Lors de la dernière fashion week, les codes d’une bourgeoisie classique ont refait surface, enrayant la tendance streetwear qui régnait depuis plusieurs saisons. Pour plus de démocratie ?Lors de la dernière fashion week, les codes d’une bourgeoisie classique ont refait surface, enrayant la tendance streetwear qui régnait depuis plusieurs saisons. Pour plus de démocratie ?
Aucun filtre sépia sur l’écran du téléphone. Et pourtant un dégradé crème de blouses cols Lavallière, jupes-culottes et bottes qui caressent le mollet à même la chair envahissent les flux Instagram. La bourgeoisie des années 1970 est belle est bien vivante : c’est ce que l’on a découvert chez Celine.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Après s’être fait connaître pour ses lignes androgynes et rock, le directeur artistique, Hedi Slimane, revient avec une collection peignant une vision de la féminité qui a mûri. Voici la Lady Celine, qui peut aisément converser avec la femme en longue robe noire qui se prélasse dans les lofts Art déco de la dernière campagne Burberry de Riccardo Tisci.
Plus que jamais, cette saison l’industrie de la mode (Balenciaga, Courrèges, Léonard Paris) fouille dans ses archives. Les images du luxe laissent au caniveau les rêves d’ado fluo en baskets, qui dominaient les catwalks ces dernières collections, pour se tourner vers une figure adulte, rétrograde et empruntée au passé.
Une proposition d’intemporels de la garde-robe
“Jusqu’ici tout va bien”, comme dans La Haine de Mathieu Kassovitz, voilà ce que l’on se répète. Alors, les codes bourgeois se veulent d’ordre public, pratiques et simples. “Je veux de la mode de qualité, pas des parkas et des sweatshirts” – pour Julien Dossena, à la tête de Paco Rabanne, le verdict est sans appel : le streetwear est une voie sans issue dans la démocratisation du chic salvateur.
Ancien élève de Nicolas Ghesquière, qui dirige aujourd’hui Louis Vuitton, il est salué pour son raffinement épuré. Une proposition d’intemporels de la garde-robe : soit des chemises blanches, costumes impeccables et pantalons d’intérieur sans outrance, indémodables et inusables.
L’investissement longue durée répond également à une volonté d’éducation à la consommation. Un signe intérieur de richesse soit un point de convergence entre bienséance, élégance et maturité, qui s’opposerait à l’exubérance, l’overdress et l’adolescence.
En 2019, mieux consommer semble être le corollaire d’un retour dans le vestiaire rétro de cette bourgeoisie seventies qui ordonne une distinction à partir d’un “capital culturel” chez Pierre Bourdieu. Cependant, ses codes ont évolué. Dans l’ouvrage Les Ghettos du gotha, les auteurs Pinçon-Charlot assurent que la bourgeoisie possède une capacité d’adaptation extraordinaire, “pour mieux transmettre son capital social, culturel et économique, et durer”.
Hybridation internationale
Les collections de la fashion week parisienne conjuguent matières rares et références culturelles pointues pour signifier une maturité qui s’acquiert dans une poursuite des goûts culturels légitimes. Cette vision sociologique doit être actualisée : si les femmes Givenchy se parent dans de grands manteaux, pour Clare Waight Keller, directrice artistique de la maison, il ne s’agit pas d’un rejet total du streetwear, mais d’une sorte descente vers un club transgressif dans les cultures périphériques alors qu’un érotisme arty pour une cavalerie bourgeoise en short de cuir préside chez Hermès. Dans les autres capitales, ce retour au chic est également observé. Pour Burberry, Riccardo Tisci évoque “un retour au romantisme” et dote les classiques impers d’anneaux pour un effet gothique preppy qui conjure l’élitisme. De son côté, Paul Smith recolore les classiques d’une pop culture inspirée par les nuits de la Factory warholienne.
A Milan, alors que 200 000 manifestants se sont rassemblés contre les politiques racistes envers les migrants, ce sont des codes bourgeois qui rythment la première collection de Daniel Lee pour Bottega Veneta. Une femme affirmée, pleine de pouvoir. Féminisme et liberté s’insèrent ainsi dans la garde-robe bourgeoise. Fin d’une classe sociale pour soi et en soi ?
“L’élection de Donald Trump et le Brexit t’ont inspiré une sainte horreur, mais depuis lors tu ne suis que d’assez loin ce qui se passe aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Naturellement tu dénonces les conflits d’intérêts, mais tu penses qu’en voir partout relève du complotisme. Tu utilises parfois (souvent ?) dans une même phrase les mots racisme, nationalisme, xénophobie et repli sur soi. Tu leur préfères définitivement le mot ouverture”, peut-on lire dans la critique sarcastique de la bourgeoisie que signe François Bégaudeau dans Histoire de ta bêtise. L’Europe a besoin d’une classe créative internationale, comme l’observe le géographe Richard Florida. Cette avant-garde est en pleine affirmation.
Le nihilisme adolescent dans lequel sont enfermés les jeunes créateurs les entraîne parfois vers un rejet du streetwear qui reste de l’ordre du discours. Ainsi Glenn Martens, directeur artistique de Y/Project déclare “Nous n’avons jamais été que du streetwear”, comme pour dénoncer les étiquetages d’une industrie de la mode qui n’ont plus raison d’être.
{"type":"Banniere-Basse"}