Du 11 au 14 avril, 150 chercheurs, artistes, et intellectuels analyseront l’amour, la sexualité, le genre, le corps et la religion, ou encore la spiritualité
Cette année, les Rendez-vous de l’histoire de l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris auront pour thème le corps. Conférences, débats… du 11 au 14 avril, 150 chercheurs, artistes, et intellectuels analyseront l’amour, la sexualité, le genre, le corps et la religion, ou encore la spiritualité. Au total, près de 50 rencontres sur des thématiques sociétales majeures. Parmi ces spécialistes, Corinne Fortier, anthropologue et chargée de recherche au CNRS a notamment travaillé sur la question du genre dans les sociétés musulmanes. Elle animera – entre autres – un débat intitulé « Corps exhibés, subversion et trouble dans le genre », ce samedi.
Une prise de conscience des droits des femmes est-elle en train d’émerger chez les hommes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ?
Corinne Fortier – Oui, mais je ne pense pas qu’il y ait d’émergence particulière aujourd’hui. Il y a toujours eu beaucoup de résistances, mais il y a toujours aussi, en même temps, une certaine prise de conscience. Je pense par exemple aux pères par rapport à leurs filles. Mais ce sont surtout les femmes qui, avec leur courage, font bouger les lignes ; malheureusement ce ne sont pas forcément les hommes. Eux ont toutes les ficelles pour faire bouger les choses mais ils ne le font absolument pas. Partout dans le monde, toutes les luttes pour les droits des femmes, ce sont les femmes qui les ont menées, ce ne sont pas les hommes qui leur ont permis d’avancer. Et c’est pareil dans le monde arabe, il n’y a pas tellement plus d’évolutions.
Une étude de 2017 sur l’égalité des sexes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (Egypte, Maroc, Liban, Palestine), menée par la chercheuse et activiste anglaise Shereen El Feki, parle d’une “crise de la masculinité” Que pensez-vous de ce constat ?
Je préfère éviter l’usage de l’expression “crise de la masculinité”, qui signifie que les hommes auraient perdu quelque chose de leur virilité. Or, il s’agit en réalité d’une mutation, d’une évolution de la masculinité. Les débats tournent souvent autour de la question suivante : si l’on perd sa masculinité alors cela signifie que l’on devient une femme. La binarité des genres est encore très persistante. Un homme peut, au contraire, rester un homme tout en intégrant les droits des femmes et en respectant le fait que la femme ait autant d’autonomie qu’un homme. Nous assistons à une sorte de ré-équilibrage du genre où des attributs seraient uniquement féminins, comme par exemple la question du désir ou de l’amour : l’initiative des conquêtes amoureuses ou des rapports sexuels est aujourd’hui davantage égalitaire. Les hommes qui intègrent cette évolution ne sont pas en crise, ils accèdent simplement à une part de leur humanité, de sentimentalité, de respect de l’autre. Il est à noter que ces évolutions ne sont pas font pas de la même manière dans tous les pays bien sûr.
Dans quelle mesure les artistes du monde arabe s’emparent-ils davantage de cette question du genre ?
Aujourd’hui, chez les jeunes générations, c’est une question qu’on ne peut pas ne pas se poser. Nous sommes dans des sociétés où il y a beaucoup plus de libertés, de possibilités d’être ce que l’on veut être. Mais en même temps il y a encore beaucoup de chemins à parcourir, y compris en France sur les questions des droits des femmes, des droits LGBT, de transidentité. Beaucoup d’artistes s’emparent de ces questions, en particulier des femmes, en faisant des installations très visuelles autour de la question du port du voile et de la féminité, ce qui permet de décentrer notre regard sur ces questions. Des artistes réalisent aussi des travaux engagés autour de l’homosexualité ou du travestissement en mettant en scène des corps plus ou moins nus. Des chorégraphes dansent vêtus en femmes, ce qui est très transgressif. L’art permet d’exprimer des choses qui sont parfois difficiles à exprimer dans les sociétés.
Propos recueillis par Fanny Marlier
Les Rendez-vous de l’histoire de l’Institut du monde arabe (IMA), Paris VIe, du 11 au 14 avril.