Avec nicht schlafen, Alain Platel met la musique de Mahler en mouvement.
On pourrait discuter sans fin des significations de ce titre nicht schlafen (“pas dormir”) choisi par Alain Platel. Il est vrai qu’à y regarder de plus près, ces danseurs réunis autour de la sculpture-décor de Berlinde De Bruyckere paraissent ressembler à des zombies ayant fait une croix sur le sommeil.
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Ils dansent jusqu’à l’épuisement, une transe douce puis énervée qui prend parfois des allures de bataille rangée. Le Flamand a pensé nicht schlafen comme un long poème que berce un choix de musiques empruntées à Gustav Mahler, du tubesque Adagietto de la Symphonie n° 5 au Hör auf zu beben ! chantée a capella par les danseurs.
Danseurs errants, compagnons d’infortune
Mais Platel, qui avoue ne pas être un grand amateur du compositeur viennois, pimente le tout de chants pygmées ou de bruits d’animaux – avec la complicité de Steven Prengels. Autant dire que l’effet est radical, emportant le spectateur loin de sa zone de confort habituel. nicht schlafen s’amuse de ces ruptures autant sonores que visuelles. A l’Europe, ébranlée par le Première Guerre mondiale, qui va se disloquer peu à peu, il substitue une mondialisation faite de danseurs errants, de compagnons d’infortune.
A vrai dire, il y a longtemps que le mouvement n’avait été aussi présent dans l’univers d’Alain Platel. Qui gratifie chacun d’un solo, imagine des trios à la violence diffuse, étire la gestuelle jusqu’au point de rupture. En témoigne cette scène bouleversante qui voit un danseur malmené par ses partenaires. La musique aussi belle soit-elle peut-elle panser les plaies ?
Ici, les étreintes consolent
Alain Platel, après avoir mis en scène Mozart, Bach, la musique congolaise, les chœurs de Verdi ou Céline Dion, se risque à ne pas répondre. A la place, il convoque quelques pas classiques en guise de pirouette. Mieux encore, il fait de cette équipe resserrée de neuf personnes les survivants d’un monde sans foi ni loi. nicht schlafen ne s’économise jamais, en fait trop même dans ce finale désordonné. Ici, les claques sur la peau laissent des marques, les étreintes consolent.
Il y a du carrousel dans cette pièce vertigineuse où les émotions vont et viennent. Alain Platel cartographie nos peurs et nos espoirs. Cette œuvre-miroir force le respect.
nicht schlafen chorégraphie d’Alain Platel, Ballets C de la B, les 29 et 30 novembre à Annecy, les 20 et 21 décembre à Anglet, les 10 et 11 janvier à Douai, du 2 au 4 février à Toulouse, du 23 au 27 mai à Bobigny
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