Le 20 mars, Flume sortait « Hi This Is Flume », une mixtape surprise. L’occasion d’interroger la place de ce format ailleurs que dans le rap, avec certains de ses amoureux : Flavien Berger, Petit Fantôme, La Souterraine et Gontard.
Flume, DJ et producteur australien, a surpris son monde le 20 mars dernier en publiant sans crier gare Hi This Is Flume, une mixtape de 38 minutes accompagnée d’un superbe moyen-métrage sur YouTube. Si les sorties d’albums surprises sont désormais légion depuis le coup de génie de Beyoncé en 2016, c’est le format plus que l’effet d’annonce qui surprend aujourd’hui chez Flume. Comme le précise le titre du projet sur les différentes plateformes de streaming, Hi This Is Flume est une mixtape. Un format intrinsèquement et historiquement lié au rap, mais qui ne va pas de soi lorsque l’on s’intéresse à d’autres genres musicaux.
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Véritable carte de visite, la mixtape permet de partager gratuitement une collection de morceaux sans cohérence apparente tout en s’affranchissant des contraintes liées à la sortie d’un album et gagnant en visibilité : un temps de production plus court, une sortie en digitale moins coûteuse, pas ou peu de promotion, une pression moindre, pas de problèmes de droits. En somme la mixtape est un espace de liberté totale permettant de canaliser le trop-plein créatif et servant aussi bien à se présenter qu’à expérimenter. Une énergie cristallisée aussi bien par Young Thug, outre-Atlantique, que par Jul dans l’Hexagone.
Pourtant, malgré les possibilités du médium, peu d’artistes se sont véritablement intéressés à la mixtape en dehors du hip-hop. En France, quelques brillantes exceptions témoignent pourtant du potentiel du format : de la géniale Stave de Petit Fantôme en passant par Contrebande 01. Le disque de Noël de Flavien Berger ou même les mixtapes du prolifique Gontard et toute la galaxie de La Souterraine. Afin de questionner cette pratique finalement marginale dans l’industrie musicale, nous les avons interrogés.
Le rap, ce faux modèle ?
Historiquement, la mixtape est le terrain privilégié des rappeurs. Néanmoins, si de légendaires mixtapes jalonnent l’histoire du hip-hop depuis ses débuts, le paradigme a évolué avec les années. Il n’est désormais pas rare de croiser des mixtapes payantes, attendues de longue date et très bien produites, à tel point que seule la question de la promotion semble différencier ces mixtapes des albums. La conséquence, somme toute logique, d’un rap surpuissant commercialement où chaque artiste se doit d’occuper l’espace musical et médiatique sans relâche, afin de sustenter l’appétit toujours plus vorace d’un nombre de fans grandissant.
Si Pierre Loustaunau, le cerveau derrière Petit Fantôme, admet avoir été largement inspiré par les démarches d’A$AP Rocky (Live.Love.A$AP) ou de The Weeknd (Trilogy) avant la parution de sa géniale mixtape Stave, il n’oublie pas la logique industrielle qui précède ces coups d’éclats : « On n’est pas égaux face à la mixtape entre la pop et le rap » explique-t-il, « quand tu prends les mixtapes de The Weeknd c’est 3 albums en fait. Il y a des méga-samples : Cocteau Twins, Beach House, des trucs de pop hyper cools. Mais ça coûte cher de faire ça, c’était sur-financé [par une industrie]. Quand t’es dans la pop c’est pas la même chose, t’es plus dans la structure de la musique indé américaine où t’enregistrais et tu filais tes cassettes. »
Une dimension de « support commercial » fatalement absente dans la mixtape pop beaucoup moins marketée –car beaucoup moins diffusée- que sa consoeur hip-hop. Une différence logique mais cruciale qui sépare presque structurellement ces deux visions de la mixtape : d’un côté un mode de production intrinsèquement lié au rap qui accompagne son inexorable ascension, de l’autre une pratique marginale dans l’industrie, une manière quasi artisanale d’envisager ce medium.
Une différence structurelle qui n’empêche pas les artistes de s’inspirer du rap: « Il y a un côté crasseux dans la mixtape. C’est un truc que je revendique, c’est ma définition. Prendre toutes les idées de musique que je compose, ou pas, que je pique, ou pas, et poser mon texte dessus. Je trouve que ça connecte plus avec le rap » explique Gontard, qui sortira son troisième album, 2029, le 26 avril. Flavien Berger, lui, dit apprécier « l’urgence dans l’expression » et le « côté punk » d’une « musique qui parle au présent. »
Culte de l’instantané
« La mixtape, c’est s’enlever le poids des codes de l’industrie musicale. C’est au plus près de ce que doit être un musicien à mon sens. T’es dans ton truc, tu créés ta musique, t’es dans une énergie hyper créative, dans une boulimie d’art. Et là t’as envie qu’elle sorte de suite, qu’elle soit temporalisée, parce que là elle fait sens ! » explique Petit Fantôme avec conviction. Une assertion qui cristallise à elle seule l’impulsivité du geste motivant la création. Cette conception rejoint les débuts de Flavien Berger : « La mixtape est la continuité de comment j’ai commencé à faire de la musique sur MySpace, à l’époque où tu faisais de la musique en ayant trop hâte de la faire écouter aux gens. »
S’il concède volontiers n’avoir aucun mal à patienter pour la sortie de ses disques, Flavien Berger montre une certaine appétence dans la capture d’instantanés de la vie quotidienne dans les tapes End of Seasons qu’il poste sur Soundcloud. Cependant, Flavien Berger n’oublie pas que la multiplication des canaux de diffusions a contribué à rendre le format informe : « La mixtape a été un peu éclatée par Soundcloud, par Internet ou les podcasts. Elle prend plein d’autres formes. J’ai l’impression qu’il y a peut-être moins de mixtapes parce qu’il y a plus de gens qui diffusent de la musique via plein de canaux. Une mixtape c’est un bouquet, mais maintenant on peut projeter, mitrailler de fleurs« …. et ce de manière toujours aussi instantanée.
Gontard, stakhanoviste de l’exercice, n’en trouve pas moins sa véritable identité dans l’instantanéité de la mixtape : « C’est vraiment l’idée de sortir du four. C’est comme les films de Larry Clark. Dans la mixtape il y a une dégaine. Ça doit sortir d’un jet, il y a un côté orgasmique. » Une immédiateté aussi inhérente à la démarche de l’auteur de Contrebande : « C’est sûr que tu passes moins de temps sur une mixtape que sur un album. Dans la définition d’une mixtape il y a le lâcher prise, le hasard du choix, du bon choix. » La question de la temporalité est, elle, chère à Benjamin Caschera, l’un des fondateurs de la Souterraine, réseau d’artistes et de chercheurs en musique : « On a utilisé le terme ‘mixtape’ pour dénommer nos sorties, à commencer par la première référence Aqua-mostla-Serge tape qui propose de fixer un best of du passé, présent et futur du groupe à une date donnée. C’est de là qu’on s’est dit que toute cette entreprise d’archivage en temps réel c’était aussi préparer l’archéologie du futur. »
Underground de nature
De fait, les mixtapes estampillées pop ou chanson semblent condamnées à évoluer dans les souterrains de la musique française:
« La mixtape, c’est le son du ghetto, qu’il soit de banlieue, périurbain ou rural, c’est l’autonomie, le DIY, la générosité et l’amusement : on revendique tout ça à fond. C’est radical et authentique, estime Benjamin Cashera. C’est aussi parce qu’on s’adresse en partie à un public dit populaire, qui n’a pas un budget extensible qu’on met tout ça à prix libre. On fait toujours tout pour rester connecté à la base, à toutes les scènes underground isolées. »
Tandis que Petit Fantôme explique : « Dans la pop on fait notre musique tout seul, on enregistre tout seul, on mixe tout seul, limite tu peux masteriser tout seul. Pour Stave, j’ai fait ma pochette, j’ai tout fait de A à Z. » En somme, un « côté un peu crâneur, un peu gamin » revendiqué par l’enfant terrible de la chanson française Gontard, et synthétisé par Benjamin Caschera : « Une mixtape, c’est assumer de montrer ses recherches artistiques, ses expérimentations, sa confiance en soi et quelque part, son insoumission au marché »
Espace de liberté
« T’as no limit, tu peux mixer des styles. Tu peux sampler du IAM et du Albert Marcoeur dans le même morceau » se marre Gontard. « Il y a une liberté que je trouve génialissime et qui correspondait complètement à ma manière d’écrire. La tape c’est beaucoup plus intime. » Une liberté et une intimité qui forment l’ADN même de la mixtape, exercice solitaire et émancipateur par excellence, « une personne toute seule, comme un peintre face à son tableau » nous dira Petit Fantôme. Chez Flavien Berger, l’opacité du format et son mode de diffusion font de la mixtape « une zone d’écoute plus ombragé » dans laquelle « tu dois moins justifier tes choix. » Tout en ajoutant qu’ »avec la promotion des albums, tu finis par figer ce qu’est le projet à force d’en parler. L’album devient du coup moins mystérieux que quand tu viens de le presser. Alors que la mixtape tu laisses le temps aux gens de se faire une définition moins rapidement. Il y a ce truc de forme qui prend plus de temps à prendre. »
Délestés des qu’en-dira-t-on et autres formes de pression extérieure, la mixtape s’impose comme un terrain de jeux inédits et parfois interdits : « Il y a ce truc de droits. Dans la mixtape tu peux utiliser des choses, des matières sonores qui ne t’appartiennent pas et les réinvestir » nous raconte Flavien qui a samplé des conversations avec ses proches ou encore un concours de plongeon des JO sur End Of Autumn Tape. Benjamin Cashera de La Souterraine ajoute :
« Les tapes ont ce côté ludique et hybride et sans trop de pression, c’est marquer le coup, en même temps qu’une bonne carte de visite, on peut s’autoriser à chercher et à en montrer beaucoup. il y a souvent une portée documentaire dans la mixtape, on peut y insérer un bout de voix de sa grand-mère, un enregistrement de soi enfant, un interlude, une reprise inattendue d’un non-standard d’une vedette ou d’une inconnue, un duo ou une collaboration, la première version d’une chanson, un a cappella : bref, c’est à la fois la liberté, le mouvement, et l’un des meilleurs moyens qu’on ait trouvé de combattre l’uniformisation culturelle. »
L’occasion pour les artistes de se débarrasser un temps des oripeaux traditionnels de l’industrie pour entrer dans une boulimie artistique (« il y a besoin d’avoir un format plus libre et ouvert pour héberger tout le contenu disponible » explique Benjamin), creuser des thématiques (« Sur Contrebande 01 le thème c’est l’argent et peu de gens le savent parce que c’est moins tangible. C’est un thème tellement chelou que je me donne plusieurs rendez-vous pour essayer de le poétiser et improviser » explique Flavien ) ou partir en quête de soi-même (« Il y a un petit côté plaisir solitaire » nous-dit Gontard).
Gontard comme La Souterraine regrettent le manque de prises de risque de l’industrie musicale qui tend à l’uniformisation, la standardisation affectant selon ces derniers « le processus de création et l’authenticité de la démarche. »
Blitz (mixtape 11 titres) by Gontard
Aux origines de la mixtape
Pour saisir l’essence de l’envie qui anime ces artisans de la tape il faut se tourner vers les origines. Une dimension physique, quasi-charnelle qui lie les musiciens au support de la musique : la bande magnétique et le CD-R. Si les mixtapes de Gontard, Petit Fantôme, Flavien Berger et de La Souterraine sont majoritairement disponibles sur Bandcamp ou Soundcloud, tous concèdent leur attirance pour l’objet physique : « Le mot tape pour moi il est au premier degré, il y a quelque chose qui vient de la bande » explique Flavien Berger, quand Gontard réaffirme, lui aussi, son amour pour ce support : « Le support cassette, la bande magnétique il y a une histoire, il y a du son. »
Une conception de la mixtape intrinsèquement liée à celle des DJs du dimanche et autres amoureux transis de musique qui compilaient et trituraient leurs morceaux favoris sur cassettes. Une histoire culturelle partagée par Pierre Loustaunau : « Pour moi la mixtape c’est une cassette. Évoquant l’héritage de K Records et Calvin Johnson et sa récente tape déjà sold out, il embraye : « Tu as 20 exemplaires, c’est pas en ligne. Il n’y a pas l’angoisse journalistique d’envoyer le disque en avance, c’est pas pour faire du flux en streaming C’est immédiat. »
Et aussi Flavien Berger qui « tient un travail de cassettes depuis 2012″ : « Pour moi la tape 60-90 minutes c’est limite un format qui fait encore plus sens. J’aime bien laisser tourner de la musique pendant que je fais des choses. Quand tu laisses tourner une cassette tu as plus de temps pour t’exprimer. » Mais c’est finalement assez simplement que Petit Fantôme résume l’état d’esprit des artisans de la tape : « C’est un truc qui flottait dans l’air. » Une conception de la mixtape volatile, éphémère, un air du temps qu’il s’agit d’encapsuler sur le moment et de chérir dans le futur.
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