Pompidou qui vingt jours durant début juin en investit les espaces public dans le Forum et au niveau -1.
On abat bien les travailleurs freelance
Là où la profusion de Do Disturb présente un échantillon foisonnant des pratiques du moment, MOVE sélectionne ses performances, projections, conférences et séminaire autour d’un double ancrage : le souci du corps exposé, incluant le cycle de films Vidéodanse, et une approche thématique plus ciblée. Cette année, le mot de performance rejoint et rejoue celui qu’on lui donne lorsqu’on parle de la « société de la performance« . « Le thème de MOVE 2018, c’est le corps critique », précise Caroline Ferreira, sa curatrice. « Dans son dernier livre Singularities. Dance in the Age of Performance, l’universitaire André Lepecki dresse un bilan de la performance en se basant sur le corpus critique des post-colonial et gender studies. Pour lui, les formes actuelles de la performance sont marquées par l’expression de subjectivités étranges et singulières qui réagissent aux différents rapports de domination à l’œuvre aujourd’hui. »
Comment ne pas finir broyé dans l’engrenage du capitalisme artiste qui exige que chacun devienne sa propre marque, qui quantifie chacun de nos faits et gestes en une quête effrénée de rentabilisation du capital humain ? « J’avais envie que MOVE montre la résistance des corps face aux conditions de production néolibérales. André Lepecki, mais aussi Wendy Brown dont il cite le dernier livre Undoing the Demos, tentent tous deux de penser l’héritage de la biopolitique de Foucault », continue la curatrice. MOVE présente deux types de tactiques de résistance.
Il y a d’abord les résonances occultes ou magiques qui infusent les travaux d’artistes comme Paul Maheke ou Hannah Black, qui présentaient respectivement lors du weekend d’inauguration leurs pièces A Familiar Familial Place of Confusion (Channel) et ANXIETINA (THE SITUATION). Il y a ensuite le versant abordant la réparation et le soin, la réappropriation thérapeutique de son corps par l’action physique. « Pour quatre artistes, Maria Hassabi, Liz Magic Laser, Pedro Barateiro et Francisco Tropa, je me suis associée à Sarina Basta. Commissaire d’exposition au Confort Moderne, elle l’est également d’une exposition à la Fondation Gulbenkian, Talisman, traitant de l’objet qui soigne le trauma« .
La « chorégraphie sociale des musées »
Que voit-on alors au Centre Pompidou ? Hormis les programmations de performances et de conférences en salle les week-end, la partie exposition diffuse en continu une sélections de vidéos. Celles de la programmation Videodanse avec les vidéos d’artistes comme Cecila Bengolea, Julien Creuzet, Anna Halprin ou Juliana Huxtable ; ou encore la partie des installations vidéo d’artistes comme Paul Maheke ou Lili Reynaud-Dewar Exposer les corps filmés, les raconter et les enregistrer certes, mais MOVE met également un point d’honneur à conserver quotidiennement des temps d’activation.
Dans l’un des épicentres les plus fréquentés de la capitale, la rencontre de corps avec d’autres corps reflète également ce que la Caroline Ferreira évoquera comme la « chorégraphie sociale des musées« , ces allées-venues où se traduit également les réflexes intériorisés de la soumission aux règles d’une structure, l’institution muséale. Parmi les envies d’artistes autour desquels s’est ensuite structuré le projet caracolait en tête Maria Hassabi. Certains reconnaitront les rayures roses de la moquette qui recouvre désormais l’étage inférieur du Centre.
En avril, la chorégraphe chypriote new-yorkaise d’adoption faisait la une (rose toujours) de Frieze magazine, l’une des rares publications d’art qui pèse et pose encore une carrière. Difficile pourtant de faire plus anti-spectaculaire que ses performances, où se joue la lente, l’infiniment lente élongation du mouvement jusqu’au seuil de son imperceptibilité et de son devenir-sculpture. Caroline Ferreira la découvre au MoMA (PLASTIC, 2016) puis la suit à la Documenta à Kassel (Staging, 2017) puis à Düsseldorf dans les espaces de la Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen (STAGING: Solo #2, 2018). Pour son « incroyable capacité à investir les espaces transitionnels » lui sera dédié le hall du niveau -1, à elle et à ses danseurs qui se relayent l’un après l’autre toutes les deux heures.
Faire du centre le vecteur de la désidentification
Depuis les espaces publics du Centre Pompidou, son centre pourtant souvent invisible à force d’être un lieu de passage, se dessine les constellations de la désidentification. Corps improductifs, corps singuliers donc, refusant de se laisser dresser par les structures dominantes économiques ou identitaires, s’y nichent et s’y affirment.
La deuxième édition de MOVE gagne en ambition autant qu’en cohérence. au cœur d’une institution se cantonnant souvent à la célébration d’artistes établis (blancs, mecs ou morts), l’événement réussit à infiltrer des voix émergentes et radicales. Peu ou pas vus en France, ces artistes sont de ceux qui dansent sur la crête du succès tout en ayant conservé la radicalité de l’émergence. « Je suis très tournée vers la scène londonienne, où je suis de près la programmation de la Polly Staple à la Chisenhale Gallery ou de la partie performance de la Tate pilotée par Catherine Wood. Je regarde également ce que montrent des festivals comme Performa ou Kunstenfestivaldesarts. Et certains artistes comme boychild, je les ai découverts et contactés sur Instagram« , raconte Caroline Ferreira.
Ce dimanche 17 juin, on retrouvera donc au Centre Pompidou, dans le cadre de MOVE et à partir de 17h une conférence du philosophe Paul B. Preciado en discussion avec Philippe Mangeot, intellectuel invité de la saison 2018 du Centre Pompidou et le danseur Volmir Cordeiro. Ainsi que les performances How to Make a Mask de Pedro Barateiro et Light My Luck de Laetitia Badaut-Haussmann. Les horaires et les informations pratiques sont sur le site du Centre Pompidou et MOVE se poursuivra jusqu’au dimanche 24 juin – dans la lenteur, l’intensité et les yeux fixés sur l’horizon de la désidentification.