Alors qu’il vient de publier « Paint Myself », son deuxième album, le très occupé Sage nous accueille pour une interview avant son concert à La Maroquinerie ce mardi 12 juin.
Dans la galaxie de la scène française gravite un satellite qui répond au doux nom d’Ambroise Willaume. D’abord en groupe avec Revolver, il a dévié de sa trajectoire avant d’échouer sur la planète Woodkid, qu’il a illuminé de sa science des mélodies et harmonies. Remis en orbite, il a depuis croisé le chemin d’autres corps célestes, Lomepal, Soko, Clara Luciani et d’une comète de la pop music : Benjamin Lebeau de The Shoes. De ce big-bang est né Sage, premier album d’Ambroise Willaume, sous le nom de Sage, confectionné à quatre mains et parsemé de volutes électroniques, de textures sonores soyeuses et autres arabesques synthétiques.
Fort de ces expériences, Sage a repris son inexorable course seul face à l’immensité. En tête à tête avec ses instruments, il a méticuleusement composé Paint Myself, son nouvel album. Avec une précision d’horloger, il a établi la topographie de ses influences et expériences : une mappemonde au relief singulier faîte de couches et de sous-couches où les fondations de la musique pop se mêlent à un vernis contemporain. Il nous a reçu dans son studio de Montmartre aux allures d’« atelier », comme il dit. Rien de plus évident pour cet artisan de la pop music qui nous parle collaborations, gueule de bois, peinture et influences.
Alors que tu sors juste ton album, tu es déjà à la production sur le disque d’un autre. Qu’est-ce qui te motives dans l’exercice de la production ?
Je crois que c’est important pour moi dans cette période de sortie d’album de pas être trop dans l’attente, de voir comment les gens reçoivent le disque. Ça me met trop de pression alors que je ne peux rien faire. Le disque est fait, il est sorti et il va vivre. Puis il y a une histoire de calendrier aussi. Je me suis engagé il y a longtemps sur certains projets : des réalisations d’albums, des musiques de films et tout tombe un peu en même temps.
Pour moi c’est important d’avoir plusieurs projets en même temps, c’est une question de santé mentale. J’ai un peu l’impression de considérer tous mes projets comme des side-projects. De garder une sorte de spontanéité, d’avoir l’impression de le faire sans le faire vraiment. Je suis beaucoup plus à l’aise dans cet état d’esprit là. Sinon je finis par être presque tétanisé par l’enjeu. Comme quand tu fais une prise de voix et que tu te dis ‘maintenant c’est pour toujours’. Je pense qu’il vaut mieux se dire ‘on verra ce que ça donne’.
Comment tes collaborations ont nourri ta musique ?
Toutes ces collaborations ont un impact sur ma façon de faire de la musique c’est sûr. Woodkid c’est le premier à m’avoir appelé song doctor pour l’aider à finir des chansons, à trouver les bons renversements d’accords, les bonnes structures, à transformer un couplet en refrain. Tout ce travail de la composition. Benjamin Lebeau (de The Shoes – ndlr) c’est celui qui m’a initié à la production, le travail des textures, des rythmiques. Et puis Clara (Luciani -ndlr), c’était la première fois que je réalisais un album en entier. Quand je l’ai rencontrée c’était le tout début pour elle, elle commençait tout juste à écrire des chansons. Et donc je l’ai accompagnée jusqu’à l’album.
D’ailleurs quand je travaillais sur son premier EP, j’étais en train de bosser sur mon premier album avec Benjamin. On avait une approche très hermétique, dans un travail de recherche de sons très expérimental. A un moment, je me suis dit qu’il fallait peut-être qu’on entende que ce soit des chansons (rires). Et je pense que c’est le fait de bosser avec Clara qui m’a fait me dire : ‘En fait ça pourrait être plus simple’. Donc voilà tout ce qu’on fait nous nourrit. C’est pour ça que je me permets de refuser pas mal de choses et que je fais des choix.
Malgré ta science musicale, j’ai l’impression que tu choisis ces projets par curiosité.
J’adore me mettre des défis. J’accepte souvent des trucs où je ne suis pas qualifié pour le faire parce que je trouve qu’on apprend en faisant. A l’époque quand Woodkid m’a demandé de faire des arrangement d’orchestre j’ai dit ‘avec plaisir’ mais je l’avais jamais fait. Donc j’apprends sur le tas et puis une fois que je me suis engagé, je suis obligé d’essayer de le faire bien (rires). Ça me pousse à apprendre des nouvelles choses.
Et après l’album à quatre mains qu’est-ce qui t’a poussé à t’immerger tout seul en studio ?
Plusieurs choses. Déjà je me suis mis à écrire juste après la sortie de l’album. J’étais à nouveau tranquille, j’avais du temps et sans trop y penser j’ai écrit plein de chansons très rapidement. Deux mois après la sortie de l’album j’avais déjà une vingtaine de chansons quasiment prêtes à être enregistrées. L’album 1 avait été un travail fastidieux, laborieux mais en même temps passionnant. On avait passé 3 mois au Studio Pigalle, on avait créé une sorte de vaisseau spatial de synthés, de boîte à rythmes. C’était une expérience quoi ! Mais ça avait été aussi vraiment long pour arriver au bout de ça. Je crois que Benjamin et moi on est tous les deux perfectionnistes pour des choses différentes en plus. Pour qu’on soit tous les deux vraiment contents c’était un travail de dingue.
Du coup je voulais revenir à un truc de beaucoup plus détendu et revenir à cet esprit de side-project. De faire les choses de manière spontanée, de pas trop réfléchir à la production mais plutôt faire les choses qu’appelaient naturellement les chansons. De faire que la production soit plus au service des morceaux, plutôt que les morceaux servent de matière pour faire de la prod. Et comme j’ai mon propre studio maintenant je me suis dit que j’allais faire des maquettes et voir ce que ça donne. Et finalement j’ai tout de suite fait l’album. J’ai préféré me laisser surprendre par ce que je faisais. C’est un album que j’ai fait assez rapidement mais en faisant plein de choses à côté.
Paint Myself a aussi un côté d’album de synthèse ?
Ouais. Quand j’ai commencé Sage j’avais envie de faire l’inverse de Revolver quelque part. C’était important de pas m’inscrire dans les traces du groupe et de faire Revolver tout seul. J’avais envie d’explore autre chose, d’aller voir ailleurs. Pour cet album je crois que le côté simple et direct de Revolver me manquait un peu et en même temps j’ai découvert plein de choses depuis, je pense m’être perfectionné à tous les niveaux. Je me sentais plus capable de faire ce disque tout seul.
Tu avais de l’appréhension ?
Je ne savais surtout pas ce que ça allait donner. A la base, je ne suis pas d’un tempérament solitaire. Ça ne me rend pas forcément heureux de faire de la musique tout seul. Je préfère largement faire un truc en groupe mais je crois que j’avais envie d’être le seul responsable sur cet album et de devoir l’assumer à 100%. Il y a toujours eu une forme de compromis dans mes précédents albums. Soit un compromis avec les membres d’un groupe parce qu’évidemment tout le monde veut tirer le truc vers soit, vers ses goûts, ses envies. Et puis quand je travaille avec des réalisateurs d’albums, forcément ils mettent de leur style, de leur son. Par exemple Julien Delfaud sur les albums de Revolver, il apportait un son presque French Touch avec des batteries très compressées, des voix très proches… Sans renier ça, nos influences nous c’était plus les Fleet Foxes avec un son très aéré. A l’inverse avec Benjamin, je me suis laisser emporter par la direction artistique plus électronique. Tout ça c’était des expériences très formatrices mais là j’avais envie d’y aller tout seul.
Dans ce cas de figure, comment tu as a choisi les invités ?
Je m’étais dit que je me lançais dans ce truc de concept album où je faisais tous les instruments et puis au moment de faire les batteries, j’installe les micros, j’essaye de jouer par-dessus mes bandes. Au bout d’une journée je me suis dis ‘impossible’, si je fais les batteries ça va me prendre 6 mois de plus. Maintenant je pense qu’il faut au moins un ingé son pour enregistrer parce que lancer l’enregistrement, courir derrière la batterie c’est pas possible (rires).
Au final j’ai appelé mon batteur Antoine Boistelle, qui a super bien compris ce que je voulais faire. Il s’est prêté au jeu, en se collant à mes bandes sans métronome. Clara je lui ai demandé si ça lui disait de faire des chœurs sur l’album, Theodora, avec qui je bosse pour son disque, aussi. Thomas de Pourquéry aussi au saxo, Nicolas Musset, un autre ami batteur et Jérémie de Revolver qui a fait quelques claviers. Ça s’est fait naturellement et de manière ponctuelle avec les gens qui passaient dans le studio. J’avais une idée précise du son que je voulais pour les batteries, comme si je jouais moi-même et les chœurs c’était pour apporter une couleur différente au disque.
Tu penses que le vol de tes guitares à conditionné cet album ?
Quand je me suis fait voler mes guitares en 2013, c’est vraiment ce qui a donné la direction artistique de Sage autour du piano. Le premier morceau In Between c’était le premier morceau que j’écrivais au piano. Mais sur cet album c’est un peu plus mon retour à la guitare.
Tu peux m’expliquer le processus créatif derrière Paint Myself ?
Ce qui est difficile quand on fait un album où l’on additionne les pistes une par une, c’est que le résultat sonne assez froid et assez mort parce qu’on joue au-dessus un métronome. On perd l’intérêt d’un disque fait en groupe, avec l’interaction, le flottement et l’énergie. Avec cet album j’avais envie de récréer cet espèce d’intensité du jeu en groupe tout en étant tout seul. Pour commencer, je n’ai jamais enregistré seulement ma voix. J’ai toujours chanté en jouant d’un instrument. Je commençais piano-voix ou guitare-voix et je jouais sans casque comme si je faisais un live. Quelque part j’avais envie de me dire la première prise est la bonne. En fait, je m’étais rendu compte que lorsque je composais mes morceaux souvent je m’enregistrai rapidement au dictaphone et à chaque fois je me disais ‘faudrait que ce soit comme ça, ça sonne super’. C’était moins parfait mais plus spontané. J’essayais vraiment de provoquer ces moments.
Parfois ça peut passer par des procédés étonnants. Par exemple, pour So Real, un morceau guitare-voix j’avais mis plein de micros dans la pièce pour essayer de capter un son d’ambiance et puis j’ai joué le morceau. Je l’ai joué 30 fois, du début à la fin. Je réécoute les pistes et aucune ne me convient. C’était horrible j’y avais vraiment passé toute la journée. Ça m’a déprimé. Le soir je suis allé noyer mon chagrin dans l’alcool et le lendemain je suis revenu au studio en gueule de bois. Tous les micros étaient restés branchés, tout était resté allumé, j’ai juste pris la guitare, j’ai joué le morceau et c’est la prise que j’ai gardée pour l’album. C’est vraiment histoire de trouver le bon moment. C’est comme si j’avais appris le morceau la veille, je le connaissais par cœur et comme j’étais dans un état… diminué (rires), il y a quelque chose de plus rugueux qui m’a plu.
L’avantage d’avoir cet endroit c’est de pouvoir faire des prises de voix quand ça me chante, sans mauvais jeu de mot. Quand t’es en en studio, tu payes cher ta journée et il y a une journée pour les prises de voix. Et si jamais t’es pas dedans ce jour-là, tes voix elles sont nulles sur ton disque. Et moi très souvent j’essayais de faire deux ou trois prises maximum. Je réécoutais, si ça ne me plaisait pas, je ne gardais rien et je recommençais un autre jour. Ça me permettais de pas être trop dans l’analyse.
Est-ce qu’il y a eu un travail pour épurer les morceaux ?
Je n’ai pas trop eu à épurer parce que j’ai vraiment fait un travail minimaliste. Un peu comme un tableau où je rajoutais chaque jour un coup de pinceau et puis je m’arrêtais. Chaque jour j’écoutais un morceau et je me disais ‘qu’est-ce qui manque au morceau ?’ mais vraiment de manière fondamentale et existentielle. Dès que je rajoutais un élément qui, à mon sens, apportait quelque chose, je m’arrêtais là et je me laissais le temps de vivre avec. Ça m’a permis de ne pas ajouter trop de superflu et je n’ai pas eu à retirer ensuite.
C’est toujours la métaphore de la peinture. Si tu rajoutes un coup de pinceau de trop, tu dois tout recommencer.
C’est ça. Je me suis fixé tout un tas de contraintes morales pour pouvoir trouver cette spontanéité, cette espèce de vérité.
Finalement c’est aussi un album de synthèse de 60 ans de musique pop qui t’ont influencé ?
Je ne sais pas si je peux avoir la prétention d’avoir fait ça. Mais c’est vrai que j’ai des influences qui vont sur les 60 dernières années et même plus : Satie, Debussy, Gershwin. Sans avoir fait vraiment une synthèse, je ne me cantonne pas à un courant, à un style. D’ailleurs je ne cherche pas à faire de la musique d’aujourd’hui à tout prix. Parce que pour moi la modernité ça réside pas dans le fait de choisir les sons à la mode. On est de notre époque donc on fait quoiqu’il arrive de la musique de notre temps.
Il y a ce côté jeu de pistes dans ton album. Par exemple One Way Ticket qui convoque Bon Iver et juste après Haim.
Haim carrément ouais. C’est marrant parce que ce morceau je l’ai refait. J’avais d’abord fait une version différente avec une petite boîte à rythme samba, chaloupée (rires). J’étais en train de mixer l’album et je suis tombé sur les sessions live de Haim filmées par Paul Thomas Anderson. Je me suis dit ‘ça tue’ et ça m’a vachement inspiré notamment sur mes vidéos. Et donc je me disais que ce morceau serait cool dans cette version un peu Want You Back (de Haim -ndlr). Du coup je l’ai refait et j’ai gardé cette version.
L’influence d’Elton John est très présente sur le disque.
J’ai l’impression que les références sur le disque c’est de la pop mainstream de différentes époques mais faîte avec les moyens du bord. Comme j’ai tout fait dans ce cadre intimiste avec mon petit piano droit, mes petites percussions, ma petite batterie en jouant pas fort à cause du cabinet de psychologie à côté. Tout a été fait en mode lo-fi mais avec des ambitions de grande pop. C’est un peu ça le caractère de l’album.
Ce côté intimiste ça t’a permis d’aller toucher des choses nouvelles dans tes textes ?
En fait, avec mes textes j’ai l’impression que je parle de gens, de présences qui évoluent avec moi depuis mes premières chansons. C’est un peu comme une famille de personnages qui m’accompagne dans mes morceaux.
Avec ton premier album plus électronique, il y avait une idée de narration. Sur ce disque, il me semble que les morceaux fonctionnent indépendamment les uns des autres.
En fait j’ai pas cherché à faire rentrer les morceaux dans une direction homogène, dans une sonorité particulière. Je me suis dit que l’unité allait être dans le procédé et dans le son particulier de cette pièce. C’est pour ça qu’on passe des 70’s, à Juliette qui est plus 90’s. Je ne me suis pas empêché de faire des choses.
Dans ton communiqué tu parlais de faire de la musique pour timides qui se lancerait dans une chorégraphie à la Michael Jackson. C’est ça pour toi l’essence de la pop ?
En fait je crois que ça va beaucoup avec l’idée de se surprendre soi-même. Essayer de voir de quoi on est capable sans l’avoir soupçonné. Je crois qu’on essaye d’amener les gens à se surprendre et à se découvrir différemment. Par exemple, monter sur scène c’est un truc que je n’aurai jamais imaginé possible à 15 ans et au final la première fois que j’ai fait un concert je me suis senti hyper à l’aise et dans mon élément. Je pense qu’il y a beaucoup d’exemples de gens timides qui se sont révélés comme ça. Je ne suis pas David Bowie sur scène mais il y a ce truc d’aller chercher des choses insoupçonnées.
On oublie souvent aussi que la pop c’est quelque chose de très artisanal finalement et c’est quelque chose qu’on retrouve beaucoup sur ton album.
Je crois que c’est parce que j’ai un amour de tous ces petits détails de son, de choix d’instruments. Il y a un truc très artisanal dans le savoir-faire musical : d’apprendre un instrument, le son, la production, l’enregistrement. C’est un savoir-faire un peu autodidacte qui me fait plaisir. C’est un peu comme un atelier ici. Il y a cette dimension de l’amour du travail bien fait (rires).
C’est un album de fin de cycle aussi. Comme tu comptes rebondir après ?
C’est assez juste, je me sens en fin de cycle. Et du coup j’en ai aucune idée (rires). J’ai des idées pour la suite mais je ne sais pas quelle forme ça va prendre. Je pense que ça va dépendre pas mal d’où cet album va m’emmener. Comme l’album vient de sortir, j’ai une perception assez abstraite de la vie qu’il va avoir. J’ai l’impression d’avoir reçu un plutôt bon accueil des médias mais je ne sais pas encore si le public en a encore entendu parler. Et si je n’ai pas l’occasion de tant le défendre que ça, je sais pas exactement où ça va me mener.
Parce qu’une semaine après la sortie de l’album précédent, je ne me voyais pas enregistrer un nouveau disque 3 mois plus tard. Si dans un mois j’ai encore 20 morceaux peut-être que j’aurai envie de les enregistrer. Mais j’ai toujours envie de faire quelque chose de radicalement différent d’un album à l’autre. Là j’ai l’impression d’avoir trouvé un truc qui me définisse vraiment bien mais en même temps j’aime pas du tout me répéter. Peut-être que c’est intéressant d’un point de vue marketing (rires) mais j’en suis pas capable.
Tu n’as pas l’air d’appréhender. Tu es plutôt dans l’expectative ?
Comme j’ai énormément de projets à côté ça me permet de rencontrer des gens, d’avoir de nouvelles expériences et ça me nourrit pour d’autres projets. Je pense que ça va être une période intéressante.
D’ailleurs c’est quoi les projets ?
En ce moment je réalise le nouvel album d’Alex Beaupain en tandem avec Superpoze. Sur le papier c’est hyper étonnant, on a tous les trois des parcours assez différents. Mais c’est Alex Beaupain qui est venu nous chercher en disant ‘j’ai l’impression que vous marcherez bien ensemble’. On se connaît avec Superpoze mais on n’avait jamais vraiment bossé ensemble même si on s’était retrouvé sur l’album de Lomepal. Lui il est vraiment dans les textures, dans le travail sonore et moi je suis vraiment plus dans les compos. Il y a quelque chose qui se marie bien dans nos rôles respectifs. Je commence aussi une musique de film dont je ne peux pas parler mais je réalise aussi l’album de Theodora qui est ma bassiste sur scène et qui a un projet solo génial. J’ai hâte.
Sage sera en concert à La Maroquinerie le mardi 12 juin.