Créé par le Mapa Teatro, “La Despedida” dresse le bilan de plus de cinquante ans de conflit armé dans le pays sud-américain.
Des militaires jouant le rôle des guérilleros qu’ils ont combattus au milieu de la jungle, dans un camp converti en musée vivant à visée didactique, ça existe vraiment ? Oui, nous confirme le Mapa Teatro, fondé dans les années 1980 par Heidi et Rolf Abderhalden et basé en Colombie à Bogotá. C’est même avec la lecture du courrier écrit par la compagnie au chef d’état-major des Forces militaires que s’ouvre leur spectacle.
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Elle lui demande l’autorisation de venir filmer El Borugo, ex‑camp des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) dans lequel un groupe de soldats de la Force de déploiement rapide rejoue désormais des scènes emblématiques du conflit armé.
Ce chassé-croisé entre le théâtre des opérations transformé en représentation théâtrale et l’utilisation d’archives documentaires mixées au jeu des comédiens du Mapa Teatro sur le plateau constitue le nerf de la guerre de La Despedida. Il clôt le projet “Anatomie de la violence en Colombie” démarré en 2010 avec des spectacles consacrés au rôle des paramilitaires et des narcos.
Une alternance de jeux d’ombre et de couleurs vives
Mais La Despedida (“l’Adieu”) a ceci de particulier qu’elle coïncide avec un événement historique : c’est au théâtre Colón à Bogotá qu’a été signée, en novembre 2016, la paix mettant fin à cinquante-deux ans de guerre civile. Sabrant du même coup l’utopie révolutionnaire. C’est ce constat qui aiguillonne la dramaturgie du spectacle et lui donne son mordant.
Des images filmées jusqu’aux trois aires de jeu mobiles qui occupent le plateau, la jungle envahit tout. Elle est le luxuriant décor de scènes mettant en jeu les grandes figures, désormais statufiées, de la révolution – le Che, Fidel Castro, Mao, Lénine – qui jouent une partie de dominos que l’on sait perdue d’avance.
La beauté de la scénographie, magnifiée par des lumières qui alternent des jeux d’ombre aux couleurs les plus vives, fait la part belle à la vacuité d’un idéal qui vacille sur son socle mémoriel pour tenter d’imaginer le futur. Le didactisme avait du bon, il savait discerner le bien du mal. En témoigne l’hilarante série des définitions d’expression qui diffèrent radicalement selon qu’elles viennent de la classe supérieure ou inférieure.
Restent la musique et le sens de la fête : les chants révolutionnaires entonnés par Agnès dans une robe pailletée rouge vif, et l’humiliation d’une Miss Colombie qui se voit retirer son prix à peine décerné de Miss Univers 2015 au profit de Miss Philippines, ils disent le rêve et ses désillusions.
Au final, décrivant le parcours vers l’abîme d’enfants guerriers, le mot de la fin – emprunté à l’écrivain chilien Roberto Bolaño – suinte d’une foi entachée de regret : “Par-dessus tout ce chant parlait de la bravoure et des miroirs, du désir et du plaisir. Et ce chant est notre amulette.” Fabienne Arvers
La Despedida Création du Mapa Teatro, mise en scène Heidi et Rolf Abderhalden, Festival d’Automne à Paris, du 13 au 18 novembre, Théâtre des Abbesses, Paris XVIIIe
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