Sur les réseaux sociaux, les pains se sont multipliés. A croire que pour être un bon confiné, il faut savoir réussir sa levée. Explications sur cet engouement pour le levain.
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Mélanger levain, eau et farine, recouvrir d’un torchon et mettre au frais, saler, malaxer et pincer la pâte, rajouter une nouvelle fois eau et farine et pétrir encore et encore… Sur son compte Instagram, Céline Maguet, journaliste culinaire, détaille les étapes et distille de précieux conseils, images à l’appui, car la recette du jour est complexe : faire son pain levain maison requiert patience et doigté. Avec elle, de nombreux internautes se sont ainsi transformé·es, à la faveur du confinement, en apprenti·es boulanger·ères postant fièrement leur miche encore fumante sur les réseaux sociaux.
« En confinement, on réapprend la patience »
Qu’est-ce qui explique cet engouement soudain pour le pain maison ? Selon la journaliste, c’est d’abord une question de contexte. “Pour faire du pain, il faut une motivation d’enfer et du temps chez soi. Or c’est quelque chose qui nous manque cruellement. En confinement, on réapprend la patience, et pour moi c’est la signature de nombreux plats, procédés culinaires et de l’artisanat en général.”
Assignés à résidence, entre deux apéros vidéo, il nous reste suffisamment de temps pour bouler notre pâton et nourrir notre levain. “Le vendredi 13 mars quand ils ont annoncé la fermeture des écoles, je suis allé chercher de la farine et j’ai commencé mon levain. J’avais déjà acheté un livre et un peu de matériel mais parce que je pensais que ça prendrait du temps, que ce serait compliqué, j’ai repoussé. Avec l’annonce du confinement, c’était évident que j’allais avoir le temps et le besoin de faire du pain. Les boulangeries que j’aime sont trop loin de mon domicile”, raconte Arnaud, professeur de mathématiques.
Parce que l’on a moins la possibilité d’acheter, on s’essaye à faire les choses par soi-même. “Même si le pain a été très largement critiqué ces derniers temps, dans un moment comme celui-ci où ce n’est plus si évident d’aller à la boulangerie, on se rend peut-être compte de l’importance qu’il a dans notre alimentation”, déchiffre Marie-Laure Fréchet, autrice de l’Encyclopédie du pain maison (Flammarion). La crainte d’être contaminé en allant en boulangerie a d’ailleurs poussé le ministre de l’Economie Bruno Lemaire a s’exprimer : « La profession est fortement sensibilisée aux règles d’hygiène. Le pain est cuit à haute température, ce qui élimine le Covid-19. »
Les boulangeries restent ouvertes pendant le confinement. J’invite tous les Français à acheter leur pain en boulangerie. La profession est fortement sensibilisée aux règles d’hygiène. Le pain est cuit à haute température, ce qui élimine le #Covid19. https://t.co/48jhcit46B
— Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) April 1, 2020
La multiplication des pains
Cette nouvelle passion pour le levain naturel ne prend pas seulement sa source dans la peur du virus et le plaisir du temps retrouvé. Elle s’inscrit également dans un besoin de communion. Sur Instagram, le hastag #painmaison déroule plus de 3 millions de publications : des recettes et des conseils que l’on partage, des photos de pains que l’on commente. “En voyant la pratique se démocratiser, je me suis dit que c’était peut-être à ma portée”, estime Anne-Laure, attachée de presse.
Dimanche 5 avril, la jeune femme publie la photographie de son premier pain maison, réalisé avec de la levure boulangère faute d’avoir réussi son levain. “Une fois refroidi, je l’ai observé sous toutes les coutures. Je l’ai touché, je l’ai senti. J’étais fière”, se rappelle-t-elle. Et, en suivant les volutes de farine, on s’aperçoit que le phénomène se retrouve autant à Budapest qu’à Los Angeles.
Partout dans le monde, on oublie l’angoisse de la maladie et le stress du confinement en pétrissant du pain et en observant les crépitements du four. En quelques semaines, le pain est devenu une expérience collective qui brise l’isolement du confinement. “Rien n’a un pouvoir aussi puissant que le pain pour nous relier à des formes profondes de notre héritage culturel. Socle de notre alimentation depuis des millénaires, il recèle bien des facettes qui nous le font considérer avec un attachement profond et y trouver des pouvoirs certains. Nous n’ignorons pas, même de façon intuitive ou innée, qu’il est la source des mots copain et compagnon”, explique Roland Feuillas, meunier et boulanger à Cucugnan et coauteur d ‘A la recherche du pain vivant (Actes Sud).
Si la baguette est un symbole national, le pain, lui est (quasiment) universel. “Quand nous nous retrouvons en crise, il n’y a pas que la peur de manquer, il y a quelque chose qui nous relie au pain. Il nous convoque. Il se rappelle à nous. Le pain est physiologiquement câblé en nous, il est dans notre épigénétique. Il n’y a donc rien d’étonnant mais bien quelque chose de très émouvant, que de voir aujourd’hui, nos contemporains remettre les mains dans la farine.”
Etrangement, le pain s’est affranchi du règne de la performance en vigueur sur les réseaux sociaux. Sur Tumblr, Instagram ou encore Facebook, on s’encourage, on partage ses astuces et ses déconvenues. Bienveillante, la communauté des geeks du pain distribue même sous le manteau des bébés levain pour que chacun·e puisse, bien au chaud et loin du coronavirus, se joindre à l’aventure. “Les personnes qui font leur pain et le postent sur les réseaux sociaux ne sont pas dans une forme de concurrence. Il y a beaucoup d’humanité, ils y mettent beaucoup de cœur”, analyse Marie-Laure Fréchet.
Les boulangeries doivent-elles craindre cette nouvelle ferveur pour le pain maison ? Non, rassure Céline Maguet. “A la fin du confinement, 90 % des gens ne feront plus de pain, mais ils sauront le faire. Et c’est ça le plus important !”
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