Des images de confinement, nous en sommes tou·tes largement abreuvé·es depuis des semaines. Parfois, elles émanent d’artistes connu·es. Des images homemade, postées sur des comptes personnels ou ceux de médias (dont Les Inrocks), où chacun·e offre à ses congénères confiné·es une reprise, une nouvelle composition, un message de réconfort (voire la traversée hallucinée d’un Paris désert à la recherche d’une pharmacie de garde, sur d’inquiétantes nappes de synthé, comme Arielle Dombasle dans une vidéo déjà culte)…
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Souvent, des bouts d’intimité domestique sont soudainement partagés (un coin de bibliothèque, un bout de canapé). Ce nouveau standard proliférant, et généralement très lo-fi, de l’artiste confiné·e qui chante chez lui·elle, un clip récent vient de lui donner sa forme de blockbuster : Toosie Slide, réalisé par Theo Skudra pour Drake.
“On sait depuis le clip de God’s Plan que Drake est passé maître dans cet art compliqué de l’indécence inclusive”
Quelques très beaux plans nocturnes d’un Toronto vidé de présence humaine ; la star gantée et emmitouflée dans des tissus barrières ; juste trois plans-séquences qui nous convient à suivre le rappeur dans sa déambulation à domicile ; quelques pas de danse, un devant puis un de côté, propres à déclencher du mimétisme viral de masse : et voilà, le tour est joué.
Nul doute que la crise mondiale que nous vivons vient de produire sa première œuvre artistique notable. Dont le propre est à la fois de figurer fortement ce moment – solitude, confinement, isolement – tout en visant à le transformer – l’invitation à la danse pour ressouder une communauté de corps, même virtuelle.
On sait depuis le clip de God’s Plan, qui le voyait distribuer le budget de la vidéo (1 million de dollars) à des passants d’un quartier populaire de Miami, que Drake est passé maître dans cet art compliqué de l’indécence inclusive. Indécence, parce qu’un niveau de richesse insensé s’y étale de façon totalement défiltrée (à côté duquel les maisons à colombage des écrivain·es français·es paraissent bien modestes).
Inclusive parce que, étonnamment, l’artiste réussit à ce que cette ostentation ne heurte quasiment personne, ne déclenche aucun embrasement polémique sur les réseaux et paraisse moins une narguerie de grand privilégié qu’une invitation. C’est le miracle du dance challenge, reproduit à l’infini partout sur Terre et posté sur TikTok. Un pied jeté en avant, puis sur le côté, tous ensemble, et comme par magie les inégalités de confinement s’adoucissent.
Une œuvre marqueur de son époque, les Strokes en avait déjà réussi une avec éclat. Indubitablement, c’est à New York qu’a commencé le XXIe siècle en septembre 2001. D’abord, l’histoire humaine globale – géopolitique, idéologique –, avec la tragédie que l’on sait.
“Les dix-neuf années qui nous séparent de septembre 2001 n’étaient peut-être qu’un long sas entre deux siècles”
Mais aussi une histoire plus mineure – mais qui ne nous importe pas moins –, celle des courants esthétiques et des formes : il a suffi d’un vrombissement introductif de guitares pour que Is This It reconfigure la cartographie musicale de l’époque et inaugure avec flamboiement une décennie de retour du rock.
Presque vingt ans plus tard, après une très longue absence, les Strokes reviennent, et le moment paraît tout aussi charnière. Certain·es analystes affirment même que c’est en fait maintenant, avec cette crise sanitaire en cours, puis avec la crise économique, sociale, politique à venir, que nous entrons véritablement dans le XXIe siècle. Les dix-neuf années qui nous séparent de septembre 2001 n’étaient peut-être qu’un long sas entre deux siècles.
Pour accompagner cette deuxième entrée, les Strokes ont en tout cas trouvé le titre parfait : The New Abnormal. Tandis que notre quotidien isolé et prostré semble avoir dérapé hors du régime du réel, saura-t-on s’adapter à cette nouvelle anormalité ?
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