Suite à l’annonce de la démission d’Abdelaziz Bouteflika après six semaines de mobilisation inédite en Algérie, nous avons proposé à Magyd Cherfi, chanteur de Zebda et auteur de “Ma part de Gaulois” (Actes Sud, 2016) de nous faire part de son ressenti. Le “cerveau en ébullition”, il a pris la plume pour saluer avec émotion “ce souffle inattendu”.
“Putain ! Des jeunes dans la rue algérienne, j’y crois pas ! Des filles cheveux au vent, pas voilées, modernes, souriantes et rebelles, je rêve ! Putain ! Dans la rue ! Des mecs avec des casquettes hip-hop, des jeunes, des vrais, souriants et pacifiques. Et tous marchent côte à côte, rien qui les sépare.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
D’où sortent-ils ? J’avais fini par croire que la jeunesse avait été éradiquée, qu’en Algérie ça n’existait pas, vous savez ? Comme en Europe avant les années cinquante. M’étais dit que la “junte” militaire ou le complexe “militaro mes couilles” avait éteint toute espèce de vie n’excédant pas les dix-huit ans. Je finissais par désespérer, par croire que ce pays avait si peur de la jeunesse qu’il s’arrangeait à chaque génération pour liquider toute forme de relève, un peu comme ce roi d’Égypte qui décida de crucifier tous les nouveaux nés de peur que l’un d’eux le détrône.
“Je tremble à l’idée qu’un canon pulvérise ce souffle inattendu”
Oui, l’Algérie a fini par devenir à mes yeux une carte figée dans l’espace et dans le temps, elle restait l’année 62. Un pays avec une seule date qui compte, un seul habitant légitime – l’uniforme étoilé, ou le corrompu machiavélique -, un seul sexe aussi, l’homme. Depuis des décennies j’attendais cette jeunesse, une jeunesse désireuse d’apprendre, qui aurait envie de courir, danser, lire, boire, baiser. Avide de cinéma d’auteur, de voyages, pleine d’esprit critique et d’envie d’en découdre avec l’obscurité millénaire.
Oui, une jeunesse laïcarde, féministe, écolo et multiculturelle. A chaque fois qu’elle s’est levée, les armes ont dessoudé à volonté, la sourate dévoyée a fait la nique au droit, et la sacro-sainte tradition a légitimé l’innommable. Là, depuis quelques semaines, j’y crois et je tremble à l’idée qu’un canon pulvérise ce souffle inattendu. Oh jeunesse algérienne ! Puisses-tu donner enfin un sens à ce pays magnifique dont j’attends qu’il voit le jour, cette fois dans l’amour de son prochain.”
Magyd Cherfi, écrivain, chanteur. Dernier ouvrage paru : Ma Part de Gaulois (Actes Sud, 2016)
{"type":"Banniere-Basse"}