Comment perdre 4 heures de sa vie devant son smartphone? La nouvelle application « Stolen », qui permet de collectionner et acheter (fictivement) des utilisateurs de Twitter, n’a aucun but à part divertir ses membres – et leur offrir une plongée dans le monde sans pitié du capitalisme.
[Mise à jour du 18 février] On la croyait terminée, enterrée… L’application Stolen est finalement renée de ses cendres numériques sous un nouveau nom, « Famous », mais avec exactement le même concept. Il s’agit d’acheter des gens (jadis avec des dollars, aujourd’hui avec des « coeurs ») et de les revendre pour faire monter leur cote ainsi que le montant de son propre portefeuille.
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Lancée fin décembre 2015, l’application n’avait pas tenu deux semaines en ligne. Le 15 janvier 2016, le créateur de Stolen Siqi Chen avait annoncé que Stolen était « fermée jusqu’à nouvel ordre ». Interrogé par The Verge, il avait expliqué que trop de personnes demandaient que leur compte soit retiré de l’appli et ne puisse pas être « acheté » ou « vendu ».
The app is no longer available in the App Store. We’ve heard everyone’s concerns and have decided the best thing to do is to shut down.
— Stolen! (@getstolen) 14 Janvier 2016
Sur le compte Twitter de l’application, on pouvait voir que les modérateurs tentaient de répondre à chaque utilisateur mécontent, un à un, mais semblaient dépassés par les événements.
(Capture d’écran du compte Twitter de Stolen, le 14 janvier 2016)
Une élue américaine, Katherine Clark, s’était également emparée de l’affaire, en écrivant à Twitter et Apple pour leur faire part de son « inquiétude » vis-à-vis de l’utilisation des comptes Twitter des internautes sans leur accord. Le compte de l’appli Stolen lui a répondu que la firme était « d’accord » avec elle.
My letter 2 Twitter & Apple abt my concerns w/ « Stolen! » – an app that enables online abusers 2 “own” ppl’s profiles pic.twitter.com/c4ujmIq4e5
— Katherine Clark (@RepKClark) 14 Janvier 2016
A cause de ces polémiques, la nouvelle version de Stolen, « Famous », ne permet plus « d’acheter » des comptes Twitter qui ne sont pas créé un compte sur l’application, réduisant considérablement sa drôlerie.
Retour sur le « phénomène Stolen »
Lundi 11 janvier, nous racontions la trajectoire de cette application parfaitement inutile et donc terriblement attractive:
« J’ai acheté Léonard Trierweiler, on sait jamais ». Dimanche 10 janvier au soir, il fallait agir vite, et faire les bons choix. L’application Stolen, lancée le 22 décembre dernier, avait déjà commencé à faire des émules dans le microcosme de journalistes et « d’influenceurs » français.
L’objectif de ce « jeu » est de collectionner et échanger des comptes d’utilisateurs de Twitter. On débute avec un petit pactole de 500 000 dollars fictifs, avec lesquels il est possible « d’acheter » des comptes. Acheter, par exemple, celui des Inrockuptibles, fait monter sa cote et donc sa valeur. Plus le compte est prisé, plus son prix augmente.
N’écoutant que notre courage, nous avons ainsi tenté de devenir « propriétaires » des Inrocks, qui valaient à l’époque 320 000 (faux) dollars. Mais après quelques minutes, un autre utilisateur de Stolen nous l’avait déjà repris, avant de se le faire arracher par un autre, puis un autre, faisant monter sa cote à plus de 350 000 $. Impossible de reprendre la main : nous avions dépensé nos deniers pour investir dans d’autres comptes à plus de 100 000 $. Et ensuite ? Ensuite, plus grand-chose.
Rendre Stolen inaccessible pour faire monter la hype
C’est tout le principe de Stolen : l’application n’a pas grand intérêt, mais rend complètement accro. « Il faut un code pour s’inscrire, mais ne vous inquiétez pas, c’est la pire des applications, de toute manière. On est désolé de l’avoir créée », annoncent ironiquement ses créateurs en guise de présentation dans l’Apple Store.
Tout a été fait pour rendre Stolen inaccessible : si l’on n’est pas un utilisateur certifié par Twitter (les comptes qui ont un petit macaron bleu à côté de leur nom, généralement des personnalités publiques, médias ou journalistes), il faut obtenir un code pour pouvoir s’inscrire. Chaque utilisateur dispose d’un code invité à partager à la personne de son choix… Ou à vendre au plus offrant. On a ainsi pu voir des codes être mis en vente sur Twitter ou même sur la plateforme de vente et d’enchères en ligne Ebay, pour 35 (vrais) dollars.
Qui serait un bon samaritain pour me donner un code #StolenCode #stolen pic.twitter.com/OR3Uf5tiFL
— Corentin MOTTE (@MotteCorent1) 11 Janvier 2016
Je vend code stolen 10e paypal vs payez et je donne :) #stolen
— miki (@amobones) 10 Janvier 2016
someone just brought my stolen code on eBay for £7
— georgia x (@geoxgia_) 10 Janvier 2016
Selling 3 more Stolen Codes on eBay, all only $35 each! 1) https://t.co/EOs4ioEj56 2) https://t.co/Z0TaXGwG3U 3) https://t.co/lsvnOrEG7Z
— Sam (@TBEHzvoc) 10 Janvier 2016
L’inventeur de Stolen, Siqi Chen, annonce la couleur dans sa bio Twitter: « Je n’ai pas de codes Stolen« . L’objectif assumé (générer envie et jalousie auprès des utilisateurs de Twitter) n’est pas sans rappeler les débuts d’autres applications comme les sites de rencontre The League et Wyldfire, Who’s down, ou même le réseau social Google+, qui n’était disponible que sur invitation à ses débuts.
Pour qu’elle soit encore plus prisée du public (et peut-être à cause de contraintes de développement), Stolen, comme l’application Peach qui s’est lancée à peu près au même moment, n’est disponible que sur iOS et non sur Androïd, où se trouvent pourtant plus de 80 % des propriétaires de smartphones.
Les utilisateurs d’Android face à Peach et Stolen. pic.twitter.com/CRu3eTGBFJ
— Lucie Ronfaut (@LucieRonfaut) 10 Janvier 2016
« Nous dormons littéralement au bureau pour éviter que ce truc ne meure »
Si la stratégie marketing est connue, elle n’a pourtant pas toujours fait ses preuves : il suffit d’observer la funeste trajectoire qu’a connu Google+ pour s’en rendre compte. Pourtant, elle est suffisante pour nourrir une attente : en 24h (le 11 janvier), le hasthag #StolenCode a été utilisé plus de 25 000 fois sur Twitter. Certains ne s’en sont pas privés pour essayer de gagner des retweets et des abonnés.
Qui veut ? @getstolen #StolenCode pic.twitter.com/EotZyEpAFc
— croco sur le coeur (@httpAleccendre) 11 Janvier 2016
Siqi Chen et ses équipes essaient tant bien que mal de maintenir leurs serveurs en vie, comme l’inventeur de l’application l’a expliqué le 8 janvier au Time : « Nos serveurs sont en feu (…) Nous dormons littéralement au bureau pour éviter que ce truc ne meure. » Il y a trois jours, l’application recevait 10 000 requêtes (une action à l’intérieur de l’appli) par seconde.
Plongée dans le monde sans pitié du capitalisme
De là à envisager un avenir radieux à Stolen, il n’y a qu’un pas… Qu’il serait mal avisé de franchir. Comme l’a souligné Slate.fr, de nouveaux réseaux sociaux et applications se créent tous les jours, générant un emballement immédiat, susceptible de rapidement s’essouffler. Il suffit de faire un tour sur Ello, le « réseau social anti-Facebook » dont tout le monde parlait en septembre 2014 (cf. graphique ci-dessous) pour se rendre compte que le succès populaire n’a pas été au rendez-vous.
L’application Yo, que l’on savait inutile mais à qui on prédisait tout de même un bel avenir, a également été désertée.
Stolen a tout de même un avantage : faire comprendre les bases du capitalisme au plus néophyte des internautes. Son fonctionnement n’est régi que par une seule loi : celle de l’offre et de la demande. C’est ainsi que l’on a réussi, en à peine une minute, à faire monter la cote de notre collègue des Inrocks, en l’achetant pour 1 250 $, puis le rachetant 3 000 $, jusqu’à ce que les autres utilisateurs se rendent compte que son profil prenait de la valeur et ne le rachètent encore plus vite. Les enchères se sont envolées jusqu’à atteindre 200 000 $, une valeur qui est restée stable car rares sont les utilisateurs qui, une fois qu’ils ont dépensé leur 500 000 $ de départ, disposent d’une telle somme à réinvestir.
A l’inverse, la popularité de Stolen s’étant un peu tassée entre dimanche et lundi, de nombreux comptes avaient perdu de leur valeur ce mardi 12 janvier, car moins d’utilisateurs cherchaient à les acquérir. La loi du marché est sans pitié.
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