La démo de « The Last of Us 2 », mettant en scène un baisé entre deux jeunes femmes, a été l’un des grands moment de l’E3. Cela montre que les grands studios tentent depuis plusieurs années de proposer un jeu vidéo plus inclusif.
A Los Angeles, la star de la semaine aurait pu être un plombier moustachu, bardé de sa bande d’affreux qui n’attendent que de se mettre K.O l’un l’autre. Elle aurait aussi pu prendre la forme de ce jeu à succès où l’on construit des tours en dansant comme Antoine Griezmann. Lors de cet E3 2018, la star aurait encore pu être un homme araignée ou même, pourquoi pas, Socrate, le philosophe grec. Et pourtant, l’image que le monde retiendra du traditionnel grand raout du jeu vidéo international, c’est un baiser. Sans doute l’un des plus beaux que le média ait jusque-là offert, échangé par deux jeunes femmes, à peine sorties de l’adolescence, dans ce qui ressemble à une fête de village. Une scène simple, émouvante et juste, proposée lors de la présentation de The Last of Us 2, pendant la conférence de Sony, mardi 12 juin.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Studios progressistes
Drôle de temps fort pour la grand messe d’une communauté dont la partie la plus bruyante, convaincue qu’un papa blanc doit aller avec une maman blanche, se distingue par des attaques systématiques sur les réseaux sociaux contre les femmes, les gays, les minorités. Pourtant, le trailer de The Last of Us 2 n’est pas un événement isolé. Rien qu’au salon de Los Angeles, deux autres jeux (Assassin’s Creed Odyssey et Cyberpunk 2077) ont confirmé que des idylles entre personnages de même sexe seraient possibles entre le joueur et des personnages non-jouables (PNJ). Que ce soit par militantisme, pour refléter la réalité ou tout simplement pour enrichir le gameplay, certains studios cherchent depuis maintenant une décennie à représenter les personnes LGBT en essayant d’éviter les stéréotypes.
« Il y a eu changement très visible ces dernières années, avec un soin mis sur la justesse de la représentation, confirme Alex Dobro, fondateur de l’association Next Gaymer. Le tournant s’est effectué vers 2008/2009. » A cette époque où Rockstar dévoile The Ballad of the Gay Tony, contenu additionnel de GTA IV, où le personnage éponyme, patron de boîte de nuit cocké, est encore bien stéréotypé, sort le premier Mass Effect, du studio Bioware. Ce space-opera et les trois autres volets qui le suivront ont joué un rôle important dans la normalisation en cours des personnages LGBT dans l’industrie vidéo-ludique, en proposant aux joueurs la possibilité de nouer des relations homosexuelles ou tout simplement de rencontrer des personnages dont la sexualité n’est pas hétérosexuelle. Au Monde, le producteur des deux derniers Mass Effect expliquait que les équipes du studio s’assumaient comme « socialement progressistes ».
Dès la fin des années 1990, les jeux AAA (comprendre : ceux à très gros budget) donnent ce genre de possibilité, à commencer par les Sims, qui lui doivent en partie leur succes story. Si le simulateur de vie d’EA est devenu en vingt ans l’un des jeux les plus populaires, l’éditeur américain ne croyait pas énormément à ce programme qui ne donne aucun but précis au joueur. Sauf que par hasard, lors de l’E3 en 1999, deux femmes Sims s’embrassent au moment où le jeu est montré à un groupe de journalistes. Le buzz était lancé.
« Expérimenter sans faire face aux jugements »
Avec les Sims, jeu grand public s’il en est, l’homosexualité a une porte d’entrée dans les foyers du monde entier. Ainsi, des adolescents, parfois plus jeunes encore, ont pu tester des combinaisons par forcément manif’ pour tous, et se découvrir. Dans une conversation sur le forum reddit de la communauté « gaymers » plusieurs personnes expliquent notamment comment les Sims les ont aidées à s’accepter.
« J’étais un garçon gay de quatorze ans qui ne s’assumait pas dans le Kentucky lorsque j’ai joué pour la première fois au Sims, explique l’un d’eux. (…) Ce jeu a représenté un endroit où je pouvais expérimenter sans danger, sans faire face au jugement, l’ostracisme et la haine de l’homosexualité de ma famille et ma communauté. »
D’un baiser à l’E3 à l’autre. Si la démo de The Last of Us 2 a eu un tel retentissement, dans les travées du festival de Los Angeles comme sur internet, c’est qu’il opère un changement radical. Jusque-là l’homosexualité des personnages était souvent un choix, une éventualité laissée aux joueurs de sorte que si l’on souhaitait interpréter un bon vieux macho, c’était encore possible. Là, on a affaire à un personnage dont l’orientation sexuelle n’est pas un choix. Ellie est lesbienne, point.
Message politique
« Cela faisait plusieurs années que j’espérais un choix fort comme celui-ci, explique Alex Dobro. Mais je ne pensais pas que cela interviendrait aussi tôt. » D’autant que la vidéo, techniquement bluffante, a été diffusée lors de la très suivie conférence de Sony. « C’est un message politique fort », poursuit le fondateur de Next Gaymers selon qui le trailer a créé un véritable effet de sidération dans la communauté LGBT.
« C’est un sans faute. La représentation des deux jeunes filles est très juste, très sincère et évite les stéréotypes », juge le militant pour qui l’image des homosexuels dans les jeux vidéo « se normalise ». Ainsi, fini l’époque où des gays caricaturaux n’étaient présents dans les jeux que pour amuser la galerie. Avec les années 2010, la narration du média s’est faite plus minutieuse, plus soignée, plus adulte sans doute. Des avancées qui bénéficient aussi aux personnages issus des minorités.
Ambiguïté
Le premier épisode de The Last of Us, par exemple, introduisait le personnage de Bill. Bill aime les hommes, mais pour autant, « il n’est pas présenté comme le pédé du jeu », se souvient Alex Dobro. On n’apprend que plus tard, au détour d’une conversation, son orientation sexuelle. De même, le fabuleux Life is Strange du studio parisien Dontnod conte l’histoire d’amitié entre deux jeunes filles. Au fil des épisodes écrits avec finesse et des choix du joueur, la frontière entre meilleure et petite amie se fait de moins en moins nette, mais le jeu ne tranche jamais franchement. Une ambiguïté qui n’a rien du choix opportuniste mais qui au contraire fait toute la force du teen-movie vidéo-ludique.
Le phénomène est tel qu’il a même fait vaciller Nintendo. En 2014, le tout puissant studio nippon sort Tomodachi Life, un simulateur de vie qui permet de nouer des relations avec d’autres personnages. Comme dans les Sims, le joueur peut se marier. Contrairement au jeu d’EA, les unions entre personnes de même sexe ne sont pas possibles. Scandale sur les réseaux sociaux. Après plusieurs jours d’attaques, la maison-mère de Zelda et Mario se retrouve, pantoise, à présenter ses excuses aux internautes. Heureusement pour les gamers, il n’y a pas que les masculinistes qui se font entendre.
{"type":"Banniere-Basse"}