[Le monde de demain #17] Tous les jours, un entretien pour nous projeter dans le monde que l’on retrouvera au sortir de cette crise sanitaire. Aujourd’hui, le philosophe Mark Alizart appelle à considérer les catastrophes, sanitaires et climatiques, comme des délits politiques, et à faire de l’écologie le sol commun d’une lutte pour la vie juste.
#OnResteOuvert : Fermons nos portes, pas nos esprits !
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Retrouvez les précédents épisodes de la série :
>> Episode 13 : Le monde de demain, selon Eric Reinhardt
>> Episode 14 : Le monde de demain, selon Mathilde Monnier
>> Episode 15 : Le monde de demain, selon Enzo Traverso
>> Episode 16 : Le monde de demain, selon Dominique Blanc
Fin février, le philosophe Mark Alizart publiait un court brûlot au titre lapidaire : Le coup d’Etat climatique. Il y appelait à se méfier des imaginaires grandiloquents de l’apocalypse tout autant que des marécages croupissants du climatoscepticisme, afin d’oser regarder en face, une fois les extrapolations déblayées, les rouages politiques que révèle, entretient et alimente la catastrophe climatique.
La catastrophe sanitaire à laquelle nous sommes actuellement confrontés participe de cette même logique. Elle fait figure d’un avertissement alertant sur l’imminence d’un bouleversement climatique plus dramatique encore, si de ce premier signal d’alerte nous tardons trop à tirer les enseignements. Auteur d’une série de livres attachés à dégager une contre-histoire de la modernité (dont Pop Théologie, Informatique Céleste et Cryptocommunisme) Mark Alizart change ici de stratégie
L’intellectuel n’a désormais d’autre choix que de s’engager dans la mêlée. Il doit redescendre parmi les terriens, et enraciner les principes cardinaux de la philosophie, comme la recherche de la vie juste, dans le sol d’une lutte écologique concrète, urgente et sans compromis. Plutôt que d’imaginer des mondes possibles, il faut dès aujourd’hui désigner et accuser, exiger et imposer. La pandémie en est l’irréfutable preuve.
As-tu l’impression de vivre un moment inédit ?
Mark Alizart – Oui, bien sûr. C’est un moment inédit, le monde entier qui ralentit brusquement, comme un train lancé à pleine vitesse dont on aurait serré le frein. C’est même à peine croyable. On nous a tellement dit qu’il était plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme qu’on avait fini par y croire. Mais non, il peut s’arrêter.
Il peut surtout être dirigé. Preuve en est les trilliards de dollars et d’euros qui ont été émis par les banques centrales alors que leurs porte-parole nous assénaient depuis des décennies que c’était impossible, que la crise de 2008 était exceptionnelle, que la dette empêchait le financement de ceci ou de cela, et même commandait la destruction de ceci et de cela… COVID a tué TINA – “There Is No Alternative”, le mantra de Margaret Thatcher.
Que fais-tu pendant la nouvelle disposition temporelle qu’ouvre ce temps de confinement ?
Rien. J’ai l’impression que ce temps n’est pas à moi, que je le vole à ceux qui n’ont pas le luxe d’en jouir. Il m’embarrasse comme une mallette pleine de billets que j’aurais trouvée dans la rue. J’irai mieux quand j’aurai trouvé un moyen de le rendre à qui il appartient.
Es-tu confiant quant à la façon dont les pouvoirs publics gèrent la crise ?
Ils ont clairement été pris de court. Mais le plus inquiétant tient sans doute à la raison pour laquelle ils l’ont été. Ce n’est pas tant parce qu’ils n’avaient pas prévu de masques, de respirateurs ou de médicaments – tout ça étant vrai par ailleurs.
C’est parce qu’ils ont souhaité, dans un premier temps, que toute la population contracte le virus pour qu’elle acquière une « immunité collective » (herd immunity), au risque que des millions de gens meurent ; évidemment, les vieillards en premier, les gens fragiles, et probablement donc, à leurs yeux, les « inutiles », au profit des plus forts, des plus productifs, des plus rentables et donc, bien sûr, de l’économie.
La politique sanitaire en première intention de l’Angleterre, de la France, des Etats-Unis a été inspirée par les thèses du darwinisme social. C’est probablement ce qu’il y a de plus répugnant dans ce que nous vivons. Tout au plus peut-on se consoler que cette ignominie se soit fracassée sur le mur de la réalité. La stratégie des winners de l’évolution s’est avérée intenable devant les cadavres s’accumulant aux portes des hôpitaux. D’où la volte-face qui s’en est suivi, puis le mouvement de panique…
Ton dernier livre récuse d’ailleurs l’usage de ce mot, « crise », lorsqu’il est utilisé à propos de la crise climatique. Tu expliques, et c’est ta première phrase, qu’“il n’y a pas de crise climatique. Il y a une volonté pour que le climat soit en crise”. Peux-tu nous en dire plus ?
Une crise, c’est quelque chose qui vous tombe dessus sans crier gare. Cette épidémie en est une. Sans doute, on pouvait s’attendre à ce qu’elle nous frappe, les épidémiologistes et les virologues en savent quelque chose, mais on ne pouvait pas le prévoir. Au sens où le virus aurait aussi bien pu surgir dans un mois, dans dix ans ou dans trente ans, et en Afrique plutôt qu’en Chine, s’éteindre presque immédiatement ou, au contraire, être plus virulent.
Ce qu’on se plaît à appeler la « crise » écologique, c’est autre chose. On sait qu’on doit s’y attendre parce qu’on peut la prévoir. Il y a des modèles météorologiques, physiques, thermodynamiques, qui en indiquent la survenue de manière très précise, les modalités, la date, les lieux…
La preuve, c’est que le niveau de réchauffement actuel de la planète a été calculé, au dixième de degré près, il y a plus de quarante ans. Pas seulement par la poignée de scientifiques du Club de Rome, mais par des scientifiques que les principaux responsables du dérèglement climatique avaient mandatés à la même époque, ceux des grandes compagnies pétrolières et gazières.
Et aussi ceux des Etats, aidés de leurs services armés qui considèrent depuis longtemps le réchauffement climatique comme une menace existentielle, au même titre que la prolifération nucléaire. Comme l’a dit Alexandria Ocasio-Cortez après une audition à la chambre des représentants américaine de tous ces protagonistes du dérèglement climatique : “Donc, ils savaient”.
Et s’ils savaient, on ne peut pas parler de « crise ». Il me semble plus juste de parler d’ « affaire », comme on a parlé de l’affaire du sang contaminé. On peut parler de « délit », comme on parle de délit d’initié, voire de « coup », comme je le fais dans mon livre. A fortiori lorsqu’on sait qu’en plus de n’en avoir rien ignoré, ils ont englouti des milliards de dollars dans des campagnes de désinformation pour que nous, nous ne sachions pas.
Tu y évoques un “carbofascisme”. Penses-tu que l’on puisse, de la même manière, voir se dessiner un pandémofascisme ?
Le carbofascisme, c’est un néologisme que Jean-Baptiste Fressoz a forgé pour décrire l’alliance contre-nature du fascisme et des industries fossiles. Je dis contre-nature parce que le fascisme, longtemps, ça a été “la terre ne ment pas”. Cette alliance que vise-t-elle ? D’après moi, à faire en sorte que le climat entre en crise, justement.
Parce que si le climat entre en crise, on peut s’attendre à ce que les réfugiés climatiques débordent sur nos côtes, comme ils ont déjà commencé de le faire. Et alors, l’idéologie du repli national ne souffrira plus de contestation. Il s’agit d’arriver à faire en sorte que les populations blanches apeurées en viennent à demander elles-mêmes l’instauration de la loi martiale pour se protéger de l’afflux de migrants qui les menaceront.
Donald Trump, avec son obsession pour le mur, et sa mise en scène de caravanes de Mexicains aux frontières, a déjà commencé ce travail de sape mental. Mais le virus prouve en effet qu’on peut arriver au même résultat par des moyens plus opportunistes.
La gestion politique, ainsi que les discours et les imaginaires mobilisés, te paraissent-ils comparable ?
Ici, rien n’est calculé, c’est de l’après-coup, mais passé le choc initial – en l’espèce, l’impossibilité de faire du darwinisme social d’une manière aussi grossière – les gouvernements ont très vite retrouvé leurs marques.
Viktor Orban en Hongrie, un autre partisan des murs, a profité de l’épidémie pour s’attribuer les pleins pouvoirs, installant de facto une dictature au cœur de l’Europe dont on voit à la première décision prise – la suspension des droits LGBT et du financement des théâtres publics – qu’elle n’est en rien motivée par des impératifs de santé publique.
Au Brésil, la rumeur d’un coup d’Etat militaire circule. En Inde, au Pakistan, en Chine, en Egypte, les réseaux sociaux et les journalistes sont muselés au nom de l’urgence sanitaire. En France, le président a parlé de “guerre” et le premier ministre vient d’installer un gendarme à la tête de la cellule riposte, tandis que, sous la table, un nouveau plan de privatisation de l’hôpital se prépare.
Franchement, c’est de la belle ouvrage ; un vrai “coup d’Etat pandémique”. Giorgio Agamben avait vu juste : ils sont en passe de réussir à rendre l’état d’exception permanent. Le fond de l’affaire, c’est que les démocraties dites « illibérales » n’ont jamais eu l’intention de le rester pour toujours. Elles ont depuis le début brûlé d’envie de suspendre l’Etat de droit pour de bon.
Mais comme il existe une société civile attachée au formalisme encore puissante, elles ne pouvaient le faire qu’à la faveur de ces chocs, qu’ils soient endogènes, comme le dérèglement climatique, donc, ou exogènes, comme le virus. C’est chose faite. Et nos démocraties libérales pourraient les suivre sur cette pente plus vite qu’on ne le croit.
L’un des autres points majeurs du livre démontre comment le capitalisme fait son miel des désastres, qui ne viennent alors qu’en renforcer l’emprise totalisante. Rejoins-tu le “capitalisme de catastrophe” popularisé par Naomi Klein ?
Oui, bien sûr. Je mentionne La Stratégie du choc dans Le Coup d’Etat climatique. C’était déjà la thèse de Rosa Luxemburg, dont j’ai mis une phrase en exergue du livre : “Dans sa phase finale, la catastrophe constitue l’élément vital et le mode d’existence normal du capital”.
>> A lire aussi : L’avertissement de Naomi Klein sur le “choc des utopies” qui nous guette
A ceci près peut-être que chez Klein et Luxemburg, la capture est essentiellement économique et financière. Le choc permet de faire des affaires. Aux Etats-Unis, le Sénat s’est d’ailleurs attribué à la faveur de l’épidémie le droit d’octroyer de manière discrétionnaire et sans contrepartie 500 milliards de dollars des contribuables aux multinationales que Trump jugera digne d’être aidées. C’est le braquage du millénaire !
Mais je crois qu’on ne mesure toute l’ampleur de la stratégie du choc que si on comprend qu’il permet aussi de faire de la politique. Naomi Klein y est venue dans son dernier livre, On Fire. On y trouve une analyse nouvelle des liens entre suprémacisme blanc et dérèglement climatique très intéressante. A l’aune des études sur le genre ou la postcolonie, beaucoup d’auteurs ont établi le lien entre réchauffement, extractivisme, colonialisme, racisme, sexisme et classisme.
C’est ça qui est vraiment fondamental pour comprendre ce qui a lieu en ce moment : le dérèglement climatique est instrumentalisé par la ploutocratie blanche dans le but de lui permettre de se défendre contre ce qu’elle imagine être une guerre de civilisation des pauvres et des non-blancs dirigée contre elle. La mouvance écofasciste, à laquelle appartenait le tueur de masse de Christchurch, ne fait aucun mystère de cette intention de faire du désastre écologique un génocide par procuration.
Penses-tu que cette pandémie soit un marqueur historique, que l’on entre dans une nouvelle séquence ou, au contraire, qu’elle ne fasse que renforcer les structures politiques et économiques en vigueur ?
Ca va un peu dépendre de la gravité de la crise. Si un médicament ou un vaccin est trouvé rapidement, on peut s’attendre a minima à une réorientation de nos gouvernements vers une sorte d’ordolibéralisme bon teint – ce système d’économie mixte, privé/public emmené par des entreprises privées d’Etat.
Il a fait la preuve de sa solidité dans les deux pays avancés qui ont le mieux résisté au virus, l’Allemagne et la Corée, du coup les populations des pays néolibéraux, qui se sont effondrés comme des villages Potemkine, le plébisciteront.
Mais ça ne réglera pas tout, loin de là. Car derrière, il faudra se préparer au dérèglement climatique, et sur ce point, ni les centrales à charbon allemandes ou le scandale Volkswagen, ni la corruption massive des Chaebols, ces conglomérats coréens, ne donnent à espérer.
Et si la propagation du virus ne s’arrête pas de sitôt ?
C’est la deuxième possibilité. Ensuite, il faut aussi envisager que les dégâts causés par l’épidémie sur nos économies soient déjà irréversibles. L’Allemagne et la Corée, pour en revenir à eux, sont des pays lourds à manœuvrer, très dépendants du modèle productiviste, or les ventes sont à l’arrêt.
Sauront-ils gérer un chômage de masse brutal ? Que se passera-t-il en cas de défaut de paiement d’un pays comme l’Italie, qui n’est pas la Grèce, où l’Etat doit déjà distribuer des bons alimentaires à 10 % de sa population pour éviter des émeutes urbaines ? Quid d’une faillite en cascade des banques et, en bout de chaîne, de l’euro ?
L’Afrique est très exposée, va-t-elle imploser aussi à nos portes ? Aux Etats-Unis, 60 % de la population n’a pas 1000 dollars de côté, ce n’est pas avec l’obole de 1200 dollars octroyée par le Sénat qu’elle va s’en sortir… Le risque que ferait courir une telle débâcle, c’est évidemment que les politiciens les plus vociférants, les plus nationalistes, les plus cyniques emportent la mise.
L’espoir, ce serait qu’émerge un nouveau Roosevelt, un nouveau New Deal remis au goût du jour par la Modern Money Theory. Viendra-t-il encore d’Amérique, ou sera-t-il Chinois ? Ou bien peut-être n’aura-t-il aucune nationalité, peut-être sera-t-il une communauté décentralisée, à la manière de Bitcoin ?… Les paris sont ouverts. Ce qui est sûr, c’est que les plaques tectoniques du monde sont en train de bouger et qu’on n’a pas fini de subir les répliques du tremblement de terre.
Je crois depuis longtemps que le bon modèle pour penser notre présent n’est pas la montée vers la guerre de 1914-1918 ou de 1939-1945, comme il a été beaucoup ânonné, mais la guerre de Trente Ans (1618-1648) qui a présidé à la décomposition du Saint Empire Romain Germanique et à la recomposition d’un nouveau système de gouvernance international. On y est peut-être.
Dans ton livre, tu écris pour agir et tu réveilles la figure quelque peu dormante de l’intellectuel non seulement engagé, mais qui s’engage, qui monte au créneau. Quels sont tes modèles d’action ?
Je pense effectivement qu’écrire des livres ne va pas suffire à peser sur le cours de l’histoire dans les années qui viennent, quand bien même ces livres appelleraient à la lutte dans les termes les plus éloquents.
Frederic Lordon l’a dit avec justesse, ce n’est pas parce que le capitalisme est aujourd’hui affaibli qu’il va rendre les clés gentiment. Il faudra les lui prendre, et ce n’est pas non plus en postant rageusement sur Facebook qu’on y arrivera, ni en organisant des grands débats, ni même en marchant dans la rue ou en parlant la nuit, debout, dans des tentes, place de la République.
On y arrivera en votant, donc en soutenant une organisation politique structurée, capable de susciter ces votes et de les convertir en acte. Hélas, je ne suis pas sûr que tout le monde l’ait encore bien compris. En rejoignant EELV, j’ai découvert que le parti comptait 5000 adhérents sur toute la France. 5000 !
On ne va pas pouvoir faire la révolution dont tout le monde parle et que tout le monde désire à 5000. Il va falloir que ma génération – les gens nés dans les années 1970 – se réengage massivement en politique ou la politique va lui rouler dessus.
Parce qu’il désigne l’horizon de l’engagement, ton livre garde vive une flamme d’optimisme a cœur des ténèbres. De même, y a-t-il des enseignements positifs à tirer de cette crise ?
Certainement. Bruno Latour l’a bien dit, ce virus est un avertissement avant la vraie crise, la grande, liée au dérèglement climatique et à l’extinction de la biodiversité. C’est un cavalier de l’apocalypse, pas encore l’apocalypse elle-même. Du même coup, il pourrait avoir l’intérêt de rendre l’écologie audible d’une manière inédite.
D’abord, il a restauré une parole commune, une parole de vérité, c’est la base. De même que les coronasceptiques du début de l’épidémie ont été balayés par les faits, personne ne pourra plus être climatosceptique désormais. Les médecins ont plié le match. Ensuite, il donne un plan d’action : “aplatir la courbe”, ça vaut aussi pour la transition écologique ; tout le monde peut maintenant comprendre ce que ça signifie. Enfin, il permet de le mettre à exécution. Il autorise à accuser tous ceux qui ne se préoccupent pas d’aplatir ladite courbe de ne pas être seulement des imbéciles ou des inconséquents, mais des criminels.
C’est à mon sens ce qu’il nous offre de plus précieux, en dépit de tous les drames et de la dévastation qu’il cause. Dans Le coup d’Etat climatique, je parle de la manière dont Act Up a complètement rebattu les cartes du combat contre le sida en se permettant justement ça : ne plus hésiter à dire que les politiques et les directeurs de labo qui n’offraient pas de solution au drame n’étaient pas seulement des incompétents, mais des meurtriers.
Dès lors que tous ces gens respectables ont été éclaboussés de faux sang et qu’ils ont compris que leur réputation pourrait aussi être sévèrement entachée par leurs agissements coupables, ils ont totalement changé d’attitude. Les écologistes gagneraient à mon sens à s’inspirer de cette stratégie pour galvaniser le vote et les adhésions à leur mouvement. Et le virus les y autorise, parce qu’il y a des morts, de fait, maintenant. Et il y en aura encore plus demain si on ne fait rien.
Comment imagines-tu le monde d’après ? Qu’en espères-tu ?
Je ne l’imagine pas. Je crois même qu’il ne faut surtout pas l’imaginer ! Si l’on commence à faire des plans sur la comète, c’est certain qu’ils y resteront, sur leur comète. Isaac Louria, un grand kabbaliste du seizième siècle affirmait que le monde n’a pas été créé ex nihilo, à partir d’un plan, mais qu’il est créé continûment, au terme d’une « réparation » de ce qui a été brisé en lui.
Ce beau mot de réparation emporte beaucoup de significations qui valent pour la situation présente. Il y a l’idée du soin, de la miséricorde, et mêmes les réparations au sens de dédommagements, en espèces sonnantes et trébuchantes, qu’il faudra verser à ceux qui ont mis leur vie en danger pour nous protéger. Et puis il y a l’idée de justice, parce que réparer, c’est aussi rétablir l’ordre du monde, la balance du juste et de l’injuste.
Dans le débat en cours aujourd’hui pour savoir s’il faudra punir ou pas les responsables de ce qui s’est passé, je suis résolument du côté du premier terme de l’alternative. Non pas parce que je crois qu’il faille absolument solder les comptes du passé, mais parce que c’est le seul moyen de se garantir un avenir.
Une des grandes raisons pour lesquelles nous en sommes là tient au fait que personne n’a été puni après le désastre de la crise de 2008. Aucun banquier, aucun patron, aucun homme politique n’est allé en prison pour avoir émis, couvert ou profité des subprimes pourris, de sorte que tous ceux qui s’en sont sortis à bon compte sont repartis de plus belle, en disant “recommençons, puisqu’à la fin, c’est l’Etat qui paye”. Encore plus de risque, encore plus de leverage, encore plus de management à flux tendus, sans stock, sans résilience : ce modèle que des consultants de trente ans ont imposé à l’hôpital en dépit du bon sens vient de là.
SI l’on n’en passe pas par la case justice aujourd’hui, on peut être certain que ceux qui s’en sortiront indemnes séviront à nouveau demain et qu’ils se feront un plaisir de nous infliger leur obsession pour la sélection naturelle puissance mille en matière climatique. Réparons donc. Ne rêvons pas du monde d’après, réparons bien celui-ci. Et je veux croire que, quand on l’aura réparé, quand on aura créé les conditions d’une vie meilleure et plus juste, hic et nunc, le capitalisme n’aura pas besoin d’être dépassé : il sera déjà mort.
Mark Alizart, Le coup d’Etat climatique, Paris : PUF (Perspectives Critiques), 2020. 96 pages, 9,90 euros. Disponible en format physique et numérique.
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