« Mon Voisin Totoro » fête ses 30 ans. A l’occasion de sa ressortie en salle, retour en quelques points sur l’un des chefs-d’œuvre d’Hayao Miyazaki, pierre angulaire du cinéma d’animation japonais.
On associe souvent Mon Voisin Totoro à nos premiers souvenirs cinéphiles. On se rappelle alors de bribes d’images : celles d’un étrange et immense matou au ventre tacheté, d’une fillette à couettes, d’une autre à la coupe garçonne, d’un chat-bus jaune surfant dans les airs, d’un concert d’ocarina perché tout en haut d’un arbre ou de petites bestioles poilues appelées noiraudes…
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On se remémore alors l’arrivée des petites filles et de leur père dans la nouvelle maison perdue quelque part dans la campagne japonaise ; on se souvient de l’excitation des fillettes, de leur course poursuite dans les pièces vides de la vieille bâtisse, du parquet grinçant qu’on dépoussière, des meubles que l’on installe. On se souvient aussi du rose de la robe de la petite Mei, quatre ans, des graines que l’on ramasse, que l’on s’empresse de planter dans le vaste jardin puis, qui après une séance chamanique endiablée, pousseront comme par magie ; de la nourriture que l’on dévore, des draps qui enveloppent le corps des enfants endormis, des herbes hautes dans lesquelles on se couche ou encore d’une chaude après-midi d’été… Et puis c’est tout mais c’est déjà bien assez. L’histoire, la trame narrative, se sont échappées. Seules les silhouettes et les sensations sont restées.
Mon Voisin Totoro est un film totem bienveillant, à l’image de son gourou des bois au large sourire. C’est à la fois celui d’une génération, celle des enfants des années 90, qui découvraient pour la première fois l’univers du maître Miyazaki. C’est aussi celui d’un empire, les studios Ghibli, qui accouchaient d’une mascotte, apparaissant désormais à chaque générique de leurs films. Aujourd’hui le célèbre Totoro a déjà trente ans mais encore tout son pelage. Retour en quelques points sur l’un des chefs d’œuvre de l’animation japonaise.
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Peluche préférée
Quand Mon Voisin Totoro sort sur les écrans japonais en avril 1988, les studios Ghibli, fondés trois ans plus tôt par Hayao Miyazaki et Isao Takahata, n’en sont qu’à leurs balbutiements, mais le fidèle tandem a déjà accouché de quelques succès. Ensemble, ils ont conçu Panda Petit Panda – proche cousin de Totoro -, Nausicaa de la vallée du vent – réalisé avant la création des studios mais considéré comme premier aperçu de l’empreinte Ghibli – et Le Château dans le Ciel, premier long métrage officiel des studios. Au moment de la sortie de Mon Voisin Totoro, celui que l’on surnommera le « Walt Disney japonais » (une expression qu’il exècre et qui tient davantage à un stakhanovisme partagé qu’à une gémellité thématique ou technique) est un animateur, scénariste et désormais réalisateur installé et reconnu dans son pays.
En seulement quelques films, le duo Miyazaki/Takahata a étoffé l’imagerie Ghibli et donné vie à un univers onirique, maniant aussi bien les références SF que celles piochées dans le folklore japonais. Au milieu de ces mondes fantaisistes, trainent de valeureux gamins, surtout des filles, souvent seules, et parfois prêtes à tout pour sauver une humanité (ses hommes, sa faune et sa flore), des griffes de gouverneurs plus grotesques que maléfiques.
Si le territoire Ghibli est donc déjà identifiable, l’arrivée de la silhouette rondouillarde de son Totoro l’inscrira définitivement dans les mémoires. Bien accueilli en salle (plus de 800 000 entrées soit plus que Le Château dans Le Ciel), le phénomène Totoro dépasse largement l’écran de cinéma. Le félin devient la peluche préférée des enfants et donne à Ghibli une image de marque considérable. Plus tard, on retrouvera même le dodu personnage, en clin d’œil, dans un épisode de la série South Park et même dans le dernier tome de Toy Story.
Outre cet effet marketing déterminant, Mon Voisin Totoro offre également une nouvelle facette de la touche Miyazaki. A l’inverse des précédents films, Totoro est paradoxalement le film le plus réaliste de son auteur, et en même temps le moins actuel. Le cinéma d’animation japonais s’est construit sur les cendres d’un pays détruit. Miyazaki, comme beaucoup de ses contemporains est un enfant de 1941, ballotté de place en place dans l’espoir d’échapper aux bombardements américains. Ce traumatisme apparaît comme l’un des fils rouge de son œuvre.
Situé dans le japon rural des années 50, Mon Voisin Totoro est étrangement dépossédé de cet horizon guerrier. Adapté du conte de Kenji Miyazawa, les Glands et le Chat sauvage, il est probablement le film de Miyazaki le plus « enfantin » dans ce qu’il restitue des souvenirs de son auteur : les sensations liées à ce premier âge, ses déchirures (l’absence de la mère, tuberculeuse) et cette capacité d’émerveillement et de vision. Miyazaki dira que pour dessiner son Totoro il s’est souvenu des petites créatures qu’il voyait, enfant, dans la forêt qui bordait sa maison. Comme un instantané des souvenirs d’enfance et de ses sensations, Mon Voisin Totoro est aussi pensé comme un hommage au Japon d’antan, à ses campagnes et à ses paysans.
Le film s’ouvre sur l’image d’une famille unie, complice mais aussi incomplète (l’absence de la mère ne sera pas explicitée tout de suite). Mon Voisin Totoro, à l’inverse des deux films précédents, est à l’image de son personnage : rond, doux, parfois inquiétant (chez Miyazaki l’émerveillement et la peur vont de pair) mais toujours réconfortant.
Aucune parole sur la situation du pays n’est prononcée. Ne reste alors qu’une ode à la nature, à la vie paisible et à l’éphémère des choses. Si Mon Voisin Totoro reste encore aujourd’hui si vivace dans les esprits c’est probablement parce que rarement un film aura su restituer, avec autant de soin, l’harmonie du quotidien. La finesse des traits, la longueur des plans accordés à chacun des personnages, l’attention portée aux découvertes enfantines comme ce long passage où la petite Mei fait pour la première fois la connaissance d’un Totoro miniature et apeuré… Tout s’opère dans une forme de grâce, de légèreté et de profonde mélancolie. Mon Voisin Totoro a l’effet d’un doudou serré contre le cœur.
Goldorak VS Totoro : arrivée en France
Si Totoro a conquis les enfants japonais, les petits français, eux, ne le découvrent que dix ans plus tard. Quand il débarque sur les écrans en 1999, l’anime japonais (qui trouve son inspiration dans la bande dessinée) n’a pas très bonne presse. Le succès fulgurant du puissant robot Goldorak et de la team Dragon Ball Z mettent les foyers français en émoi. Les kids des années 90 font de ces puissants personnages leurs nouveaux héros tandis que les parents s’inquiètent des jets de sang et des tôles froissées qui passent à la télé. Ode à la violence pour certains, objet de fascination pour d’autres, le cinéma d’animation japonais ne fait pas l’unanimité. C’est donc dans ce paysage confus de ballets métalliques que le jovial Totoro, premier film Ghibli à être distribué dans l’hexagone, s’installe dans les salles françaises, après une première distribution en VHS quelques mois plus tôt. S’il est loin d’être le premier dessin animé nippon à être exporté en France, Mon Voisin Totoro donne à voir une nouvelle image de l’anime japonais.
Avec son graphisme raffiné, son réalisme onirique, ses chemins de traverse fantastiques, son monde en parfait communion avec une nature vivante et bienveillante, le film déjoue les clichés qui s’agrippent au genre. A partir de là, l’anime japonais ne sera plus vu comme un objet clinquant et vulgaire mais comme une œuvre à part entière, pouvant être appréhendée de multiples façons en fonction des âges auxquels elle est vue.
La force consolatrice de l’imaginaire
Alors que voir dans Mon Voisin Totoro ? Si vous avez une dizaine d’années, un peu plus ou un peu moins, peut-être y verrez-vous la rencontre étonnante entre une fillette en culottes courtes et un gros nounours-chat au ventre rebondi. Vous y verrez aussi, cette même petite fille et sa sœur aînée découvrir, dans un mélange de joie et de terreur, les habitants charbonneux d’une vieille demeure. Plus tard, quand les sœurs attendront sous la pluie que leur père ne rentre du travail, vous retiendrez sûrement l’image de ce bus chat, déboulant à toute allure et comme tout droit sorti d’Alice au Pays des Merveilles.
En revanche, si vous avez dépassé la barre des douze-quinze ans, votre vision sera certainement autre. Le grand Totoro sera toujours bien présent, les noiraudes grouillantes aussi mais l’univers fantastique du film vous sera plus visible. Cette rencontre entre le doudou et les fillettes vous apparaîtra probablement comme un récit d’apprentissage ou comme une réflexion sur la force consolatrice de l’imaginaire. Le tunnel de verdure qu’emprunte la petite Mei pour rejoindre le monde sous-terrain et merveilleux de Totoro deviendra, probablement, un cocon réparateur pour l’enfant qui viendra s’y lover.
On a parfois reproché aux films dits « jeunes publics » de n’être que de petits objets inoffensifs, naïfs, débonnaires à l’image de leurs jeunes héros. Il y a indubitablement chez Miyazaki une utopie de l’enfance qu’il filme comme l’âge le plus clairvoyant de la vie, celui où le regard est le mieux ajusté, le plus ouvert, capable de saisir dans un même élan les commissures du réel et leurs revers fantasmés. Si l’enfance est ici le parfait moyen pour aborder les doutes de l’existence, la peur de l’abandon et la foi dans l’imaginaire, Mon Voisin Totoro est loin d’être réservé aux plus petits et le film existe à la fois avec et sans adultes.
La force et la virtuosité de Mon Voisin Totoro est de faire coexister ces deux regards, de les confronter, de les mélanger et même de les mettre en scène par l’intermédiaire des personnages adultes. « Ces bestioles se plaisent bien dans les vieilles maisons vides et humides, elles se font des petits nids invisibles et transforment tout en poussière. Moi aussi j’en voyais souvent quand j’étais petite fille et je suis heureuse de savoir que vous avez la chance de les voir » dira la vielle voisine émue à Satsuki et Mei qui viennent lui faire part de leur découverte.
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