Avec L’Invitation, Daho poursuit de la plus belle des manières son discours amoureux.
Ce nouvel album, comme la plupart des précédents, inventorie les différents états d’une relation amoureuse. En fait, c’est la seule chose qui t’intéresse, non ?
Oui, la seule chose ! Je n’arrive même pas à voir à partir de quoi d’autre on pourrait faire des chansons. La musique est une dope, on le sait, c’est connu. L’état amoureux aussi est une dope. Alors les deux vont plutôt bien ensemble. Moi, j’ai un rapport compulsif à l’un et à l’autre.
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L’amour est-il une pathologie pour toi ?
Oui, parce que c’est une chose que je n’ai pas encore totalement réglée. Donc, dans ma vie, c’est encore une pathologie. Mais bon, une heureuse pathologie. Dieu merci, j’ai quand même des satisfactions !
Tu as commencé une analyse dans les années 1990, et le vocabulaire psychanalytique est peu à peu apparu dans tes textes, jusqu’à citer parfois du Lacan in extenso (“Vouloir donner ce qu’on n’a pas, à quelqu’un qui n’en veut pas”).
La psychanalyse m’a donné des outils, a enrichi ma pensée. Comme tout le monde, j’y suis d’abord allé pour régler mes comptes avec papa/maman. La mort de mon père m’a beaucoup déstabilisé. J’ai compris que quelque chose que le succès m’avait aidé à oublier me manquait profondément.
Je suis tombé sur un analyste passionnant, avec qui j’ai pu parler pas seulement de ma vie, mais aussi de la vie. Son rapport à l’analyse n’est pas dogmatique, il mélange beaucoup d’éléments, ça me convient très bien. Mes chansons sont inspirées par ces conversations. Mais j’ai très peu lu d’ouvrages théoriques. Ce qui m’intéresse, c’est l’application, la pratique.
Depuis quatre albums, de façon systématique, le premier single – cette fois L’Invitation – parle du sentiment d’être à nouveau en vie, de nouvelle chance, de recommencement. Que peux-tu dire sur ce sentiment de toujours renaître ?
C’est sûrement lié au fait de refaire un album. Chacun d’eux a suivi une période de tourmente. Je ne sais pas si c’est moi qui la crée inconsciemment pour que la musique vienne m’en libérer. Mais c’est vrai que je choisis ces morceaux comme singles, et souvent même comme ouvertures d’album. Ils donnent une impulsion, le sentiment d’une relance. De toute façon, je suis profondément fasciné par le fait d’être en vie.
Mais dans tes textes, et particulièrement dans cet album où la mort vient mettre à plusieurs reprises les choses en perspective, ça a toujours quelque chose de relatif d’être un vivant ?
Oui, parce que j’ai le sentiment de ne pas toujours l’avoir été, d’être mort même, plusieurs fois. La première fois, c’était pendant la guerre d’Algérie, j’étais dans l’appartement avec ma mère et ma sœur, la maison brûlait, j’ai failli me faire buter, j’avais 4 ans… J’en ai fait une chanson, De bien jolies flammes (1998). J’ai toujours eu le sentiment que j’étais un rescapé, quelqu’un qui avait survécu.
Après, il y a eu des rumeurs me prétendant malade du sida, puis mort, au milieu des années 1990. Ça m’a fait écrire une chanson comme Soudain. J’ai toujours une conscience très aiguë d’être en vie, que mon corps est une bécane qui fonctionne, que j’ai ce corps d’Etienne Daho, et que je dois en prendre soin.
Etienne Daho, c’était aussi le prénom et le nom de ton père, c’est ça ?Oui, c’est pour ça qu’à mes débuts je m’appelais Etienne Daho, Jr. Elli (Medeiros – ndlr) m’a fait enlever le “Jr.” sur la pochette de mon premier album, Mythomane.
Qui a voulu que tu portes le nom de ton père – lui ?
Je ne sais pas. Je crois que ça se faisait encore à l’époque. Un père pouvait donner son prénom à son fils. Mais je ne sais pas pourquoi il l’a fait.
Tu as beaucoup joué avec ce nom dans tes chansons.
Oui, c’est vrai. Quand tu m’appelles Eden, ED Live, ou dans Double zéro et l’infini : “Faire dadaho dadahue avec toi”… Dans une chanson aussi sinistre, ça m’amusait. C’est vrai qu’Etienne Daho, c’est à la fois mon vrai nom et quelque chose en dehors de moi. J’expose ma vie, je suis d’une impudeur délirante, alors ça doit me rassurer d’imaginer qu’Etienne Daho soit un personnage. C’est mon dernier paravent.
Dans L’Invitation, il y a cette chanson Boulevard des Capucines qui parle de ton père se rendant à ton Olympia en 1986. Tu t’es inspiré d’une lettre qu’il t’a adressée après t’avoir vu sur scène. As-tu longtemps hésité à en faire une chanson ?
Pas du tout. J’ai reçu, un peu avant de faire l’album, un paquet de quatre ou cinq lettres qui m’étaient adressées mais que je n’avais jamais eues. Ça m’a beaucoup soulagé parce que c’était des lettres de pardon. Une grande partie de ma vie, j’ai eu la sensation d’avoir été abandonné, je lui en ai beaucoup voulu. Ma mère et moi étions coincés en Algérie, sans lui, ne pouvant pas partir. Nous étions alors en danger.
Je l’ai revu quand j’ai commencé à chanter. Cela m’avait beaucoup perturbé. Nous avions pris un verre rue de Navarin, il essayait de renouer. Moi, j’étais trop fier, trop blessé, c’était trop tard. Quand on s’est vus, on n’avait rien à se dire, ça ne passait pas, rien ne pouvait être dit. J’ai mis un an à m’en remettre, de ces fugitives retrouvailles.
Par ailleurs, la musique de Boulevard des Capucines me tournait autour depuis un moment. La découverte d’une lettre où il me demandait pardon a déclenché quelque chose de très joyeux. Tout à coup, j’ai pu me dire qu’en fait il ne m’avait pas abandonné, que d’une certaine façon il avait toujours pensé à moi, qu’un fil existait. Boulevard des Capucines a été écrit comme un récit, une petite histoire avec unité de temps et de lieu. C’est très étrange parce que j’adopte totalement le point de vue de mon père : je me vois sur scène, en dehors de moi, avec ses yeux à lui.
Les mots sont-ils les siens, ou as-tu beaucoup adapté cette lettre ?
Beaucoup de choses sont dans la lettre : ce qu’il se dit en découvrant son nom sur le fronton de l’Olympia, la façon dont il m’appelle “mon roi, mon petit prince”… Ce sont ses mots. Cette lettre a vraiment été une réparation. Après, je me suis senti prendre un peu plus d’espace dans ma vie. Mais j’ai hésité à mettre cette chanson sur l’album. J’avais peur qu’elle occulte les autres, et c’est d’ailleurs ce qu’elle est en train de faire.
Indépendamment de ce qui rend cette chanson très émouvante de façon immédiate, à savoir ces retrouvailles manquées avec ton père, il y a une autre dimension dans la chanson, plus secrète, qui est ton rapport avec ta jeunesse, le garçon de 30 ans que tu étais ce soir-là à l’Olympia. C’est comme si la chanson mettait en scène une double perte : en amont, l’amour de ton père que tu n’as pas eu, et en aval, la perte de cet état de jeune chanteur idolâtré qui arrive au sommet.
Je n’avais pas pensé à ça… Je n’ai pas de regret par rapport à ma jeunesse, surtout pas cette jeunesse-là. Je n’étais pas très heureux au moment de Pop satori. J’étais gratifié, célébré, mais pas très heureux. Ce n’est en rien un paradis perdu, mes 30 ans. Je ne comprenais pas ma vie, elle était traversée de plein de choses que je n’arrivais pas à suivre, je travaillais comme un malade.
C’est vrai que j’ai pu être un jeune homme à la mode, très sollicité… Mais pour être très honnête, ma vie sexuelle était plus simple avant de chanter. Il faut dire que j’ai l’esprit de conquête, j’aime bien faire le premier pas. Alors qu’à cette époque j’étais devenu l’objet, on me suivait même jusque chez moi ! Je n’ai jamais été très à l’aise avec ce statut.
Tu as déjà souhaité être père ?
C’est arrivé quand j’étais très jeune, et Boulevard des Capucines peut aussi évoquer cette relation-là. C’est étonnant que ça ne se soit pas produit plus souvent, vu la frénésie que provoquaient mes hormones à l’époque.
En écoutant une autre chanson de l’album, L’adorer, qui est assez dingue dans son introspection détaillée du masochisme amoureux, on a envie de savoir si tu as lu Proust et si ça a compté ?
C’est une lecture qui m’a beaucoup marqué. Sur la souffrance amoureuse, c’est juste indépassable, Proust. C’est drôle que tu me parles de ça, parce que, il y a très peu de temps, j’essayais de ranger ma maison, de faire un peu le vide, et en déplaçant des trucs, tout à coup, Albertine disparue m’est littéralement tombé dessus. J’ai bien sûr vu ça comme un signe, je me suis dit : “Attention !”…
Est-ce que tu écoutes beaucoup de nouveaux disques ?
J’étais dingue du deuxième album des Libertines, beaucoup plus que du premier. Music When the Lights Go Out, c’est vraiment une chanson énorme. Ensuite, j’ai été très déçu par l’album des Babyshambles. Mais Pete Doherty reste très intéressant.
C’est un personnage très romantique. Sinon, j’ai beaucoup aimé l’album d’Amy Winehouse. Elle est vraiment de la trempe des grands. The Greatest de Cat Power, énorme album. Celui de The Good, the Bad and the Queen. Think Tank de Blur, j’aimais beaucoup. J’adore les Raveonettes aussi, je me sens très proche d’eux.
Tu écoutes de la chanson française ?
J’aime beaucoup l’album de Thomas Dutronc, j’aime toujours beaucoup ce que fait Keren Ann. L’album d’Emmanuelle Seigner avec Ultra Orange me plaît aussi beaucoup. Il y a quelque chose qu’ils ont très bien su capter, avec le recul, l’humour et la sexualité que le rock suppose.
La scène electro, tu la suis ?
Un peu moins. J’aime trop la chanson pour être touché par seulement une boucle, une suite d’accords. Mais je suis stupéfait par la façon dont Daft Punk, qui a inventé quelque chose de vraiment très fort, est copié. C’est hallucinant.
La presse titre à propos de tels ou tels nouveaux artistes “les nouveaux Daft Punk”. Mais on n’en a pas besoin, de nouveaux Daft Punk ! Ils sont toujours en activité, toujours très créatifs. La presse reprend un vocabulaire de marketing, et c’est gênant. Même si je reste attaché à la presse écrite, qui reste un espace de liberté de parole très précieux.
A-t-on déjà présenté un artiste comme étant “le nouvel Etienne Daho” ?Benjamin Biolay, non ? Je crois que je l’ai entendu dire. Sa chanson intitulée Les Cerfs-Volants ressemblait à des choses que j’ai pu faire. De toute façon, si j’ai pu inspirer des artistes, c’est très flatteur, ça me fait très plaisir.
Tu vas au cinéma ?
Très peu. La série a un peu pris le pas sur le cinéma. J’en regarde compulsivement. La première vraie compulsion a été Twin Peaks. Et aujourd’hui, Desperate Housewives. Je trouve ça génial.
Tu envisages de renoncer un jour à être une pop star pour ne plus faire que de la production ?
Quand j’ai une idée en tête, j’ai souvent besoin que sa concrétisation passe par moi. Qu’elle passe par mon corps, ma voix. Quand j’ai écrit pour d’autres, j’ai souvent été déçu parce que le résultat ne correspondait pas à ce que j’imaginais.
Quelle est la collaboration dont tu es le plus fier ?
Comme un boomerang pour Dani. Au départ, c’était juste une prod, elle devait chanter seule, mais elle a insisté pour que je chante avec elle. Elle a eu raison. Grâce à ce tube, elle a pu retravailler, et puis elle m’a apporté une chanson importante dans mon répertoire, que maintenant j’emmène avec moi.
L‘Invitation vu par Etienne Daho
“Le live de la tournée Réévolution a bien mieux marché que l’album Réévolution, bizarrement ! Ça m’a redonné une bonne énergie et je me suis remis au travail. Durant cette période, j’étais souvent à Ibiza, ainsi qu’à Barcelone où j’ai habité quelques mois. L’Invitation est un album d’introspection. Certaines choses sont remontées en moi et ne m’ont pas laissé d’autre choix que de les exprimer. C’est un disque si intime que je ne pouvais plus écrire après, je me demandais ce que j’allais bien pouvoir dire.
Je pensais être venu à bout des choses qui se trouvaient en travers de ma route. A l’origine, je voulais faire un album de disco. J’ai appelé Edith, grande fan de disco et de Nile Rodgers. Ensuite, j’ai travaillé avec Xavier Géronimi, un guitariste avec lequel je bosse depuis longtemps. On s’est enfermés et on a écrit toutes les chansons ensemble.
Ça a été comme une lente marche, un processus très intense, profond. On a enregistré chez moi à Montmartre, je trouvais que ma maison sonnait vraiment bien. On a fait les voix à Ibiza. Sur les voix témoins, on entend les avions qui passent (rires) ! Cet album n’est pas noir, il parle de choses personnelles, un peu trop, d’ailleurs, comme la chanson Boulevard des Capucines (sur le père d’Etienne Daho – ndlr).
J’avais peur qu’elle attire trop l’attention et, effectivement, la plupart des interviews auxquelles j’ai répondu ont tourné autour. J’ai un peu regretté de l’avoir mise sur le disque mais, à présent, je suis content qu’elle existe, c’est derrière moi.”
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