A l’heure où les Etats généraux de la bioéthique se penchent sur la question d’autoriser l’autoconservation d’ovocytes pour toutes les femmes, la journaliste Myriam Levain publie un livre où elle raconte son parcours et enquête sur cette méthode profondément féministe.
“J’avais 36 ans, j’étais avocate et célibataire depuis longtemps, je travaillais beaucoup, je voyageais, je faisais la fête, j’adorais ma vie et je ne me sentais pas vieille du tout. Je n’étais même pas très pressée de faire des enfants, mais je me suis posé la question de ma fertilité et c’est là que j’ai compris qu’elle était déjà en train de chuter…” Aujourd’hui Alejandra a 40 ans, elle est espagnole, et a eu un enfant par FIV après avoir fait congeler ses ovocytes quelques années plus tôt.
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S’il est difficile d’avoir des chiffres précis, Myriam Levain estime qu’en 2017 elles étaient environ 600 Françaises à s’être déplacées à l’étranger pour recourir à cette solution. A l’heure où les débats sur l’élargissement de la PMA pour toutes agite les Etats généraux de la bioéthique, la journaliste de 35 ans et co-fondatrice de Cheek Magazine (racheté en février 2017 par Mathieu Pigasse, également actionnaire principal des Inrockuptibles) s’empare d’un thème d’actualité : la congélation des ovocytes. Elle publie Et toi tu t’y mets quand ?, un texte qui mêle récit autobiographique et enquête journalistique pour questionner la pression de l’horloge biologique et l’injonction des femmes à la maternité.
Statistiquement, c’est à partir de 35 ans que la fertilité des femmes commence sérieusement à décliner. « Après, au-delà du déclin quantitatif, il y a un déclin qualitatif des ovules qui compromet les chances de tomber enceinte, explique dans l’ouvrage le professeur Michaël Grynberg, chef du service de médecine de la reproduction et de la préservation de la fertilité à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart. On voit bien qu’après 40 ans, il n’y a quasiment plus de grossesses. D’où l’intérêt pour les femmes de vitrifier avant 35 ans. […] les FIV pratiquées sur ces ovules sont bien plus concluantes que celles pratiquées sur des ovules de femmes quadragénaires, et c’est pourquoi l’autoconservation est une vraie avancée pour la médecine reproductive. »
Une méthode interdite en France
Une solution interdite en France pour les femmes qui souhaitent pouvoir faire un enfant plus tard, mais légale depuis 2011 pour celles qui souffrent de graves troubles de la fertilité, de cancer ou d’endométriose. La pratique est autorisée aux Etats-Unis depuis 2003, mais aussi au Japon, au Canada, en Israël, en Australie et au Brésil. Plusieurs pays européens comme l’Espagne, la Belgique, l’Angleterre, ou le Danemark l’ont déjà légalisée, « ouvrant la voie à un tourisme médical bien particulier », note Myriam Levain. Elle, elle s’est rendue à Barcelone. C’est par le bouche-à-oreille que la jeune femme entend parler de cette solution, et se tourne vers un gynécologue qui accompagne les femmes dans ces démarches. Elle décrit les étapes, le coût (comptez environ 4 000 euros au total pour l’Espagne), les piqures d’hormones à faire à heure fixe, mais aussi toutes les questions que lui posaient ces étapes. Un voyage qui n’est pas sans rappeler celui des avortements clandestins à l’étranger avant l’adoption de la loi Veil de 1975.
Myriam Levain dénonce également le manque d’informations données aux femmes sur la question. « Les priver d’informations et de débat en interdisant purement et simplement cette intervention revient une fois de plus à parler à leur place », insiste la journaliste. Et c’est là tout l’enjeu : l’autoconservation serait avant tout une mesure féministe. Tout en prenant le contrôle sur la maternité, les femmes revendiquent ici le droit à disposer de leur corps. La solution médicale permet de leur laisser le choix d’avoir un enfant quand elles en ont envie, et n’oblige à rien. Si les opposants dénoncent « un geste de confort », la plupart des femmes qui y recourent le font avant tout parce qu’elles n’ont pas de partenaires vers 35 ans, et tentent de gagner un peu de temps sur l’horloge biologique.
Pour Camille Froideveaux-Metterie, spécialiste de l’histoire des idées et de la philosophie politique, cette technique constitue aussi un « moyen d’une égalisation des conditions procréatives ». Elle ajoute : « Surtout, les femmes se voient enfin offrir la possibilité de vivre leur vie sociale aussi pleinement que les hommes tout en ne sacrifiant par leur potentialité maternelle. » Interrogée par la journaliste, Odile Buisson, gynécologue obstétricienne et auteure de Qui a peur du point G ?, parle, elle, de « médecine préventive » :
« Vitrifier ses ovocytes à 35 ans, c’est de la médecine préventive, car en fait, on ne sait jamais si une femme va pouvoir avoir des enfants avant qu’elle n’essaie. Mais je ne vois pas pourquoi, parce qu’elle fait carrière ou qu’elle rencontre un homme plus tard, on devrait refuser la maternité à une femme si elle est en bonne santé. »
Une pression injuste
La pression pèse sur toutes les femmes, mais rarement l’on interroge les hommes sur comment concilier carrière et paternité. « Aujourd’hui, il est certain que la maternité reste dominante et que subsiste l’idée qu’on n’est pas complètement une femme si on n’a pas d’enfants, explique l’historienne Michelle Perrot spécialiste du féminisme et qui soutient l’autoconservation. N’étant plus subi, il est devenu plus rare et a acquis une espèce de valeur positive. Celles qui n’y ont pas accès pour une raison quelconque se sentent un peu bizarres, hors norme. »
Si les hommes sont bien sûr aussi confrontés à des choix de vie, ils n’ont pas à se poser la question de la grossesse et du congé maternité, souvent synonyme d’inégalités en entreprises. A cela s’ajoute aussi la charge mentale qui impacte la vie au bureau, souligne Myriam Levain. Un système qui bénéficierait donc directement aux hommes, comme l’explique la journaliste et essayiste Mona Chollet, auteure de Beauté fatale :
« Telle que la société est organisée, la maternité est un boulet pour les femmes, qui arrange énormément de gens. Pour les hommes, c’est tout bénéf, car au travail, ça leur laisse les meilleures positions, et à la maison, ce sont toujours essentiellement leurs conjointes qui se tapent les tâches domestiques. […] On a plutôt tendance à argumenter que puisque c’est la femme qui porte l’enfant, elle a un rapport différent à la paternité. Pourquoi ne pas faire le raisonnement inverse et dire que l’homme a besoin de compenser l’intimité physique qu’il n’a pas eue avec l’enfant pendant la grossesse et peut du coup s’investir encore plus dans la relation paternelle ? »
Légale depuis déjà quinze ans aux Etats-Unis, la méthode est bien plus démocratisée dans les mentalités des Américains où de nombreuses personnalités racontent publiquement leur histoire. La chanteuse Rita Ora, 26 ans, a annoncé avoir congelé ses ovocytes au début de la vingtaine, autrement dit quand la fertilité est encore à son plus haut niveau. Si en Espagne des cliniques privées proposent cette méthode pour 2 500 euros, le système de Sécurité sociale français reste encore un dilemme pour les opposants. Seulement voilà, comme le souligne Myriam Levain, « il se pourrait que la légalisation de l’autoconservation des ovocytes fasse baisser le nombre des FIV pratiquées sur les femmes entre 40 et 43 ans, qui ont doit à quatre tentatives remboursées par la Sécurité sociale, mais ont statistiquement peu de chances d’obtenir une grossesse. »
Dans un article d’avril dernier, le New York Times parle du « Baby window », soit la période dans la vie d’une femme entre 25 et 35 ans où tout se joue : mener sa carrière de front, et maternité. Selon une étude américaine de novembre dernier, lorsque les femmes ont leur premier enfant entre ces âges là, leur salaire n’équivaut jamais à celui d’un homme. Par contre, celles qui ont leur premier bébé avant 25 ans ou après 35 ans, autrement dit avant que leur carrière ne commence, ou lorsque celle-ci est établie, elles finissent par rattraper un jour cette inégalité salariale. Et si la légalisation de l’autoconservation était donc la solution pour mettre un terme à ces injustices ?
Myriam Levain, Et toi tu t’y mets quand ?, Flammarion, 2018.
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