Si vous avez été débraillés, bordéliques, hirsutes, électrocutés et heureux comme un pape en 2014, alors le Père Noël vous apportera la réédition, riche en maquettes révélatrices, du sublime Doolittle des Pixies, chef-d’oeuvre de rock orgasmique toujours influent. Critique et écoute.
En 2014, on aura donc largement commémoré les 20 ans de l’année 1994, l’un des très grands millésimes dans le calendrier du rock. Mais ce n’est pas une raison pour oublier les 25 ans de l’année 1989, pas mauvaise non plus, et entrée dans l’histoire pour trois disques au moins : Bleach de Nirvana, 3 Feet High and Rising de De La Soul, Doolittle des Pixies. A priori, pas de rapport évident entre les deux premiers – rock sombre et famélique d’un côté, hip-hop hédoniste et bricolo de l’autre.
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Mais a posteriori (et avec un peu d’imagination), on peut pourtant voir le troisième comme un morphing des deux premiers : Doolittle des Pixies, ou la rencontre entre la rage électrique primaire de Nirvana (que Kurt Cobain avait aussi apprise dans les deux premiers disques abrasifs des Pixies) et la coolitude candide, fantasque et ultra mélodique de De La Soul. Frank Black (chanteur et leader du groupe) nous l’a dit l’an dernier, et on ne l’a pas contredit : Doolittle est son album préféré des Pixies.
“Dès le moment où on a fait les demos, je me souviens les avoir écoutées avec Joey (Santiago, le guitariste) dans son appartement, on savait qu’on avait de très bonnes chansons en chantier, que l’album serait bon et que ça allait marcher. C’était notre épiphanie, et c’était bon à vivre.”
Ce que Frank Black n’a pas dit, c’est quelle(s) chanson(s) de Doolittle il préfère. Et là, c’est le choix impossible. Ce disque, le troisième des Pixies, est un best-of du groupe à lui tout seul. Quinze chansons sur l’album original, et pas une plus faible que les autres. Des chansons en forme d’acrobaties et de loopings (merci l’irremplaçable Kim Deal à la basse et aux choeurs), mais pas un moment creux sur cet album. De Debaser à Gouge away, en passant par les inoubliables Wave of Mutilation, Monkey Gone to Heaven ou La La Love You, l’album parfait, l’avalanche de tubes intimes, la joie totale.
Cette musique évoque alors autant le punk-rock que les Beach Boys ou un orchestre mariachi. Equilibre improbable et jubilatoire, une forme de surréalisme de science-fiction appliqué au rock indé, la visite d’un parc d’attractions sur la Lune, l’acmé du rock arty chaud, aventurier. Philip K. Dick en a rêvé, les Pixies l’ont fait. Pas de contestation, ni de révisionnisme possibles : à l’époque de Doolittle, les Pixies sont le meilleur groupe du monde. Cet album a collé un grand sourire un peu fou sur la face du rock, puis il a traversé les années en apesanteur, comme un funambule sur un fil élastique. L’épiphanie n’est pas finie, ni fanée.
Déjà, cet album sorti il y a vingt-cinq ans n’a jamais vieilli, contrairement aux brames de bête blessée de Nirvana, par exemple. On ne le réécoute pas pour se souvenir d’une époque, mais à chaque fois comme si c’était la première. Ces jours-ci, Doolittle a droit à une réédition anniversaire qui s’annonce définitive.
On y trouve l’album original, un deuxième disque qui rassemble treize faces B et Peel Sessions, ainsi qu’un troisième disque avec vingt-deux formidables demos, presque toutes inédites, présentant les chansons de Doolittle à différents stades de leur genèse – où l’on mesure le rôle essentiel du producteur Gil Norton, qui allait donner de la chair, de la souplesse, des couleurs et un goût d’éternité aux chansons des Pixies. Frank Black :
“Au tout début de notre carrière, on avait une énorme énergie et un tout petit son. Puis avec Steve Albini (producteur des deux premiers disques, Come on Pilgrim et Surfer Rosa), on a gardé l’énergie, avec un son plus gros, plus puissant, plus agressif, mais encore assez décousu. Avec Gil Norton, on a gardé l’énergie et la puissance, mais il a su faire émerger la douceur, le côté pop, les mélodies. On est passés à un troisième niveau avec lui.”
Bref : en cette année 2014 où les Pixies (sans Kim Deal) ont repris la route et sorti un vrai nouvel album (Indie Cindy, honorable sans être crucial), la réédition de Doolittle est le cadeau de Noël idéal pour les enfants et leurs parents, et pour tous ceux qui croient vraiment que ce singe est parti au paradis.
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