Le tant attendu “Avengers : Endgame” s’apprête enfin à envahir nos salles de cinéma. Un an après le cliffhanger d’“Infinity War”, Marvel promet un épisode conclusif à son univers partagé, qui pousse à revenir sur ses précédentes productions, et la manière dont elles se sont imposées dans le paysage hollywoodien en à peine une décennie.
21 films, 45 heures de métrage. Voilà l’empire gargantuesque que représente à l’heure actuelle le Marvel Cinematic Universe (ou MCU pour les intimes). Débuté en 2008 avec Iron Man et sa scène post-générique introduisant Samuel L. Jackson en Nick Fury, l’univers partagé lancé par Kevin Feige s’apprête à conclure cet ensemble de films, désormais renommé la « saga de l’Infini », avec Avengers : Endgame.
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Certes, Marvel a déjà annoncé de nombreux opus à venir pour relancer la machine avec les derniers-nés de son écurie, mais le blockbuster tant attendu promet la fin d’une époque que l’on a traversée comme un éclair. Il faut dire que cette tentative de crossover est un cas assez unique dans l’histoire du cinéma. Malgré quelques tentatives sporadiques et ratées le précédant (Alien vs. Predator), le MCU s’est imposé sans crier gare aux yeux du monde comme un phénomène, devenant le Saint Graal après lequel tous les autres studios hollywoodiens courent pour tenter de reproduire sa formule magique (le plus souvent sans y parvenir, désolé DC).
On pourra évidemment reprocher à la firme sa vision du cinéma avant tout commerciale, de plus en plus tournée vers une homogénéisation de ses productions, calibrées avec le même humour envahissant et la même écriture qui semble parfois algorithmique. Cependant, Marvel Studios a réussi un miracle de plus en plus rare : séduire un public varié et conséquent sur la durée, et particulièrement des non-initiés à la culture comics, devenus les premiers à rire devant la moindre private joke, ou à anticiper n’importe quel easter egg obscur. Nous nous sommes donc replongés à corps perdu dans cet univers foisonnant pour nous préparer à cette « phase finale », et essayer de comprendre ce qui fonctionne (ou pas) dans cette entreprise aujourd’hui bien huilée. Petit tour d’horizon non exhaustif de ses longs-métrages, classés selon leur caractéristique principale.
Le plus brut : Iron Man (Jon Favreau, 2008)
Si le tout premier volet du MCU a pris aujourd’hui un certain coup de vieux (surtout par rapport à l’intouchable The Dark Knight, sorti la même année), il profite néanmoins de son statut de prototype incertain, lui accordant une certaine liberté de ton et un cahier des charges moins boursouflé que d’autres productions Marvel ultérieures. Robert Downey Jr. impose immédiatement son jeu démentiel, faisant de Tony Stark l’alpha et l’oméga d’un film qui a finalement assez peu à proposer derrière (la mise en scène de Jon Favreau peine à imposer un véritable point de vue, et surtout à embrasser la performance de sa star). L’acteur vampirise chaque strate du métrage, notamment le montage, parfois malin dans ses ruptures de ton, qui semblent s’imposer d’elles-mêmes.
Cependant, il faut reconnaître à Iron Man d’être un point de départ idéal pour le MCU. En partant d’un homme sans pouvoirs, ancré dans un monde proche du nôtre (on y parle de guerre au Moyen-Orient et d’industrie militaire), Marvel a su intelligemment poser les bases d’un univers où la population observe, interagit, et juge ces super-héros qui envahissent son quotidien. Joss Whedon poussera plus loin cette mise en abyme d’un regard porté vers ces mythes modernes, mais il faut reconnaître à Jon Favreau quelques belles idées. Par instants, le découpage se réveille, et fait briller nos yeux en mettant en mouvement des images jusque-là scindées, et fixes sur une page de papier.
Le plus malin : Captain America : First Avenger (Joe Johnston, 2011)
Dernier membre des Avengers à rejoindre la Phase 1 du MCU, Captain America aurait pu souffrir d’une modernisation de sa symbolique, a priori contradictoire avec des Etats-Unis en pleine remise en cause de leurs récents déboires militaires – d’ailleurs critiqués dans le premier Iron Man. Fort heureusement, Marvel a opté pour une trajectoire bien plus fine, en ramenant à ses origines cette mascotte de la Seconde Guerre mondiale, créée pour motiver les troupes américaines. Le gringalet Steve Rogers représente le monde dans sa naïveté et sa faiblesse, et c’est pourquoi il est le plus à même d’utiliser à bon escient les pouvoirs que lui procure une expérience scientifique top secrète.
Porté par le charme indéniable de Chris Evans, ce First Avenger profite également du regard tendre de Joe Johnston à la réalisation, artisan respectueux des mythologies qu’il s’approprie, même lorsqu’elles dépendent de purs produits commerciaux (on lui doit Jumanji). Ici, le cinéaste met en abyme Captain America en tant qu’outil de propagande, devant s’émanciper d’un patriotisme qui lui colle à la peau (et au bouclier). Dans une sorte de surréel baudrillardien, le super-héros reproduit sur scène, ad nauseam, le célèbre coup de poing qu’il donnait à Hitler sur la couverture d’un comic book. Johnston reprend un canevas narratif archétypal (l’outsider qui doit faire ses preuves) pour ramener le personnage à son universalité, à une force anonyme qui conserve sa pureté d’âme. Au revisionnage, ce premier Captain America s’affirme comme l’une des plus grandes réussites du studio, parce que son aspect foncièrement désuet n’est jamais moqué, mais embrassé pour engendrer de véritables émotions, et pas seulement un clin d’œil complice.
Les plus laborieux : la trilogie Thor (Kenneth Branagh, Alan Taylor, Taika Waititi, 2011, 2013, 2017)
Thor est certes un personnage difficile à implanter aux côtés d’un Iron Man ou d’un Captain America, tant son historique mythologique dépend principalement d’une esthétique bariolée, moins ancrée dans le réel de ses collègues Avengers. Cependant, Marvel a essayé de lui donner une dimension plus accessible, ce qui lui a globalement valu de se casser les dents. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé, notamment avec Kenneth Branagh sur le premier volet, qui tente vainement d’apporter aux relations familiales complexes du dieu nordique ses référents shakespeariens, avant de devoir se cantonner à un humour neuneu façon Les Visiteurs – puisque Thor se retrouve prisonnier sur Terre, contraint de découvrir les coutumes des humains. Le sérieux de l’entreprise est ainsi noyé sous un fatras de ridicule plus ou moins assumé, et sous l’abondance de cadres obliques (pourquoi Kenneth ? Pourquoi ?) qui procure un fort risque de torticolis.
Marvel ne parvient pas à faire mieux avec sa suite, Le Monde des ténèbres, réalisé par un habitué de Game of Thrones, Alan Taylor. L’aspect moyenâgeux commandé au cinéaste finit de rationaliser un univers qui se voudrait bien plus fou, tandis que le récit, poussif, se limite à mettre en avant Loki pour contenter les fans. Le studio a cependant retenu cette leçon avec Ragnarok, virage à 180 degrés opéré par le truculent Taika Waititi (Vampires en toute intimité). Le réalisateur ramène Thor à ses origines pulp, mélange détonnant de mythologie et de science-fiction dingo.
Néanmoins, on peine à croire à la totale sincérité du projet. Malgré la déconstruction intéressante de Thor en tant que figure mythologique (il perd tout pour se reconstruire, attribut par attribut), le film désamorce constamment le moindre effet. Même si Taika Waititi possède un goût pour l’humour absurde parfois fendard, la désinvolture de Ragnarok dissimule une difficulté à traiter sérieusement ses enjeux (alors que le long-métrage pioche tout de même dans le comics éponyme et le génial Planet Hulk, qui ne sont pas avares en choix dramatiques forts). La trilogie Thor est en cela assez révélatrice du tâtonnement de Marvel, qui oublie parfois de prendre son temps, au lieu de nous abreuver en continu d’œuvres plus ou moins indigentes.
Les plus touchants : Les Gardiens de la galaxie 1 & 2 (James Gunn, 2014 et 2017)
2014 a sans doute été l’année où Marvel a testé les limites de son hégémonie, osant planifier le futur de son univers étendu en y implantant l’adaptation d’un comics inconnu au bataillon, avec un raton laveur guerrier et un arbre capable de prononcer une unique phrase ! Pour faire simple, Les Gardiens de la galaxie, c’était loin d’être gagné, mais la firme a eu la bonne idée de confier le projet à James Gunn, rejeton de la Troma (société spécialisée dans la série Z à petit budget, volontairement dérisoire) qui synthétise tout un héritage de la science-fiction pulp.
En suivant une bande de misfits de l’espace, le cinéaste joue du dysfonctionnement de son monde, décalant avec malice nos référents (Star Wars en tête) pour finalement revenir à leurs fondamentaux. Qu’importe la démesure du cosmos, Gunn revient toujours à l’humain, à la famille dans son état le plus primal, aux relations difficiles d’êtres qui ne parviennent pas toujours à (s’) aimer.
Même dans son deuxième volet plus foutraque, Les Gardiens de la galaxie profite de ses personnages pour offrir un divertissement généreux, émouvant, et visuellement plus inventif que le tout-venant de la franchise. Gunn s’amuse de la différence de ses protagonistes, et joue avec la confrontation des textures. Les CGI percutent le physique, permettant aux corps de muter, de se transformer. Les Gardiens de la galaxie jouit ainsi de la naïveté d’un réalisateur qui se réapproprie les séries B d’antan avec les technologies actuelles. Sa sincérité n’en est que plus grande, et notre attachement pour ses personnages (qui provoque d’ailleurs à la fin du deuxième opus la scène de mort la plus déchirante de la saga), plus fort. En bref, « nous sommes Groot » !
Le plus fun : Captain America : Le Soldat de l’hiver (Anthony et Joe Russo, 2014)
Maintenant que Captain America apprend à vivre dans le XXIème siècle, Marvel a su donner au personnage une certaine quête existentielle au sein d’un monde qui n’est pas le sien. Dans une mouvance différente, mais cohérente avec le premier volet, Le Soldat de l’hiver interroge le symbole de l’Amérique dans une ambiance de film d’espionnage mixée au thriller politique des seventies. Pour notre plus grande joie, Robert Redford vient renforcer ce parti pris dans un contre-emploi merveilleux de méchant rongé par un discours ultra-sécuritaire.
Les frères Russo font ainsi leur première incursion dans le Marvel Cinematic Universe, et prennent un plaisir non-dissimulé à mêler leurs référents prestigieux à la légèreté des comic books d’antan. Certes, le film exacerbe (plutôt intelligemment) les dérives du Patriot Act de Bush, et plus généralement les conséquences d’un pays terrifié par le 11 septembre, mais sans jamais sacrifier le cool, voire le légèrement risible.
Si leur mise en scène montre d’ores et déjà des limites dans sa lisibilité, il faut reconnaître au duo de cinéastes de savoir offrir au Captain des combats plus vifs et stylisés, dans un ensemble de scènes d’action bardées de twists en tout genre (comprenant tout de même le retour d’une secte nazie implantée au cœur du S.H.I.E.L.D.). Le Soldat de l’hiver ne lâche jamais la bride, et déroule sans aucun complexe, et avec une bonne humeur communicative son programme, embrassant parfois le drama d’un soap opera de luxe, sans pour autant délaisser la solennité sincère de son protagoniste. Et c’est finalement ce qui fait de cet opus le plus fun du MCU, et l’un des plus appréciés par les fans.
Le plus sous-estimé : Iron Man 3 (Shane Black, 2013)
Robert Downey Jr. doit beaucoup à Shane Black, réalisateur du génial Kiss Kiss Bang Bang qui a remis l’acteur sur le devant de la scène, avant qu’il n’octroie le rôle de l’Homme de fer. Le renvoi d’ascenseur n’en est que plus réjouissant, tant le scénariste de L’Arme fatale et du Dernier Samaratain est un néophyte, un vrai, amoureux de récits pulp dont les codes parsèment sa filmographie. Plutôt que de servir la soupe à Marvel, le cinéaste enraye la machine Iron Man pour se l’approprier. Traumatisé par les événements cosmiques d’Avengers, Tony Stark se réfugie derrière ses armures, alors qu’il doit faire face au Mandarin, terroriste à la Ben Laden et Némésis historique du super-héros. Cependant, Black s’amuse à engendrer un véritable dysfonctionnement de sa narration, notamment dans un twist autour de son antagoniste qui a fait grincer de nombreuses dents.
Iron Man 3 est souvent un film négligé pour ses risques, y compris quand ceux-ci se voient endigués par la production. Il est en réalité l’un des métrages les plus fascinants et inventifs du MCU. Tony Stark est rattrapé par ses démons, comme il le dit lui-même en introduction. Son inconscience politique (mal exploitée dans le deuxième volet) est réveillée lorsque des soldats, similaires à ceux qu’il armait par le passé, reviennent mutilés, obligés de faire appel à une nouvelle forme de transhumanisme appelée Extremis. Les corps hors-normes ne peuvent s’empêcher de devenir des armes, plus ou moins volontairement – certains sujets explosent à la réception du sérum.
Iron Man ne souhaite qu’une « good old-fashioned revenge », mais il ne peut échapper aux répercussions politiques de ses actes. Les gros plans habituels sur le visage de Downey Jr. à l’intérieur de l’armure cassent régulièrement le rythme du montage, comme si le personnage apprenait soudainement à voir derrière son alter-ego. Shane Black détourne notamment ce code lors d’une scène de sauvetage brillante, où l’on comprend bien trop tard qu’Iron Man est contrôlé à distance par son propriétaire. Le cinéaste affiche sa crainte de voir l’icône de son enfance réduit à un design creux. Dès lors, s’il aborde le genre avec une énergie folle (notamment dans son climax démentiel), il oblige son héros à sortir de son cocon de métal, tout comme le spectateur.
Le plus surestimé : Black Panther (Ryan Coogler, 2018)
On ne peut pas enlever à Black Panther de donner un grand coup de pied dans la fourmilière du blockbuster et de la visibilité des diversités. Véritable opus fédérateur, le film du jeune et talentueux Ryan Coogler embrasse avec force son concept, celui de dépeindre un pays fantasmé, le Wakanda, qui fait autant office d’héritage des cultures africaines que bras d’honneur à tous les clichés qui les entourent. Cependant, force est de constater que derrière cette envie de cinéma sincère, demeure un résultat calibré avec un certain opportunisme par Marvel.
Le progressisme permet ici, avant tout, d’engendrer un phénomène, quitte à quelque peu sacrifier le cinéma sur l’autel de l’idéologie. Au-delà d’en avoir rendu plus d’un amnésique (à croire que tout le monde a oublié que Blade a été un super-héros noir au cinéma bien avant Black Panther), le long-métrage prend finalement assez peu de risques, alors même que le contexte de création du comics – l’émergence du Black Power dans les années 60 – s’y prête. Son protagoniste, traîné de péripétie en péripétie, reflète bien un manque de choix dramatiques forts, même si Coogler jette clairement son dévolu sur son méchant Killmonger. Néanmoins, le discours révolutionnaire pertinent de ce bad guy est, comme le reste du film, bâclé, et rendu plus binaire en cours de route.
On peut surtout s’étonner qu’après avoir brillamment mis en scène les scènes de boxe de Creed, Ryan Coogler soit contraint (sans doute par le temps) de délivrer un découpage indigne, particulièrement lors d’un climax hideux, qui rappelle les pires heures de la prélogie Star Wars. Plutôt que de bouleverser l’état du blockbuster actuel en s’ouvrant à des communautés jusque-là délaissées, Black Panther préfère s’enfermer dans le moule actuel des productions super-héroïques, pour ne rien apporter de bien neuf (et cette phrase s’applique également pour Captain Marvel).
Le plus malade : Avengers : L’Ere d’Ultron (Joss Whedon, 2015)
Roi du blockbuster depuis le carton du premier Avengers, Marvel a précipité l’avancée de sa saga, au point de vouloir faire de sa deuxième réunion de super-héros un carrefour narratif et thématique pour les enjeux à venir. Résultat, Joss Whedon ne sait plus où donner de la tête, contraint de composer avec un nombre hallucinant de sous-intrigues. Déçu par le film et sa production chaotique, le cinéaste refusera même de rempiler sur Infinity War.
C’est dire à quel point cette Ere d’Ultron a été un accouchement douloureux, qui laisse constamment sur sa faim après une introduction pétaradante. Les peurs de Tony Stark, qui le mènent à créer une intelligence artificielle dont il perd le contrôle, ne sont jamais vraiment traitées (malgré une séquence hallucinatoire très réussie). A l’instar du reste du métrage, Ultron demeure une maigre esquisse, en dépit de son fort potentiel de fascination. Et c’est sans doute ce qui fait de ce volet le plus malade du MCU : les idées sont là, à notre portée, parfois amenées avec beaucoup de panache et de finesse, mais rien n’est jamais poussé dans ses retranchements.
Whedon parvient cependant à amplifier certaines de ses envies de cinéma, forçant des pauses pour développer notre empathie envers ses héros, ainsi que le regard du monde sur ces êtres aussi fascinants qu’inquiétants, planqués dans leur tour d’ivoire. Le réalisateur n’oublie jamais de raccorder sa mise en scène avec le(s) peuple(s), obligé(s) de coexister avec cet ensemble de demi-dieux. Cette qualité saute encore plus aux yeux en comparaison des autres films de la saga – notamment ceux des frères Russo, incapables de remplir leurs décors de figurants. L’Ere d’Ultron souffre certes de son écartèlement, mais son cadavre conserve une âme qui manque à d’autres productions du MCU.
Le plus spectaculaire : Avengers : Infinity War (Anthony et Joe Russo, 2018)
Au vu de son post-modernisme à outrance, et de ses constructions de personnages de plus en plus statiques, Marvel a peut-être livré avec Infinity War le meilleur résultat que l’on pouvait espérer pour la première partie de sa conclusion massive. Plutôt que de s’identifier au comportement insouciant, voire immature, de la plupart des super-héros de la franchise, les frères Russo ont choisi de faire de leur grand méchant Thanos le centre du récit, alors qu’il entreprend sa quête programmatique (façon douze travaux d’Hercule) pour récupérer les Pierres d’Infinité. Concerné et déterminé par sa tâche – réduire la population de l’univers de moitié, Thanos ne peut que l’emporter face à des Avengers infantiles, dépassés, au même titre que le spectateur, par l’immensité de l’univers et ses diverses menaces.
Marvel nous sait acquis à sa cause, et ne prend plus la peine d’introduire péniblement l’imaginaire débridé des comics dont il s’inspire. Si le long-métrage n’évite pas des ficelles et des raccourcis un peu faciles, les montages s’alternent et s’entrechoquent, de la même manière que les cases d’une bande dessinée dont on tourne les pages à tout vitesse. Infinity War jouit ainsi de son rythme effréné, porté par sa profusion de CGI qu’il emploie comme un amas de virtuel semblant matérialiser nos fantasmes d’enfants.
Tel un délire de cour de récréation über-spectaculaire, le film possède une pureté juvénile dans son mouvement constant, et ses renvois de pouvoirs systématiques qui affirment un refus de mort (« Je t’envoie un missile » / « Ah non, je le contre avec mon gant magique, et je te relance l’explosion » / « Eh bien non, parce que de toute façon, mon armure possède un super-bouclier »). On pourrait rester des heures dans cet élan cinétique que l’on a toujours fantasmé, mais Thanos vient y mettre un terme d’un claquement de doigts. Nos rêves se sont matérialisés, mais les voilà (temporairement ?) réduits à l’état de poussière…
Les plus anecdotiques : Ant-Man et Ant-Man et la Guêpe (Peyton Reed, 2015 et 2018)
Ce n’est plus un secret pour personne : le petit génie Edgar Wright (la trilogie Cornetto, Baby Driver) devait réaliser Ant-Man, avant de quitter le navire pour différends artistiques. Des cendres du projet, Peyton Reed a essayé de sauver les meubles, laissant transparaître quelques fulgurances stylistiques, notamment des effets de montage typiques de l’auteur de Shaun of The Dead.
Malheureusement, le film, reposant pourtant sur un super-héros original et cinégénique, ne s’amuse jamais avec l’improbabilité de son concept (un homme capable de se réduire à la taille d’une fourmi). Le sympathique Paul Rudd a beau se donner du mal pour donner du corps à son personnage, Ant-Man déroule son programme avec une absence totale d’envie (le découpage, quand il n’a pas été storyboardé en amont par Wright, est d’une platitude extrême), mais on pouvait en partie le justifier par l’arrivée tardive de Peyton Reed sur le projet.
Pourtant, sa suite, que l’on espérait libérée du poids de son modèle, se révèle encore plus pauvre, à force de se perdre dans des sous-intrigues vaines, uniquement pensées pour amener à une scène post-générique qui relie le protagoniste à l’intrigue d’Endgame. Marvel aurait pu profiter d’Ant-Man pour en faire une bulle récréative, plus ou moins déconnectée des contraintes d’Avengers. Les producteurs ont préféré en faire le sujet d’opus jamais totalement désagréables, mais aussi forcés que des épisodes fillers dans une mauvaise série télé.
Le plus indispensable : Avengers (Joss Whedon, 2012)
Encore aujourd’hui, difficile de ne pas voir dans le premier Avengers un petit miracle. Joss Whedon est parvenu à réunir dans le même univers des personnages très différents, à introduire des nouveaux venus et à offrir à tout ce beau monde un récit cohérent et rondement mené. Sorte de synthèse de son cinéma (et de ses séries), le réalisateur implante dans ce MCU naissant un imaginaire débridé, où la variété de ses références pop ne s’excuse pas pour venir s’imprimer toutes ensemble sur la pellicule.
Si quelques costumes et choix de direction artistiques commencent à devenir désuets, il ne fait aucun doute qu’Avengers continuera de mieux vieillir par rapport à beaucoup d’autres productions Marvel. Whedon s’amuse comme un enfant auquel on aurait donner un coffre à jouets, et construit sa mise en scène avec un vrai sens de l’épique (on sent une réelle traduction de la dynamique des cases d’une bande dessinée, notamment lors d’un plan-séquence swinguant de héros en héros, à la manière de ces doubles pages présentées sur le mode de la fresque).
Doté d’un humour qui fait toujours mouche, de répliques cultes (« Punny God »), et d’un climax inoubliable à l’échelle de la franchise (et des blockbusters de la même période), Avengers symbolise certes une formule que Marvel a par la suite systématisée, mais le studio n’a jamais su la réappliquer avec autant de panache. Qu’on aime ou pas le MCU, il faut reconnaître à ce film inespéré d’avoir marqué son époque. Ce travelling circulaire désormais célèbre, passant devant chaque membre de cette troupe de mythes modernes, reflète à lui seul cet héritage.
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